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Egypte: censure satellitaire

Censure_satellitaire_1.jpg« C’était incroyable de voir s’interrompre soudainement un programme diffusé en direct. Nous avons cru avoir à faire avec un problème technique mais ce n’était pas le cas », raconte Azzam Al-Tamimi, rédacteur en chef de la chaîne Al-Hiwar basée à Londres et diffusée depuis 2006 via le satellite égyptien NileSat.

C’était le 31 mars à minuit, depuis, la chaîne est introuvable sur le NileSat. L’arrêt de cette chaîne de tendance islamiste quelques semaines après l’annonce le 12 février par les ministres arabes de l’Information d’une nouvelle charte déontologique inquiète beaucoup de journalistes. Celle-ci interdit, entre autres, la diffamation des dirigeants arabes, des personnalités religieuses et des « symboles nationaux », ainsi que la diffusion des matières portant atteinte à la paix sociale, à l’unité nationale, à l’ordre public et à la pudeur.

De leur côté, les responsables du NileSat se sont abstenus de tout commentaire sur la cause de cette « panne ».

« Notre objectif est de défendre les opprimés dans le monde arabe. Nous traitons toutes les questions d’actualité politique, sociale ainsi que religieuse avec une liberté extrême, selon les principes des médias britanniques », ajoute Al-Tamimi, un Jordanien naturisé et qui est également directeur de l’Institut d’islam politique, également basé en Grande-Bretagne. Dans un entretien au téléphone avec l’Hebdo, Al-Tamimi n’a pas cherché à cacher le fait que sa chaîne critique les dirigeants et les chefs d’Etat arabes, des critiques qui visent leurs personnes aussi bien que leurs politiques.

Récemment, Al-Hiwar avait intensifié les émissions consacrées à la Confrérie des Frères musulmans notamment avec la campagne d’arrestation qui a visé ses membres ces dernières semaines. Une émission hebdomadaire a été consacrée à « l’oppression » des Frères musulmans où intervenaient les familles des personnes arrêtées pour décrire « la torture » que subissent leurs proches dans les lieux de détention. En revanche, Al-Hiwar ne s’était jamais intéressée à divulguer l’opinion du gouvernement égyptien.

« Juste après le début de la diffusion de cette série d’émissions, la société intermédiaire GoldCoast nous a prévenus que les autorités égyptiennes voulaient arrêter notre diffusion sur le NileSat. Nous leur avons demandé un délai pour trouver un créneau sur un autre satellite et prévenir nos téléspectateurs, mais aucun délai ne nous a été accordé et la transmission s’est arrêtée soudainement », poursuit Al-Tamimi sur un ton révolté. Il exprime son intention d’intenter un procès, sans tout à fait savoir contre qui : NileSat ou GoldCoast ?

En attendant, les émissions d’Al-Hiwar ont repris sur les satellites Arab Sat, Atlantic Sat et Hot Bird.

En fait, beaucoup de spécialistes estiment que l’interdiction des chaînes controversées sur le NileSat n’aura pour effet que faire perdre de l’argent à l’Egypte. Surtout que le Qatar, devenu la plaque tournante des médias au Proche-Orient, a refusé de signer la nouvelle charte médiatique. Ses portes resteront donc ouvertes aux ondes bannies.

D’autres pensent que l’interdiction d’Al-Hiwar est un avertissement destiné à toute chaîne osant critiquer le régime. Béchir Hassan, directeur de l’émission 90 Minutes diffusée sur la chaîne privée Al-Mehwar, est contre le principe d’arrêter la diffusion d’une chaîne sur un coup de tête. « Les responsables de la chaîne concernée doivent être officiellement prévenus de la décision et des raisons derrière, et doivent avoir l’occasion de se défendre », estime-t-il. « J’espère que cette décision n’aura rien à voir avec la charte récemment adoptée par les ministres arabes de l’Information, parce que si tel est le cas, cela signifie que nous faisons face à une menace directe et que nos médias sont en régression », ajoute Hassan. Tout en reconnaissant que beaucoup de chaînes satellites ont propagé la bêtise dans le cadre de programmes dits « religieux » et ont abusé de leur liberté pour faire de l’incitation, Gamal Kechki, un journaliste de Dream, une autre chaîne privée égyptienne, affirme toutefois que de telles mesures sont susceptibles d’affaiblir la qualité de beaucoup d’émissions. « Les journalistes auront peur de débattre un sujet sensible de peur d’être accusés de partialité », note-t-il.

Les réactions n’ont pas tardé à la suite de l’annonce depuis le siège de la Ligue arabe de la charte déontologique. Provenant du Syndicat des journalistes, ainsi que d’autres ONG internationales, comme Reporters Sans Frontières (RSF) ou Human Rights Watch (HRW), entre autres, les communiqués ont afflué dénonçant les restrictions qu’impose ladite « charte » sur la liberté d’expression. D’après RSF, l’Egypte est le 146e pays sur une liste qui en compte 169 en termes de liberté d’expression et de presse.

Appelé à se prononcer devant le Parlement, le ministre de l’Information, Anas Al-Fiqi, a déclaré que les modalités de la mise en œuvre de la charte n’avaient pas encore été définies, ce qui selon lui prouve que l’arrêt des émissions d’Al-Hiwar n’a rien à voir avec la charte. Au cours des débats dans l’hémicycle, Al-Fiqi a estimé que les Frères musulmans profitent de la liberté dont bénéficient les chaînes officielles et s’y expriment librement. « Cela dit, nous n’avons pas l’intention de leur permettre d’avoir leur propre tribune médiatique », a-t-il aussitôt ajouté.

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