(Le Figarot) – Ils avaient été prévenus. Sinon eux-mêmes personnellement, du moins les responsables de ces Églises protestantes coréennes qui se sont spécialisées dans l’évangélisation des terres à majorité musulmanes, qu’elles soient en Asie ou au Proche-Orient. Depuis la décapitation du traducteur coréen Kim Sun-il en juin 2004, en Irak – où il souhaitait transmettre la Bonne Nouvelle – le gouvernement de Séoul n’a cessé de mettre en garde ses ressortissants. Encore en février dernier le ministère des Affaires étrangères sud-coréen avait averti ses citoyens voyageant en Afghanistan pour des missions chrétiennes ou humanitaires, des risques qu’ils encouraient d’être enlevés.
Mais les croyants coréens n’ont cure du danger. L’été dernier, ils avaient souhaité organiser une sorte de « festival de la paix » du côté de Kaboul en présence de plus d’un millier de missionnaires. Ce n’est que devant l’ampleur des menaces qu’ils avaient finalement renoncé à leur folle entreprise.
Aussi déterminés que ces protestants presbytériens qui sillonnaient les terres les plus hostiles au XIXe siècle, les Coréens considèrent fièrement leur communauté presbytérienne comme la plus importante au monde. On estime à plus de 15 000 le nombre de missionnaires chrétiens coréens qui évangélisent hors de leurs frontières, majoritairement en Asie, et plus particulièrement en Asie centrale et en Russie. Leur présence est également notoire en Chine.
Si, en 1784, les catholiques arrivent les premiers en Asie, où ils s’apprêtent à subir près d’un siècle de persécutions, la première église protestante a, elle, été bâtie en 1884 par des missionnaires américains. Depuis le début de l’occupation japonaise de la Corée en 1910, le protestantisme a doublé tous les dix ans. Il est aujourd’hui bien placé sur la liste des confessions nationales. Les chrétiens, intégrant les croyances religieuses locales, ont apporté avec eux les valeurs des droits de l’homme et de la démocratie. Ils ont souvent été aux avant-postes des luttes pour l’indépendance.
Les missionnaires coréens sont désormais les plus nombreux, après leurs homologues américains. Les uns et les autres partagent nombre d’attitudes et de desseins.
L’Afrique, l’autre continent
Pour ces Églises évangélistes, c’est le musulman qu’il s’agit le plus souvent de convertir. Et en dehors de l’Asie, c’est l’Afrique – l’autre continent où le christianisme est en hausse – qu’il convient d’évangéliser.
Directeur d’étude à l’École des hautes études en science sociale (EHESS), Jean-Pierre Dozon observe ce phénomène africain depuis de longues années. « On constate, dit-il, un mouvement de l’islam, très dynamique, en direction de pays d’ancienne tradition chrétienne comme la Côté d’Ivoire, le Bénin ou la Togo. Des méthodes parfois radicales sont employées dans ces contrées par des groupes liés aux wahhabites, aux salafistes ou aux Frères musulmans. » Mais les « mouvements du réveil » protestants, ne sont pas en reste, qui évangélisent aussi bien les catholiques que les musulmans. « Beaucoup d’entités ecclésiales viennent des États-Unis comme la Foursquare Church, très décentralisée », note Jean-Pierre Dozon. « Mais on note aussi le développement d’Églises d’origine africaine qui exportent leurs propres missionnaires sur le continent, depuis le Ghana ou le Nigeria. »
Les missionnaires protestants venus d’Amérique du Sud ne sont pas en reste. « L’Église universelle du Royaume de Dieu », d’origine brésilienne, s’est ainsi d’abord développée dans les pays lusophones comme l’Angola ou le Mozambique, puis dans des contrées anglophones. Depuis peu, certaines de ces Églises chrétiennes sont parvenues à s’implanter dans des pays à majorité musulmane comme le Niger, le Mali ou le Sénégal. « Les musulmans ou les chrétiens protestants qui emploient tous le même vocabulaire tiré du registre des croisades, ajoute Jean-Pierre Dozon, se développent par leur prise en charge des secteurs de l’éducation et de la santé, laissés à l’abandon par les gouvernements. »