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Tunisie: le voile qui intrigue

Hijab_1_1_1.jpgPar: LTIFI Adel – Le retour du voile dans la société tunisienne est devenu un phénomène flagrant que nulle ne peut nier malgré l’embargo de l’Etat sur l’information. Un Etat qui a tout fait pour l’occulter par peur que cela ne soit pris comme un échec de sa politique de sécurité mise en jeu dans sa lutte contre le courant islamiste.

Pour expliquer ce phénomène, les opinions divergent. Tandis que certains l’expliquaient par le retour d’un modèle vestimentaire islamique et annonciateur d’une certaine renaissance de l’esprit croyant, d’autres, au contraire, voyaient en cela une apostasie politique annonçant le retour de l’islamisme contre lequel il faut lutter.

LES PARTICULARITES DU VOILE RESCUCITE EN TUNISIE

Il paraît à l’évidence que le voile qui s’est récemment répandu au milieu des femmes et des jeunes filles tunisiennes n’a absolument rien avoir avec celui des années 80 en Tunisie ni d’ailleurs avec le voile tel qu’il est conçu en Orient où l’esprit fondamentaliste est prédominant au niveau officiel et populaire. Le port du voile des années 80 en Tunisie avait marqué l’expansion sociale du mouvement islamiste à cette époque. Ainsi, le choix de le porter rentrait dans le cadre d’un engagement politique collectif et de l’affirmation d’une conviction profonde en un projet politique bien défini alors que le nouveau voile tunisien ne reflète aucune adhérence politique et relève bien au contraire d’une décision individuelle et au fond n’obéit même pas aux exigences de la pensée islamiste. De ce fait, ce voile là n’a rien de religieux ou de spirituel. Néanmoins, cette distinction n’exclut pas complètement l’existence d’un certain engagement politique chez certaines femmes voilées en Tunisie, mais leur nombre reste restreint et ne constitue en aucun cas une généralité comme c’était le cas pendant la première période d’effervescence des islamistes.

En outre, ce nouveau voile se différencie aussi de celui de l’époque déjà évoquée dans son expression insignifiante de tout engagement tribal. Il est évident qu’un grand nombre de celles qui le portent ne se sentent aucunement contraintes de le faire tout le long de la journée ni à toutes les occasions. Ce n’est pas non plus un signe d’application aux pratiques religieuses obligatoires de l’islam comme la prière ni à celles recommandées comme le jeûne en dehors du mois de Ramadan contrairement aux religieuses voilées islamistes des années 80 qui elles se plient strictement à toutes les instructions islamiques. Cette distinction s’observe notamment au niveau du comportement puisque l’austérité de celui des religieuses intervient même dans le choix de leurs futurs conjoints qui doivent incontestablement être des pieux alors que les femmes tunisiennes récemment voilées ont un comportement plus libertin qui se reflète dans un langage familier et relâché et elles n’exigent forcement pas l’application religieuse de la part de leurs futurs maris. Par conséquent, les femmes voilées de l’époque précédente étaient socialement isolées et se mariaient à un âge très avancé à cause de leur militantisme religieux qui, en fait, prônait un islam fondamentaliste. Cela se traduisait à travers leur discours intransigeant qui visait une légitimité conceptuelle s’inspirant de l’islam jurisprudentiel et du pouvoir même du texte coranique.

Vu dans cette perspective, le porte du voile de nos jours en Tunisie ne se contredit en rien avec les reformes concernant la situation de la femme incluses dans le Code du Statut Personnel publié en 1956. En effet, les femmes et les jeunes filles tunisiennes récemment voilées sont majoritairement opposées à la polygamie et n’expriment aucun refus contre le mariage civil. Elles revendiquent même plus de droits en tant que femmes ce qui est loin d’être compatible avec le projet politique des islamistes. A travers une analyse sociologique de ce nouveau phénomène, nous observons que le voile n’est pas un fait isolé puisque sa propagation coïncide avec l’accroissement, d’une part, de pratiques plus mystiques comme la vénération des saints et le recours excessif aux clairvoyantes, et d’autre part, de pratiques plus modernes et tout à fait paradoxales comme l’idolâtrie dans le domaine de la chanson et l’emballement pour les vidéo clips. Où peut-on situer ces caractéristiques isolées du nouveau voile qui envahit la société tunisienne ?

Nous estimons qu’elles peuvent globalement être intégrées et cela malgré leur antagonisme dans ce que nous appellerons l’islam populaire traditionnel et local qui va en parallèle avec l’islam jurisprudentiel d’élite qui obéit au pouvoir du texte. Cet islam local et populiste se caractérise, d’une part, d’une flexibilité par rapport à la réalité sociale ce qui donne une grande liberté aux acteurs sociaux, et d’autre part, il se distingue par son fondement sur une croyance spontanée sans le recours à la base textuelle ou jurisprudentielle. Cet islam là accepte les institutions modernes en même temps que les organisations traditionnelles comme la tribu ou les pratiques mystiques en un genre de pragmatisme dans son rapport à la réalité sociale englobant même les traditions. Il donne, d’autre part, une grande importance à l’aspect religieux et spirituel dans sa signification purement sociale, ce qui relève de la croyance individuelle fondée sur l’expérience personnelle et ne repose en rien sur la notion de l’identité collective ou sur l’idée de supériorité vis-à-vis de l’autre. Ainsi, il faut rester prudent en parlant d’un certain retour à la conscience islamique dans son sens absolu comme le font les islamistes en Tunisie. Nous discernons dans le nouveau phénomène de voile en Tunisie un retour aux traditions y compris celles islamiques plus qu’une quelconque réconciliation avec l’islam d’élite qui demeure complexe et conservateur.

LES METAMORPHOSES DE LA SOCIETE ET LA FRAGILITE DE LA SITUATION DE LA FEMME

Le retour à l’islam populaire spontané et local s’inclut dans des transformations sociales profondes que la société tunisienne a connues ces dernières années et qui ont touché plus particulièrement et plus directement la femme. En fait, la première concerne l’âge avancé auquel la femme tunisienne actuellement se marie contrairement au passé. Cela s’explique, d’une part, par la poursuite de ses études jusqu’au niveau universitaire supérieur et, d’autre part, par la hausse du coût de vie en général qui, par conséquent, augmente les frais du mariage qui se veut moderne au même titre du nouveau mode de vie qui prédomine en Tunisie.

En outre, ces transformations sont étroitement liées à la nature même du changement démographique en Tunisie au niveau social ainsi que celui du quotidien des habitants, qui s’est manifesté dés les premières mesures prises dans le cadre de la nouvelle politique de contrôle des naissances « le Planning Familial ». De nos jours, il est évident que la société tunisienne vit une grande régression du taux des naissances qui a engendré une métamorphose dans la structure de la famille dont le nombre de ces membres en moyenne ne dépasse plus quatre. La décroissance du nombre des enfants a donné plus de moyens au pouvoir d’achat des parents, ce qui leur a permis d’investir plus dans l’éducation et cela a contribué, comme nous l’avons déjà signalé, au retardement du mariage des jeunes filles. Toutefois, la croissance du nombre de naissances des filles comparé à celui des garçons a malheureusement augmenté le nombre des veilles filles (ou a rendu le phénomène du célibat plus accru).

Par ailleurs, il est crucial de noter concernant ces transformations que la nouvelle situation démographique et tous les nouveaux phénomènes qu’elle en a engendré sont entièrement en contradiction avec la culture dominante dans la mesure où elle entretient un certain conservatisme surtout au sujet de la femme. De ce fait, le mariage à un âge avancé et le célibat sont, d’une part, la conséquence d’une réalité sociale et d’un certain « comportement démographique », mais demeurent, d’une autre part, culturellement inacceptables étant donné qu’une femme qui reste célibataire atteignant la trentaine se voit comme un fardeau non pas envers sa propre famille uniquement mais aussi pour la société. Ainsi, le mariage représente souvent l’un des objectifs de la majorité des jeunes filles si ce n’est pas le seul d’où l’esprit de concurrence qui règne entre elles pour éviter le célibat, une vrai chasse à l’homme, ce chanceux futur mari. Ici, le voile donne l’avantage à celle qui le porte en lui offrant le maximum de points dans cette soi-disant compétition puisqu’il est le symbole de la pudeur et de la chasteté, ce qu’un homme généralement cherche dans sa future femme. L’écho de cet esprit résonne dans les expressions verbales même des tunisiens l’exprimant ouvertement en disant par exemple « elle s’est voilée parce qu’elle veut se marier ». De même que, outre l’aspect religieux que lui offre le voile, elle en profite médicalement dans la mesure où il constitue une protection contre les rayons du soleil et donc il lui garantit une peau plus saine et plus clair, et d’ailleurs c’est une carte de plus dans sa quête du futur mari.

Ce nouveau phénomène n’a pas seulement modifié l’idée de la jeune fille tunisienne « voilée » d’elle-même, mais aussi celle du jeune tunisien envers elle pensant qu’elle serait moins exigeante que la jeune fille dite « moderne » et par conséquent la vie avec elle avant et après le mariage serait moins coûteuse, ce qui représente souvent un facteur déterminant dans son choix de sa future femme surtout dans une société où le pouvoir d’achat ne cesse de dégringoler. Vu dans cette perspective, le voile dépasse la sphère du religieux pour intervenir dans l’économique, le social, le culturel, voire le psychologique. Cette polyvalence donne au voile tunisien une certaine interactivité par rapport à son environnement social et au-delà de toute transcendance le désacralise pour qu’il devienne non plus une fin en lui-même, mais juste un instrument. En effet, il est à la fois le signe de la pudeur et le moyen par lequel la jeune fille assurera son avenir avec son futur mari. Cette instrumentalisation a fait de sorte que le voile tunisien soit qualifié de phénomène récent et nouveau qui regroupe conservatisme et ouverture dans son interaction avec le cadre social tunisien spécifique qui lui impose une certaine flexibilité.

Nous notons également, parmi les transformations qui ont touché en premier lieu la femme tunisienne en général en comparaison avec les acteurs sociaux masculins, la dislocation familiale. Elle s’est manifestée de deux façons différentes. D’une part, à travers la dévaluation du rôle important de la famille au sens large du terme comprenant les trois générations, allant des grandparents aux petits enfants, en faveur de la famille nucléaire qui, étant plus restreinte, devient plus compatible avec le mode de vie citadin moderne. Et parmi les conséquences de la régression de la structure même de la famille traditionnelle, nous constatons un renoncement à toute forme de solidarité sociale (traditionnelle) qui lui était propre. La femme, de toute évidence, fut la première victime de cette désunion vu sa vulnérabilité dans une société à forte dominance masculine. Elle se trouve démunie de tout soutien social traditionnel alors que le sexe opposé occupe tout l’espace collectif se réjouissant d’un pouvoir exclusif dans tous les domaines, y compris, à titre d’exemples, ceux du travail et de la politique. Cette dislocation familiale, d’une autre part, se rapporte à la nouvelle famille nucléaire, elle-même, qui se traduit par la hausse importante du nombre de divorces et surtout au cours des cinq premières années de vie maritale.

Par ailleurs, cette désarticulation de la famille traditionnelle fut également la conséquence d’une certaine crise économique et morale dans la société tunisienne. En effet, l’accroissement considérable du coût de la vie était en opposition totale avec la nouvelle culture de consommation qui s’est implantée dans la nouvelle société recomposée pendant les années 70. En l’occurrence, plusieurs femmes, étant privées du moindre droit comme celui de travailler ou d’être indépendante financièrement, ont eu recours à vendre leurs propres corps pour subvenir à leur besoin matériel. Ce phénomène continue d’accroître même de nos jours sous une forme de prostitution non déclarée dont bénéficient certaines femmes bien qu’elles aient un travail, mais leur pouvoir d’achat reste trop faible par rapport au coût de la vie. Toutefois, nous sommes incapables d’en fournir des chiffres parce que étudier ce phénomène ou même en faire un débat est strictement impossible vu l’hégémonie de l’état sur le sujet.

Vu dans cette perspective, nous constatons que le voile procure la femme tunisienne une sorte de sécurité et de protection sociale vis-à-vis de tous ces changements faute de structures gouvernementales et de programmes sociaux qui s’en chargent. Cela nous laisse penser que l’état traite le problème de la femme d’une façon hypocrite pour assouvir des fins uniquement politiques.

LE VOILE ET LA QUÊTE DE SOI

Il nous est impossible d’étudier le phénomène du voile en Tunisie indépendamment de la nature même de la politique officielle que l’état a choisit pour traiter la question du religieux ou celle de la culture plus globalement. Nous signalons également qu’il s’est avéré indispensable pour l’état d’imposer des limites strictes quant aux pratiques religieuses suite à son conflit politique avec les islamistes. Ainsi, certaines pratiques sont devenues révélatrices de l’appartenance politique. Et pour lutter contre toute transgression, l’état a exercé son omnipotence sur la vie religieuse en orientant les associations et les imams vers ses directives et ainsi, leurs paroles sont devenues médiatrices du discours politique officiel. De même que leur donner le libre accès aux médias locaux lui a permis de mieux les contrôler et en même d’attribuer plus de légitimité à ses décisions politiques. Par conséquent, la vie religieuse s’est vidée de tout sens spirituel capable de combler le croyant. En plus de tout cela, l’état s’est même donné le droit de surveiller, voire censurer tous les autres domaines de créativité intellectuelle et artistique pour imposer des modes culturels stériles et miséreux qui ne reflètent pas ni le niveau de conscience ni les besoins de la société. C’est ce qui a barré la route devant toute tentative ambitieuse de créer des modes culturels et artistiques éclairés capable d’une approche rationnelle du Moi et de son environnement.

Devant la crise sociale, la manipulation de la religion et l’absence d’une culture distinguée et innovante, la société tunisienne s’est détournée de la propagande médiatique perdante du régime officiel cherchant d’autres signes pour donner un sens à son existence. Cette tournure s’est effectuée de deux manières différentes. La première s’est exprimée par un retour à la culture locale pour vivre une expérience purement spirituelle loin de la politique. Alors que la deuxième était plus ouverte sur le monde arabe à travers les chaînes de télévisions et les multimédias. C’est ce qui, selon nous, explique la notoriété ravageuse du prêcheur, Amrou Khalid, qui a su, en imprégnant ses prêches de spiritualité religieuse tout en les basant sur la réalité sociale sans aucune prise de partie politique, profiter de cette crise de sens dont souffre le monde arabe et surtout la femme arabe, y compris la femme tunisienne. C’est ainsi que ses prêches jaillissantes de foi compensent la stérilité du discours religieux dominé par l’état et celui des islamistes qui est trop dogmatique même si elles fournissent une conscience erronée de soi et de l’Autre.

Pour conclure, nous pouvons considérer le retour du voile en Tunisie comme un facteur révélateur d’une certaine frigidité et rupture entre l’état et la société, si ce n’est pas en quelque sorte un moyen ou plus précisément l’unique moyen d’exprimer d’une façon latente et négative son refus et son désaccord. Nous attirons également l’attention au fait que ce phénomène ne soit pas le seul qui ait marqué sa présence au sein de la société tunisienne ces dernières années. Et donc, le retour du voile et l’accroissement du nombre des pratiquants dans les mosquées synchronise, comme nous l’avons déjà évoqué, avec le recours excessif, de nos jours, au clairvoyants et l’imploration des saints. Toutes ces transformations contradictoires des pratiques de la société tunisienne nous invitent à mentionner d’autres qui sont encore plus opposées telles que le port du jean cintré, le tatouage ou encore le piercing, sans oublier la musique rap et le hip hop. Le seul point commun entre toutes ces transformations sociétales, est le fait qu’elles se produisent toutes en dehors de la sphère de l’état. C’est ce qui prouve une fois encore que ces phénomènes sont les symptômes d’un mal-être social dont la cause principale est, comme nous l’avons déjà montré, le gap qui existe entre l’Etat et la société et qui est le plus souvent combler par un islam local, simple et ouvert.

Article publié en arabe sur aljazeera.net

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2 comments

  1. Il faut arrêter avec cette fausse sociologie médiatique, qui caresse les Tunisiens dans le sens du poil. Beaucoup de Tunisiens aiment qu’on disent d’eux qu’ils sont à part au Maghreb, à part dans le monde arabe, que Bourguiba leur a donné une avance incroyable, qu’ils n’ont rien à voir avec ces fanatiques Algériens/Marocains/etc ou ces monarchies du pétrole.
    Tout ça, c’est des conneries. Le voile est le signe le plus visible de la fanatisation des masses et la Tunisie ne fait pas exception. Une dictature anti-islamiste l’empêche de sombrer dans une Tragédie comme l’Algérie mais les données du problème sont installées depuis longtemps : dangereux fanatiques gagnant de plus en plus les populations versus modernistes laïques qui assistent impuissants à la réislamisation fanatique de leur société. La vague de fond qui atteint le monde islamique n’a pas épargné le pays de la Zitouna.

  2. que portaient nos meres? nos grand meres? nos arriere grand mere? allaient elle tete nue? elles portaient le hayek (grand voile blanc). vous me direz hayek et hidjab c pas pareil? et pk donc?!
    le hidjab pour moi est seulement un habit plus pratique que le hayek, un habit qui perùet de travailler, de conduire, de mener une vie de femme moderne MUSULMANE.
    denier le droit de la femme musulmane a se voiler c’est lui denier le droit d’interpreter l’islam comme elle le ressent et comme elle le comprend. pour certains le voile n’est pas obligatoire, pour d’autres ça l’est. certains font la priere, d’autres non…l’islam n’est pas appliqué a 100%. laissons a chacun le droit de l’appliquer par le bout qui lui semble le plus facile et qui lui convient le plus.
    je porte moi meme le voile, et quand on me dit que je suis opprimée par la vision fondamentaliste, ça me fait franchement rire. moi opprimée?

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