(El Watan – Alg.)- L’avenir ne se fait pas avec les sciences humaines, mais avec les sciences exactes. » L’affirmation du président Bouteflika à Tlemcen sonne comme une condamnation de tout un pan du savoir et de la conscience sociale vu l’empressement des hauts fonctionnaires à plaire au chef. Fustigées, ces filières décriées, ses universitaires et ses étudiants subiront-ils l’ostracisme habituel des décideurs ?
Pourtant, le même Abdelaziz Bouteflika avait endossé la suppression de l’enseignement technique au lycée. Alors, pourquoi venir aujourd’hui défendre les sciences techniques avec autant d’emportement ? Et pourtant, comme dit l’adage, « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », ou paraphraser un autre célèbre adage, « l’on peut plus facilement fabriquer une fusée que produire des sociologues humanistes ou des juges impartiaux ! » Il n’est bien sûr pas dit que les scientifiques sont incapables d’humanisme, de tolérance ou d’altruisme.
Mais il reste une donnée historique et sociologique incontournable : les sciences humaines ont de tout temps fait les frais des totalitarismes. Depuis la décadence de la civilisation musulmane aux totalitarismes du XXe siècle, la philosophie, la sociologie, l’histoire, le droit, etc., ont été perçus comme des menaces contre l’ordre établi construit sur les idées faites et les évidences ne supportant aucune remise en question. Actuellement, c’est la mode dans le monde arabe où même dans les pays réputés pour leur niveau d’instruction, comme le Liban où l’on s’attaque franchement aux sciences humaines. « Les universitaires en sciences humaines disparaissent. Dans la prestigieuse AUB (Université américaine de Beyrouth), les sciences humaines n’existent plus. A l’université Saint-Joseph, de moins en moins.
C’est inquiétant, car ce qui fait le renouvellement, la conscience de soi et de l’autre, ce sont les sciences humaines. C’est la littérature. Nous n’avons pas de savants, nous avons des techniciens. C’est une catastrophe, car c’est dans ces milieux de techniciens qu’on retrouve le fondamentalisme de tous bords », avait témoigné pour El Watan le grand écrivain libanais Rachid Daif. La conscience sacrifiée sur l’autel de la technicité. En Algérie, qu’a-t-on fait de la sociologie et de l’histoire ? Qu’enseigne-t-on à l’Ecole de journalisme et des sciences politiques ? A-t-on permis à des chercheurs de questionner librement leur société pour en décoder les mécanismes, pour dévoiler ses traumatismes et comprendre ses aspirations ?
Attaquée, dévitalisée, marginalisée pour cause de danger potentiel contre la pensée officielle, les sciences humaines mériteraient mieux qu’une mise au placard définitif et un jugement à l’emporte-pièce. Avis aux chercheurs et aux enseignants, aux étudiants et aux personnes jalouses des connaissances humaines de prouver que les sciences humaines peuvent faire l’avenir.