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L’histoire des Juifs de Tunisie pendant l’occupation allemande

juifs_tunisiens_1.JPG(Réalité – Tun)- Paul Nataf revient cette année en Tunisie avec la réédition d’un livre, paru en 1944, de Robert Borgel « Etoile jaune et croix gammée », qui retrace l’histoire des Juifs de Tunisie face aux nazis. Cette réédition est son initiative, comporte un complet et méticuleux travail d’archives, qui complètent les faits décrits par Borgel. Il est évident qu’à travers ses différents ouvrages, sa démarche est dédiée à rapprocher, par le biais d’une meilleure compréhension mutuelle, deux peuples frères de Tunisie et mérite qu’on lui rende hommage.

Le livre de Robert Borgel, dont vous avez contribué par votre travail d’historien à alimenter certains passages, décrit cette communauté, son organisation. Pourquoi avoir attendu soixante-quatre ans pour rééditer cet ouvrage ?
En 1945, lorsque les Juifs de Tunisie ont découvert les persécutions affreuses subies par leurs coreligionnaires d’Europe, ils ont estimé qu’ils n’avaient pas le droit de se plaindre, car ils avaient été dans l’ensemble sauvegardés, et que leurs souffrances avaient été moindres que celles des 6 millions de Juifs européens exterminés. Par pudeur, ils ont tu ce qu’ils avaient subi. Et puis il y avait d’autres préoccupations : les difficultés franco-tunisiennes, c’était le temps de la décolonisation, le temps de l’indépendance, les difficultés économiques, le départ pour la majorité d’entre eux et la nécessité de reconstruire une vie ailleurs.
La communauté juive s’est dispersée. Dans sa très large majorité, elle a quitté cette rive de la Méditerranée. Il y a eu effectivement des recherches sur l’histoire de la Shoah qui ont été entreprises, à partir des années 80 en France, aux Etats-Unis. En 1997 la Société d’Histoire des Juifs de Tunisie, qui venait d’être créée, a organisé une table ronde sur ce sujet et a contribué à le faire prendre en compte par la communauté des historiens. En réalité, ces persécutions même minimes, subies par les Juifs de Tunisie, s’insèrent dans un tout, qui était la volonté nazie d’anéantir les Juifs de toute la surface de la terre. Il ne faut pas oublier que les Juifs d’Afrique du Nord faisaient partie des plans d’extermination nazie élaborés lors de la sinistre conférence de Wansee. Nous avons donc pensé qu’il fallait donner la parole aux témoins. Le livre de Robert Borgel n’était pas connu et nous avons proposé de le rééditer et de le compléter grâce à des documents d’archives inédits que nous avions pu rassembler.

Quel a été le comportement de Moncef Bey lors de l’occupation allemande de la Tunisie ?
Moncef Bey a publiquement désapprouvé les mesures antisémites de Vichy, et ce dès son intronisation. Il a tenu à décorer du plus haut grade du Nichan Iftikhar Elie Sebag, une personnalité juive, pour montrer qu’il ne faisait pas de différences. Pendant l’occupation allemande, lorsque qu’a été imposé aux jeunes Juifs le travail obligatoire dans les camps allemands, Moncef Bey a fait savoir à la Communauté qu’il ne pouvait rien faire. Mais à titre individuel, Moncef Bey, son fils le Prince Raouf, sa famille, son entourage, ses dignitaires, ont aidé et caché des Juifs dans leurs propriétés, pour leur éviter les camps de travail. Une aide très marquée et réelle aussi de la part de personnalités musulmanes, notamment le Premier Ministre de Moncef Bey, Mohamed Chenik, ou encore de Bahri Guiga, du Docteur Materi et de la famille Sakka.
*Il n’y a pas eu en Tunisie de résistance juive à proprement parler, mais dès 1940 des groupes de Français qui désapprouvaient l’armistice ont créé des réseaux de résistance. Il y avait parmi ces résistants des Juifs de Tunisie qui ont été déportés en tant que résistants, je pense notamment à Lise Hannon, Serge Moati, Dana, Karoubi etc…
Il y a eu aussi une résistance communiste après l’attaque de l’URSS par l’Allemagne, en 1941. Le Parti Communiste de Tunisie est alors entré en résistance et s’est rallié à De Gaulle. Les noms de Georges Attal, de Maurice Nisard, de Paul Sebag illustrent cette résistance communiste dans laquelle les Juifs étaient nombreux. Moncef Bey, qui était nationaliste, n’appréciait pas les communistes.
* L’universitaire André Abitbol, questionné, a répondu qu’il y a eu une résistance de personnalités de confession israélite, dans le cadre des structures ou partis auxquels ils adhéraient. Exemple: Maurice Nisard, sous le nom de “Nicolas”, recherché et condamné à mort par contumace, ainsi que Claye Attal et Spano. D’autres encore comme Roger Taieb, Yvon Slama, Serge Moati, Aldo Bessis étaient résistants.

On a parlé de fours crématoires construits à Sidi Belhassen, qu’en est-il?
Ce que l’on a pris pour un four crématoire était un four à pain de l’intendance militaire allemande, et rien de plus. En tant qu’historien, je ne peux cautionner cela, c’est un phantasme. Il n’y a pas eu de camps d’extermination en Tunisie, par conséquent pas de four crématoire.

Parlez-nous alors de ces camps de travail et du sort que les Allemands réservaient aux Juifs de Tunisie. A quelle place se situait cette communauté juive dans le schéma de la solution finale allemande ?
L’intention des Allemands était l’anéantissement de la communauté juive de Tunisie. Pour cela il fallait arrêter le plus grand nombre de Juifs, les mettre dans des camps, et les fusiller ensuite lorsque les armées allemandes auraient percé le front et pu avancer vers l’Algérie. Le 8 décembre 1942, les Allemands ont exigé de la Communauté juive de lui présenter le lendemain 3.000 juifs âgés de 18 à 40 ans pour travailler dans des camps. La Communauté, qui était un organisme de culte et de bienfaisance présidé par Moïse Borgel, était dans l’incapacité de mobiliser 3.000 hommes en 24 heures. Aussi le 9 décembre les Allemands ont procédé à des rafles dans la Grande synagogue et aux abords de l’école de l’Alliance israélite, rue Malta Srira. En même temps ils ont arrêté 100 personnalités juives désignées comme otages et destinées à être fusillées en cas de désobéissance de la population juive. Plus de 5.000 hommes ont été ainsi dans des camps de travail sous la garde de l’armée allemande. Le camp le plus sévère était à Bizerte. Il y a eu aussi des camps à Sidi Ahmed, à Zaghouan, à Sousse, à Mateur, à Sfax, à Kairouan, à Nabeul, dans Tunis et sa région. Les conditions de vie étaient très difficiles, manque d’hygiène, de nourriture, coups, sévices, travaux pénibles, et il y eut même des fusillés.
Mais même si l’on déplore une soixantaine de morts, ces camps n’étaient pas des camps d’extermination. Les déportations des Juifs de Tunisie enfermés dans les camps n’étaient pas simples à réaliser, puisque les Alliés avaient la maîtrise de la mer, et qu’il aurait fallu les déporter en avion. Il n’y a donc eu qu’un seul cas de déportation aérienne en avril 1943, mais la suite des opérations militaires a empêché les Allemands de réaliser leur projet et le nombre des déportés de l’unique convoi non revenus des camps est inférieur à 20.
En réalité les Allemands voulaient exterminer les Juifs de Tunisie par fusillades comme ils l’avaient fait en Russie. Mais les SS n’étant pas en grand nombre et les soldats de la Wermacht peu habiles pour ce genre de massacre, les Allemands ont voulu pousser la population musulmane au pogrom. Ils ont incité des Musulmans à faire le travail à leur place en allant aller dans les quartiers à forte population juive pour piller et tuer. Mais grâce à la sagesse de chefs musulmans comme Aziz Djellouli le gouverneur de Tunis, et d’autres comme Mohamed Chenik, le Docteur Materi, l’exécution de ce funeste dessin a été empêché. Le diplomate allemand Rahn, qui a publié ses Mémoires après la guerre, révèle cet épisode jusqu’alors inconnu des historiens.

Peut-on dire que Moncef Bey, en donnant l’exemple, a sauvé les Juifs de Tunisie de la mort ?
La personnalité de Moncef Bey, et l’exemple qu’il a donné à ses compatriotes, mais aussi au reste du monde, a sauvé de la mort la population juive de Tunisie dans cette circonstance. Il faut retenir aussi qu’il a évité à la population juive de Tunis le port de l’étoile jaune (qui a été portée à Sousse et à Sfax) en déclarant qu’il ne voulait pas qu’il y ait de discrimination entre ses sujets.

La Société d’Histoire des Juifs de Tunisie, présidée par Paul Nataf, organisera en novembre prochain, à la Sorbonne , un colloque international sur l’histoire comparée des Juifs du Maghreb de l’époque coloniale à nos jours. Ce colloque réunira 42 chercheurs du 3 au 6 novembre 2008…
La première leçon inaugurale sera donnée par M. M’Hamed Hassine Fantar, titulaire de la chaire Ben Ali pour le dialogue des civilisations et des religions, et qui brossera un tableau des Juifs au Maghreb dans l’Antiquité.

Source: Réalité (Tun).

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