AFP (23 décembre 2018 13h17) Acquittée mais pas encore vraiment libre: après huit années dans le couloir de la mort pour blasphème, la chrétienne pakistanaise Asia Bibi passera probablement un nouveau Noël sous bonne garde, en raison des risques qui pèsent sur sa vie. Deux mois après son acquittement par la Cour suprême du Pakistan et sa libération, des extrémistes musulmans continuent de contester le verdict et d’appeler à sa pendaison, la contraignant à vivre cachée sous la protection des autorités.
« C’est trop dangereux (…) Les gens veulent la tuer », souligne Yousaf Hadayat, habitant d’un bidonville chrétien de la capitale Islamabad, où des décorations et des arbres de Noël ont fait leur apparition cette semaine.
La sécurité sera stricte cette année encore pour les fêtes de fin d’année avec le déploiement attendu de militaires dans les quartiers chrétiens du pays.
Cette année, leurs habitants se disent encore plus mal à l’aise, l' »affaire Bibi » demeurant en suspens.
« Nous avons peur », indique le pasteur Munawar Inayat qui officie dans une église d’Islamabad. « Nous ne pouvons parler contre personne ».
Le verdict de la Cour suprême, rendu le 31 octobre, a provoqué la fureur des milieux islamistes radicaux, dont les militants sont descendus dans les rues et ont paralysé le pays trois jours durant, jusqu’à la conclusion d’un accord avec le gouvernement.
Les manifestants se sont livrés à de nombreuses violences et sont allés jusqu’à appeler à l’assassinat des magistrats de la Cour et à une mutinerie de l’armée.
Le gouvernement a depuis pris de sévères mesures de répression à l’encontre du parti Tehreek-e-Labaik Pakistan (TLP), principal organisateur des manifestations, inculpant ses chefs de file pour sédition et terrorisme.
Mais l’accord passé en novembre entre les islamistes et le gouvernement prévoyait aussi un ultime réexamen du verdict concernant Mme Bibi, dont la date n’a pas été annoncée.
La quinquagénaire et sa famille, qui ont requis l’asile à l’étranger, se cacheraient actuellement dans un endroit inconnu au Pakistan, sous forte protection policière, en attendant la fin de la procédure.
Interrogé, un porte-parole du gouvernement s’est refusé à tout commentaire, se bornant à indiquer que l’affaire suivait son cours en justice.
Pour l’analyste Fasi Zaka, plus le cas Bibi se prolonge, plus le danger de violences s’accroît: « Certains éléments, s’ils n’ont pas accès à Asia Bibi, vont trouver des remplaçants pour exercer leur vengeance », estime-t-il.
– Dispute aux champs –
Le blasphème est un sujet extrêmement sensible au Pakistan, pays très conservateur où l’islam est religion d’Etat. La loi prévoit jusqu’à la peine de mort pour les personnes reconnues coupables d’offense à l’islam.
Les défenseurs des droits de l’Homme voient en Mme Bibi un emblème des dérives de la loi réprimant le blasphème au Pakistan, souvent instrumentalisée, selon ses détracteurs, pour régler des conflits personnels, notamment à l’encontre de chrétiens, en minorité dans le pays.
« C’est comme un chiffon rouge et cela affecte toute la communauté », souligne l’analyste Zaka.
Pour cette mère de famille illettrée originaire de la province du Pendjab (centre) et âgée aujourd’hui d’une cinquantaine d’années, le cauchemar avait commencé en 2009 alors qu’elle travaillait aux champs.
Invoquant des raisons religieuses, deux femmes musulmanes avaient refusé de partager un verre d’eau avec elle et une querelle avait éclaté, qui avait donné lieu à des poursuites contre elle pour blasphème. Elle avait été condamnée à la pendaison en 2010 et ses différents appels avaient été jusqu’ici tous rejetés.
Depuis son acquittement, les rumeurs sur son départ à l’étranger, en Europe ou en Amérique du Nord, vont bon train.
A Islamabad, nombre de chrétiens estiment qu’elle ne sera en sécurité qu’une fois hors du pays.
« Non, non, elle ne peut pas rester », estime M. Hadayat.
– Liste noire –
Les chrétiens, qui représentent environ 2% des quelque 207 millions de Pakistanais, sont dans leur majorité cantonnés aux classes inférieures de la société, occupant les emplois dont personne ne veut.
Les Etats-Unis ont récemment inscrit le Pakistan sur une liste noire de pays violant la liberté religieuse de ses citoyens, mettant notamment en avant le nombre élevé de condamnations pour blasphème et la faible répression opposée aux auteurs de violences contre les minorités.
Islamabad a mal accueilli cette décision, la jugeant guidée par des motifs politiques.