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En Azerbaïdjan, le pouvoir veut contrôler la résurgence de l’islam

Azerbaidjan1_1.jpg(Le Monde)- une trentaine de kilomètres de Bakou, le petit temple de Buzovna, où la trace du pied d’Ali le gendre du Prophète serait imprimée dans le sol, reçoit la visite de nombreux fidèles. Un peu plus loin, à Suvalan, des femmes voilées se prosternent, tournent autour du somptueux tombeau de Mir Mövsüm Aga, un saint local. On y vient en famille pour demander protection et faire des offrandes. « A l’époque soviétique, les gens avaient peur de se rendre en pèlerinage dans ces lieux, c’était interdit, aujourd’hui ça n’est plus le cas », se félicite Arzu, la cinquantaine.

L’islam, majoritairement chiite en Azerbaïdjan, connaît un certain renouveau depuis la fin des années 1990. A l’époque, quelques mosquées ont été construites, des jeunes Azerbaïdjanais sont allés se former en Arabie saoudite, en Turquie ou en Iran. Craignant une perte de contrôle, le pouvoir a opéré ces dernières années une reprise en main, décourageant les influences venues de l’extérieur pour privilégier l’aspect populaire et culturel de l’islam.

Récemment, Mehriban Alieva, la première dame du pays, a organisé l’aménagement du tombeau d’un saint local, Hassan, à Merdekan, où l’on peut, dit-on, guérir de l’anxiété en fracassant une bouteille de verre dans les jardins en contrebas. Hormis ces pèlerinages, la religion est très peu visible en Azerbaïdjan. Les restaurants proposent du porc, l’alcool n’est pas banni et les femmes voilées y sont plus rares que dans n’importe quelle capitale européenne.

« Ici, ça n’est pas l’Iran, les gens sont plus laïques, trois générations élevées à l’époque soviétique ont changé la donne », explique Elcin Askerov, vice-président du comité chargé de l’enregistrement des organisations religieuses. « Aucune n’interfère dans la vie politique et sociale du pays, la foi est avant tout une démarche individuelle », affirme ce fonctionnaire. Il reconnaît toutefois que le wahhabisme, une expression de l’islam sunnite rigoriste qui fleurit au Daguestan et dans tout le Caucase russe, a fait irruption dans le pays ces dernières années. Mais « les wahhabites sont très minoritaires ».

La mosquée d’Abou Bekr, l’une des plus populaires chez les jeunes de Bakou, la capitale, appartenait à ce courant. Elle est aujourd’hui fermée en raison d’une enquête sur une attaque à la grenade dont elle a été la cible et qui a fait deux morts, le 17 août. Dans la foulée, une centaine de fidèles, molestés par les policiers, auraient été obligés de raser leur barbe.

L’affaire a fait du bruit dans un pays qui se veut à l’abri de l’islam extrémiste. Les fidèles de la mosquée, réputés apolitiques, sont loin de professer le recours à la lutte armée, comme leurs frères du Daguestan. Mais certains analystes n’excluent pas que ce réservoir de croyants, pour la plupart des jeunes, ne devienne un foyer actif en raison des désillusions du miracle économique et du déni d’expression qu’illustre la réélection le 16 octobre, avec 89 % des suffrages, du président Ilham Aliev. Les groupes extrémistes pourraient remplir le vide laissé par la répression active des autorités.

« Ici la parole est confisquée au niveau politique, religieux et économique », confesse Ressoul, jeune croyant chiite de 23 ans, petite barbiche et costume noir. « Pour ouvrir un simple kiosque à journaux il faut l’autorisation des plus hautes autorités », déplore-t-il. Pour lui, les wahhabites sont des obscurantistes qui s’imposent « là où il n’y a pas d’étude scientifique de l’islam. Quand cette étude apporte la lumière, leur implantation n’est pas possible ».

L’imam chiite Haci Ilgar officiait autrefois à la mosquée Cuma de Bakou. En 2003, il a été arrêté, la mosquée a été fermée parce qu’il avait organisé un suivi de l’élection présidentielle. Après cinq mois de prison, il a retrouvé la liberté grâce aux pressions des organisations de défense des droits de l’homme mais il ne peut plus se rendre à l’étranger.

Membre du Comité azerbaïdjanais pour l’intégration européenne, une association d’intellectuels azerbaïdjanais de tous bords, ce religieux éduqué en Iran rappelle que l’Azerbaïdjan compte seulement « 5 % de vrais pratiquants ». Pour lui, le problème numéro un du pays n’est pas tant l’extrémisme religieux que « la perte du sens de la dignité, le manque d’éducation et l’absence d’élan pour la vie sociale ».

Source: Le Monde

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