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Voile intégral : des médecins désarmés, des musulmans inquiets et des élus pas vraiment concernés

Burqa_2.jpg(Libération)- Septième journée d’audition pour la mission parlementaire d’information sur le port du voile intégral. Quatre députés se sont déplacés mercredi à Lyon pour écouter sur le sujet élus locaux, associations anti-racistes, féministes, fonctionnaires, médecins, principaux de collèges… Le député PC du Rhône André Gerin, qui préside la mission, donne d’emblée le ton. « Notre objectif est de montrer comment ce voile intégral est en fait la partie émergée de l’iceberg d’un intégrisme qui monte dans notre société. » En face, tout le monde a un avis sur le voile intégral. Condamnation unanime à l’exception notable de Kamel Kabtane, recteur de la Grande Mosquée de Lyon qui, visiblement agacé, craint une stigmatisation de l’ensemble de la communauté musulmane. En revanche, peu d’auditionnés ont été réellement et concrètement confrontés à ces femmes en noir. Une exception là encore, les représentants des services de maternités publiques de l’agglomération lyonnaise, visiblement désarmés dans leur pratique quotidienne…

Pascal Gaucherand, chef du service obstétrique de l’hôpital femme-mère-enfant, Daniel Raudrant, chef du service gynécologie des hôpitaux Lyon Sud et Geneviève Beaumont, sage-femme. Tous trois disent la même chose : une augmentation depuis quelques années du nombre de femmes intégralement voilées qui refusent d’être soignées par du personnel masculin. Cela arrive, dans leurs services, en moyenne une fois tous les deux jours. « Evidemment, elles ne représentent qu’une toute petite frange de la population que nous accueillons, mais cela perturbe le service« , résume Pascal Gaucherand. Pour ces médecins, le problème ne se pose pas pour les consultations où l’hôpital propose aux femmes de choisir d’être suivies par des médecins hommes ou femmes mais pour les accouchements, examens techniques  et interventions d’urgence, où ce choix n’est pas possible.

« Il est difficile d’établir une relation de médecin à patient avec une femme dont on ne voit pas le visage. »

Daniel Raudrant raconte un récent accouchement où, suite à une complication, un médecin de garde homme a dû intervenir pour sortir le bébé aux forceps. Le mari de la patiente l’a violemment frappé. Il a fallu le réanimer pour qu’il puisse terminer son intervention. Geneviève Beaumont, sage-femme, parle des problèmes rencontrés avec l’embauche dernièrement de deux sages-femmes hommes à l’hôpital femme-mère-enfant. « Jusqu’ici, nous n’avions pas de problèmes car nous n’étions que des femmes, mais, désormais, il faut des heures de négociations pour convaincre« . A Lyon Sud, Daniel Raudrant a placardé des affichettes pour informer les patients que du personnel homme pouvait être amené à examiner les patientes. Les affiches sont régulièrement déchirées. « J‘ai même été inscrit comme ennemi de l’Islam sur un site internet« . Plus globalement, ces médecins parlent des difficultés relationnelles que leur pose le port de ce voile couvrant. « Il est difficile d’établir une relation de médecin à patient avec une femme dont on ne voit pas le visage. D’autant que, souvent, leur mari répond à leur place« . Les chefs de services auditionnés sont d’accord pour ne pas « céder » à ces demandes. Ils se disent contre une loi spécifique interdisant le voile intégral. Mais ils ne savent pas non plus comment gérer le problème.

A leur suite, deux principaux de collège en zones dites sensibles. Ils ne sont pas confrontés au voile intégral. Peut-être, avance Annick Teyssedre, principale d’un collège du 8è arrondissement de Lyon, parce qu’il existe dans l’agglomération un lycée privé islamique, Al Kindi, où vont ces familles. Eric Bellot, principal du collège Henri Barbusse à Vaulx-en-Velin n’a aucun problème non plus. »Je vois ces femmes dans le quartier, on les reconnaît à leurs enfants, c’est d’ailleurs le seul moyen de les reconnaître. Mais nous n’en avons pas comme parents d’élèves« . Annick Teyssedre ajoute que depuis la loi de 2004 sur l’interdiction des signes ostentatoires à l’école, elle ne rencontre plus de soucis non plus avec le voile tout court. « Les élèves qui le portent l’enlèvent en entrant ». Elle a, en revanche, été confrontée récemment à une curieuse demande de certains enseignants de son collège qui souhaitaient interdire l’accès à l’établissement à des mères voilées (mais à visages découverts) pour les réunions parents-profs. Elle a refusé.

Les députés de la mission parlementaire élargissent alors le sujet. N’ont-ils pas des problèmes à la cantine ? « Il paraît qu’il y a des parents qui demandent désormais si les carottes râpées sont hallal », ironise André Gerin. La question fait sourire le principal du collège de Vaulx-en-Velin. Les problèmes dans son collège sont ailleurs. Sur 600 élèves, seuls 25 mangent à la cantine. Faute de moyens. Les deux principaux de collège évoquent en revanche quelques soucis avec les sorties piscines. Ils dénoncent les médecins qui fournissent des certificats de complaisance à des jeunes filles pour qu’elles ne fassent pas de sport de l’année.

« On les compte sur les doigts de la main« 

Plusieurs maires de communes de l’agglomération lyonnaise viennent également donner leur avis sur le voile intégral et bien souvent sur le voile tout court, faute d’être d’être réellement confrontés à des problèmes liées à ces femmes. Des femmes intégralement voilées, ils en ont vu quelques-unes. Ou mieux, connaissent des gens qui en ont vu. « On les compte sur les doigts de la main« , résume Bernard Perrut, maire UMP de Villefranche-sur-Saône. Ce qui ne  l’empêche pas de s’inquiéter d’une « montée des intégrismes« . Il cite le cas d’une convertie de sa commune qui vient de monter une entreprise de confection de foulards islamiques.

Une association féministe, Regards de femmes, vient demander l’interdiction pure et simple de toute forme de voiles religieux. Plus tard, Alain Jakubowicz, avocat de la Licra, pose la question de la nécessité d’une loi spécifique interdisant le voile intégral. Il estime que « ce phénomène n’est plus marginal ». Parle « d’un défi lancé à la République », « par des ennemis de la démocratie« . Mais le juriste prévient les parlementaires : « une telle loi serait une loi d’exception« . « Or, une loi qui serait contre le monde musulman ne serait pas acceptable. C’est le défi que vous devrez relever« .

C’est là toute l’inquiétude de Kamel Kabtane. Le recteur de la Grande Mosquée de Lyon, répète sa peur d’une « stigmatisation de l’ensemble des musulmans de France« . Il parle du voile intégral comme d’un « Ã©piphénomène« . Craint que ce débat public, « très médiatisé« , ne suscite des vocations. « J’en vois de plus en plus à la Mosquée depuis qu’on en parle dans les médias« . Kamel Kabtane est irrité. Il retourne les questions vers les parlementaires et leur reproche de nourrir l’islamophobie en France.

Alice Géraud (Libération: 16/10/2009

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4 comments

  1. Face à la République française, il faut que le monde musulman soit clair et précis. Si l’ensemble des musulmans et les recteurs en particulier ne prennent pas position eux-memes pour défendre l’islam et rejeter l’islamisme, comment veulent-ils alors qu’il n’y ait pas de stigmatisation? C’est à eux de défendre leurs valeurs et leur foi et de nous montrer qu’ils ne veulent pas plus que nous d’une montée de l’islamisme en France. ça passe par une position forte et ferme sur la burka qui représente pour les français et les françaises une abnégation des droits de la femme et donc de l’égalité des sexes. C’est inconcevable! Il faut donc que les musulmans réalisent que les français n’ont rien contre leur religion, ni celle des autres mais à la condition qu’ils préservent et défendent les droits de l’Homme et donc de la femme institués chez nous depuis fort longtemps. C’est à eux de se dresser contre les intégristes qui déforment l’islam si ils ne veulent pas être associés à eux. Quand les français le font, ils se font traiter de racistes. On ne peut pas tout accepter!! On peut être tolérant et respectueux envers un musulman « modéré » et ne pas supporter « l’ islamisme » et tout ce que véhicule ce courant dangereux, y compris la burka! Des milliers de femmes qui la portent voudraient avoir la chance de vivre en France pour ne pas la porter et être libres, et on doit accepter cette « nouveauté » téléguidé par un obscur réseau intégriste! Nous en avons assez d’être considérés comme des mécréants. Si les musulmans ont du respect pour nous et notre République, ils doivent se mobiliser dans leur communauté pour se positionner et se défendre contre l’islamisme et ils auront le soutien des français et des occidentaux en général. Respecter une religion c’est normal, mais lorsque les dérives radicalistes représentent un danger pour la société et la démocratie, il faut se mobiliser et dire stop!

  2. @ Leila :
    Un discours touchant tellement il est naïf…
    Je crois qu’il faudrait revenir sur le rôle des protagonistes évoqués dans cette belle déclamation :

    1) La République française, l’Etat français, la société française : Mme, l’état français a été le premier à brader la République. Deux tendances se dessinent :
    a) On a d’une part une forte opposition à tout ce qui vient de l’islam, motivée par un racisme anti-musulman déguisé. C’est le cas de la Droite et de l’opinion publique qui se déclarait je cite « raciste » (3 français sur 4, en 2007);
    b) on a d’autre part une immense sympathie envers les mouvements intégristes, quelque soient leurs crimes, la régression qu’ils imposent aux populations, aux femmes, aux homosexuels, etc. Pourvu qu’ils soient anti-américains, disent les anciens communistes. Et ça, c’est la gauche française qui, je le signale, a par exemple été très favorable au FIS en Algérie, dont on a vu le développement terroriste et les crimes contre l’humanité.

    2) Les médias français : Ils se sont faits les diapasons d’une opinion publique raciste et anti-musulmane. On ne compte plus les animateurs racistes, les émissions destinées à faire peur sur le péril islamiste, les amalgames, les manipulateurs qui comptent en tirer profit contre la cause palestinienne, etc.

    3) Les gouvernements arabes : comment peut-on demander aux gouvernements arabes de se prononcer contre l’islamisme alors que ces gouvernements sont illégitimes, corrompus, soutenus bien sûr par la France et l’Occident,… quand ils tirent eux-mêmes leurs légitimité d’un usage plus que douteux de la religion en politique ?

    4) Les intellectuels arabes laïques ou démocrates : quand ils s’expriment, leur voix n’est pas entendue, on leur préfère les barbus, plus sensationnels, plus exotiques. Toutes les routes vers l’opinion leur sont barrées, les médias organisent leur boycott systématique, etc.

    Conclusion : au lieu de vous dérober à votre responsabilité historique, en renvoyant la balle aux « pays arabes » ou aux « musulmans » (qui sont des populations avant tout dominées par des gouvernements corrompus), commencez par balayer devant votre porte. Vous avez la liberté d’expression et, bizarrement, quand vous l’utilisez, c’est pour culpabiliser les musulmans qui en sont dépourvus.

    Non Mme, les musulmans se sont clairement exprimés : lisez Arkoun, lisez Meddeb, lisez Assayid Al Qamni, lisez les écrivains égyptiens, … Non Mme, c’est votre système qui est sourd, il n’entend rien !!! Il est tellement anti-musulman qu’il n’entend que la voix des intégristes ! Les autres voix musulmanes n’existent pas pour lui.

    C’est contre ce système là que devrait commencer votre action, si elle veut être efficace.

  3. réponse à Barcha. Je suis d’accord en partie avec certains éléments de votre réponse. L’islamisme tisse son réseau depuis des decennies, à vrai dire, depuis la fin de la guerre froide, et les puissances occidentales ont fermé les yeux par une complaisance assez louche.
    Je lis un certain nombre d’ouvrages sur le sujet pour essayer de comprendre les rouages car c’est un sujet très complexe.
    Je pense que les musulmans et les non musulmans doivent ensemble se faire entendre sur l’islamophobie, puisque ce vocable s’est répandu.
    « Si dénoncer le terrorisme islamiste est islamophobe, alors nous devrions tous nous afficher comme tels. Il existe une islamophobie citoyenne, démocrate, humaniste et progressiste, celle qui empêche un integriste de mettre en application son idée qui veut que la loi de Dieu soit au-dessus de la loi des hommes, celle qui ne montre aucune complaisance à l’égard des discours de haine et des prêches violents, celle qui refuse que les femmes soient infantilisées et réduites au statut d’ombres mobiles et que les minorités sexuelles ou religieuses n’aient plus aucun droit. » de Mohamed Sifaoui, Pourquoi l’islamisme séduit-il?
    C’est ainsi que cessera l’amalgame entre islam et islamisme.
    En France, nous avons effectivement la liberté d’expression. Il est donc possible que les musulmans et non musulmans s’expriment sur ce sujet. Il faut faire remonter le débat, que le peuple s’exprime, chacun en a les moyens grâce à internet.

  4. Bonjour Leila,

    Il ne me semble pas avoir utilisé ce terme d’islamophobie. J’ai plutôt fait référence à une étude très sérieuse émanant d’un observatoire des droits de l’homme qui dit que 3 français sur 4 se disent « racistes ». C’est différent.
    Ensuite, l’argument principal de mon commentaire est que les musulmans qui ont le pouvoir de s’exprimer se sont amplement exprimés, sur tous les canaux possibles, pour condamner l’islamisme intégriste. Simplement, voilà : les médias et l’opinion française ne les entend pas. On entend seulement les intégristes, car eux, permettent de justifier le racisme anti-musulmans…
    exemple de blog : http://anglesdevue.canalblog.com/

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