Soixante ans après, la Partition demeure l’abcès de fixation du Cachemire…
L’affaire du Cachemire est en effet un sous-produit de la Partition. En 1947, il est la principale province à majorité musulmane ayant pris la décision de ne pas rejoindre le giron pakistanais. Des paramilitaires pakistanais lancent alors une offensive et enfoncent les défenses indiennes. Ils sont stoppés sur une ligne qui deviendra celle du cessez-le-feu, puis la ligne de contrôle, qui est grosso modo la même depuis 1948. Pour les Indiens, le Cachemire est le symbole de l’identité séculariste et multiculturelle que le pays veut préserver. Pour les Pakistanais, il est le symbole de la Partition inachevée : leur nation ne sera jamais complète tant que le Cachemire n’y sera pas rattaché. A la fin des années 1980, le Front nationaliste cachemiri réclame l’indépendance, mais il est battu en brèche par des islamistes qui veulent le rattachement au Pakistan.
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Quel effet la Partition a-t-elle eu sur la communauté musulmane restée en Inde ?
Elle a été décapitée. Les élites étaient surreprésentées parmi ceux qui sont partis au Pakistan ; ceux qui sont restés étaient les plus déshérités, artisans, petits paysans. Bien sûr, les professions libérales, propriétaires fonciers et hommes d’affaires de confession musulmane sont aussi restés, parce qu’ils croyaient au sécularisme et au multiculturalisme qu’annonçait le Parti du Congrès au pouvoir. Mais la minorité musulmane, passée d’un cinquième à moins de 10 % de la population par rapport à 1947, s’est trouvée affaiblie et inquiète.
C’est pour la rassurer que Nehru lui a fait quelques concessions. La charia est restée source de droit, alors que la loi coutumière hindoue a été réformée. Cela a introduit un déséquilibre lourd de conséquences lorsque les nationalistes hindous ont pu dénoncer une politique de « deux poids, deux mesures » au service des minorités.
Comment la communauté hindoue est-elle sortie de cette tragédie ?
Le sentiment antimusulman s’est amplifié, surtout chez les nationalistes hindous, pour qui non seulement l’ennemi islamique est à leur porte, mais une « cinquième colonne » loge au coeur de la société indienne. C’est l’ennemi intérieur formé par les millions de musulmans restés en Inde. Dans les années 1980-1990, ces thèmes ont été en toile de fond d’une vague d’émeutes qui a fait des milliers de morts dans le cadre du mouvement d’Ayodhya, du nom d’une ville du nord de l’Inde où les Moghols avaient construit une mosquée sur le lieu de naissance présumé du dieu Ram. La mosquée a été rasée en 1992, ce qui a provoqué des violences sans précédent depuis la Partition. Dix ans plus tard, une vague d’émeutes a fait près de 2 000 morts au Gujarat. Les relations restent très tendues.
Le Pakistan est toujours l’ennemi public numéro un. Il est vrai que les deux pays se sont fait quatre fois la guerre en cinquante ans : en 1948, 1965, 1971 et 1999. Le Pakistan est une menace d’autant plus forte du point de vue indien qu’il reçoit l’aide de la Chine. Armer le Pakistan, pour la Chine, est le meilleur moyen de fixer l’Inde sur sa frontière occidentale. Cela dit, l’Inde cherche à sortir de ce face-à -face avec le Pakistan pour acquérir un statut de puissance globale.
La séquelle la plus grave n’est-elle pas la montée de l’islamisme ?
Dès lors que le Pakistan se présentait comme le homeland des musulmans de l’Asie du Sud et une République islamique, il pouvait offrir un cadre propice aux forces politiques dont l’idéologie tirait sa légitimité de l’islam. On oublie parfois que le fondamentalisme islamique, notamment sous l’influence de Maududi, n’est pas seulement une création du Proche-Orient, mais aussi de l’Asie du Sud.
Soixante ans après la Partition, le Pakistan est l’un des épicentres de l’islamisme dans le monde. Le réseau Al-Qaida s’est implanté très tôt dans la région et y dispose de solides relais. Lorsque le djihad n’a plus pu se déployer en Afghanistan, les brigades de l’islamisme international se sont repliées sur l’Asie du Sud pour le mener au Cachemire.
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