Qui l’aurait cru ? La faculté de jeunes filles de la conservatrice université islamique a donné pour la première fois des spectacles, y compris de la danse, pour un public exclusivement féminin il est vrai. Mais cela dérange certains quand même.
Du jamais vu à l’Université d’Al-Azhar depuis environ 30 ans, la faculté d’Al-Banat (de jeunes filles) présente un spectacle musical. Dans cette institution religieuse réputée pour son conservatisme, un tel événement paraît plus qu’invraisemblable. Le spectacle s’est déroulé avec plusieurs disciplines, à savoir du ballet, des chansons, des poèmes et du théâtre.La salle était comble, mais avec un public exclusivement féminin. Environ une centaine d’étudiantes ainsi que leurs mères. Les hommes étant exclus. Quoi donc de nouveau ? N’est-ce pas toujours la rigoureuse séparation des sexes ? De toute façon, les mères étaient là pour encourager leurs propres filles. L’ambiance ne manquait pas d’être originale, parce qu’auparavant, ces étudiantes n’avaient pas droit à ce genre d’activités. Une étudiante égaye la fête en interprétant une chanson sentimentale, dont les mélodies sont inspirées des derniers albums du chanteur à succès Amr Diab. Mais les paroles ne sont en fait que des textes lyriques composés par les élèves elles-mêmes. Censure ou autocensure ? « La musique n’est pas interdite, ce sont les paroles qui importent le plus car elles peuvent être vulgaires ou au contraire riches de sens », comme l’explique Névine Moustapha, étudiante en 4e année.
Tous les yeux sont braqués sur le spectacle de danse classique. Vêtues de robes de mariée, les jeunes filles tournent et virevoltent avec une grâce angélique. Tout semble parfait et la fête se termine en beauté. Le jeune public se précipite pour s’inscrire à des cours de danse, de chant ou autre.
Une première dans cette université plutôt rigoriste où la fille n’a certainement pas de place dans de telles activités artistiques. Arriver à convaincre les membres de l’université à ce que les étudiantes puissent pratiquer de telles manifestations n’a guère été une tâche facile. « Il est vrai que certaines activités, surtout le sport, ont toujours existé, mais elles étaient uniquement réservées aux étudiants mâles. J’ai donc décidé d’encourager toutes les étudiantes qui possédaient un certain don artistique à se lancer dans cette aventure », souligne le Dr Zamzam Hilal, responsable des activités et chef du département de l’hébreu à la faculté de jeunes filles, tout en ajoutant qu’elle ne conçoit pas l’idée qu’une fille soit privée de développer ses talents parce qu’elle suit des études dans une université comme Al-Azhar, où le conservatisme et l’islamisme dictent leur loi. Elle ne le comprend d’autant moins qu’elle juge que l’islam a toujours respecté l’art. « Un message que je voulais transmettre à la société tout en tentant d’améliorer l’image de notre université ». Cette image qui juge l’Université d’Al-Azhar comme une institution extrémiste qui ne fait sortir actuellement que des étudiants islamistes accusés de semer le trouble et la tension. Et ce notamment après les derniers événements des miliciens cagoulés se livrant à des démonstrations d’arts martiaux, entre autres karaté et kung-fu.
D’ici, l’idée a commencé à germer dans l’esprit de Mme Zamzam qui a voulu que ces activités omniprésentes soient réellement appliquées, et cela dans le cadre du plan adopté par l’Organisme des palais de la culture et dont l’objectif est de relancer les différents arts dans les universités égyptiennes.
Et cette initiative a eu pour point de départ Al-Azhar. Les étudiantes de la faculté de jeunes filles ont participé à un camp culturel qui a eu lieu à l’Université de Tanta, organisé dans le cadre de la « semaine des universités », manifestation annuelle regroupant les étudiants et qui était jusque-là un espace masculin, ce camp s’est également ouvert aux filles mais non sans problèmes. Et bien que le Dr Zamzam ait soumis son idée au Dr Ahmad Al-Taïb, recteur de l’Université d’Al-Azhar, qui n’a montré aucune réticence, beaucoup de professeurs et de surveillants lui ont mis des bâtons dans les roues. D’autres l’ont même traitée de folle et de personne voulant déformer l’image de l’islam.
Mais elle a toujours tenu bon face aux préjugés. « Je ne laisserai jamais ma fille chanter et danser comme Nancy Agram, la sulfureuse danseuse libanaise. Ce n’est pas seulement haram (un péché) mais aussi scandaleux de voir une azharite récitant le Coran, la parole de Dieu, qui commence à chanter et à danser en public », dit l’un des parents révoltés du fait que sa fille voulait joindre la troupe musicale. Mais elle ne ratait aucune occasion pour encourager ses étudiantes à pratiquer l’activité qu’elles souhaitaient, à savoir peinture, bricolage, chant, théâtre … Elle a choisi la fête des mères pour lancer son premier spectacle tant attendu.
Ambitieuse, Nasma Nabil, en 3e année, l’organisatrice principale de cette fête a tant rêvé depuis sa première année à la faculté de cette représentation. Une mini-révolution dans une université aux coutumes traditionalistes ? Espérant avoir plus d’égards, elle a rassemblé ses amies talentueuses et a formé de petites troupes, à savoir une pour le ballet, une deuxième pour le théâtre et une troisième pour la poésie et le chant. Et après plusieurs semaines d’entraînement et de répétitions, ces amatrices ont déployé des efforts extraordinaires pour mener à bien leur mission. « Je suis tellement heureuse d’avoir réalisé un tel exploit. Chacun de nous a un talent, mais jamais n’a osé le développer », explique-t-elle. Tout en ajoutant qu’elle a connu bien des déboires pour former ces troupes.
Selon elle, les réactions de certaines étudiantes étaient plutôt surprenantes. « Durant les répétitions, on entendait des moqueries décrivant notre initiative par un new look donné à l’Université d’Al-Azhar qui dorénavant formera des danseuses au lieu des prédicatrices », se plaint Nasma. Cependant, cela ne les a guère découragées. Elles étaient convaincues que le manque de confiance en soi et l’incapacité de découvrir ses talents sont deux facteurs qui mènent à un échec personnel. Un autre problème a été le manque de moyens. « Pour présenter surtout la troupe de danse, il nous a fallu des robes avec de longues manches. Bien que notre public ait été exclusivement féminin, nous n’avons pas voulu ôter nos écharpes ou le khimar qui couvrent notre chevelure. Nous avons donc décidé de porter des robes blanches », affirme-t-elle, tout en ajoutant qu’elle ne regrette pas de s’être donné tant de mal. Or, le fait de louer ces robes nécessaires pour la fête n’est pas une tâche aisée. « Une seule robe coûtait 150 L.E., alors que nous avions besoin de 8 robes pour le spectacle », dit Siham Saad, une compositrice et réalisatrice de ce groupe musical. Celle-ci confie que le seul moyen était de vendre quelques bijoux.
Le Dr Iglal Hachim, ministre adjoint de la Culture, pense que la fête organisée par la faculté d’Al-Banat est un grand défi et un pas audacieux. De plus, le fait de les préoccuper par ces activités est la seule solution pour les éloigner de toute idée destructive. « En proposant un programme riche et varié, ces filles ont bel et bien gagné leur pari de rendre l’art et l’activité accessibles à tout élève et n’importe où même si c’était à Al-Azhar, dont le rôle est de clarifier l’image de l’islam sur la scène. Et pour les encourager, nous leur avons envoyé un comité d’arbitrage pour sélectionner et donner un coup de pouce aux talentueuses », explique-t-elle, tout en ajoutant qu’un concours littéraire de poésie sera effectué pour choisir les chefs-d’œuvre et les publier dans un livre. « N’est-ce pas une représentation artistique, qui peut permettre aux étudiantes de s’exprimer et de s’affirmer dans leur discipline au sein de l’université, est préférable aux manifestations des miliciens cagoulés d’Al-Azhar ? ». Le Dr Iglal a sans doute bien raison .
Chahinaz Gheith, Al Ahram Hebdo 29/05/07