Après avoir attaqué « Charlie Hebdo » mercredi dernier, les frères Kouachi ont affirmé qu’ils avaient « vengé le prophète » estimant que l’hebdomadaire satirique n’avait pas à caricaturer Mahomet.
Ils avaient caricaturé le prophète. Voilà comment les frères Kouachi ont justifié leur attaque contre Charlie Hebdo qui a fait douze morts dont cinq dessinateurs (Cabu, Wolinski, Charb, Tignous et Honoré), le 7 janvier.
Rapidement épuisé en kiosques, mercredi 14 janvier, après avoir été tiré à trois millions d’exemplaires, le dernier numéro de l’hebdomadaire satirique persiste et signe : en une, titrée « Tout est pardonné », on peut voir Mahomet tenir entre ses mains une pancarte « Je suis Charlie ».
Cette caricature n’a pas été du goût de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie qui n’ont pas autorisé la diffusion du journal satirique sur leur sol, comme le relaie Le Monde. Mais que dit précisément l’islam sur la représentation de Mahomet ? L’interdiction est-elle notifiée dans le Coran ? S’est-elle appliquée partout et en tout temps ? Francetv info apporte des éléments de réponse.
Le Coran n’en parle pas
Mohammed Moussaoui, président de l’Union des mosquées de France, le certifie :« Il n’y a pas de texte coranique explicite qui parle de la représentation du prophète », affirme-t-il à francetv info. Cette interdiction est donc postérieure au texte sacré de l’islam et relève des théologiens.
La plupart des théologiens musulmans l’interdisent
Que disent ces docteurs de la foi ? Selon Mohammed Moussaoui, « la plupart des écoles juridiques musulmanes considèrent qu’on ne peut représenter ni Mahomet ni les autres prophètes tels que Jésus, Moïse, Noé… »Â La raison ? Elle est liée au respect dû à Dieu. Pour ces théologiens, « un humain n’a pas la capacité de représenter fidèlement le prophète », précise l’ancien président du Conseil français du culte musulman (CFCM). Certains imams, comme celui d’Alfortville (Val-de-Marne) Abdelali Mamoun, exonèrent les non-musulmans de ce principe : « Charlie Hebdo et les autres journaux qui ne sont pas des journaux musulmans ne sont pas concernés [par cette interdiction]. Je n’ai pas à leur imposer les lois et les préceptes de la religion musulmane. »
Mohammed Moussaoui rappelle d’ailleurs qu’« en ce qui concerne la France, les musulmans ont intégré que la loi de la République est la seule à encadrer la liberté d’expression ». Et qu’ils peuvent faire appel à la loi, s’ils estiment qu’il y a une« volonté délibérée »Â de les blesser. En 2007, quand la Grande mosquée de Paris et l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) avaient porté plainte contre Charlie Hebdo, l’hebdomadaire satirique avait certes été relaxé, mais le jugement posait certaines limites à la caricature de Mahomet, comme le rappelle Libération.
Reste donc le recours à la justice. Ou à la religion. « Le prophète de l’islam, de son vivant, a été caricaturé verbalement, poursuit Mohammed Moussaoui. Il a été traité de menteur, de sorcier, comme on peut le lire dans le Coran. Mais Dieu a répondu à la place du prophète : ‘Ne prête pas attention à ce qu’ils disent, Dieu te suffit comme défenseur’. »
Mais il y a des exceptions
Tous les courants de l’islam interdisent-ils de représenter le prophète ? Nullement. Dans La représentation figurée du prophète Muhammad, la chercheuse Vanessa Van Renterghem (rattachée à l’Institut français du Proche-Orient jusqu’en août 2014) montre que ‘ »la question de la représentation figurée en général, et de celle du prophète de l’islam en particulier, a été diversement tranchée selon les périodes et les milieux. Si elle a parfois déclenché des débats animés, elle ne semble pas avoir posé un problème majeur ou permanent aux croyants musulmans ni à leurs juristes. »Â Et de relever que « les derniers siècles du Moyen Age virent ainsi fleurir des miniatures représentant Mahomet », comme l’attestent des enluminures (des peintures ou dessins exécutés à la main) reproduites sur Wikipedia.
Des enluminures souvent persanes. Et le chiisme, l’une des trois branches de l’islam, notamment en Iran, où il est la religion ultra-majoritaire, semble plus souple que le sunnisme sur la question de la représentation du prophète. Pourquoi cette différence ? « Dans le sunnisme, il y a une figure sacrée, c’est le prophète, alors que dans le chiisme, il y a, en plus, les douze imams, détaille pour francetv info Sabrina Mervin, chargée de recherche au CNRS et spécialiste du chiisme contemporain. Dans les pays chiites ou partiellement chiites, comme l’Iran, le Liban, l’Irak, on représente sans problème les imams, qui sont les descendants du prophète et des personnages sacrés. Aujourd’hui, il y a peu d’images de Mahomet en Iran, mais on en trouve. »
De son côté, Mohammed Moussaoui se souvient qu’en Iran, « un feuilleton télévisé avait montré Zacharie et Jésus, des prophètes eux aussi, non floutés. Mais quand les chiites libanais, qui sont, eux, en contact avec des sunnites, ont diffusé le feuilleton, ils ont flouté les prophètes. »Â Et si un certain durcissement était récent ? Dans Le prophète de l’islam en images, un sujet tabou ? (éd. Bayard), François Boespflug, professeur d’histoire des religions à la faculté de théologique catholique de l’université Marc-Bloch de Strasbourg, estime ainsi qu’on a travesti « un véritable raidissement en loi de toujours ».
Anne BRIGAUDEAU (francetvinfo.fr)
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