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Affaire des caricatures danoises: Les supercheries de la liberté et de la religion

Par: LTIFI Adel

Les responsables du journal danois ainsi que ses lecteurs ne s’attendaient pas, c’est certain, à devoir faire face à une telle réaction dans le monde arabo-musulman. On ne s’attendait pas, non plus, à ce qu’une affaire de simple production « artistique », comme la qualifie les responsables du journal, puisse prendre une telle ampleur entraînant la rupture des liens diplomatiques entre le Danemark et des pays musulmans. Avec les réactions et les contre-réactions, l’affaire semble revivifier une histoire lointaine qui plonge dans les sillages des affrontements médiévaux entre l’Europe, chrétienne à l’époque, et l’Islam. La forte focalisation sur l’élément religieux semble donner légitimité à un pessimisme annonciateur d’une guerre de religions.

L’affaire a suscité tant de questions. A t-on le droit de caricaturer un prophète, en particulier le prophète de l’Islam ? Quelles sont les frontières entre la liberté d’expression et le respect des croyances religieuses ? Les dessins cautionnent-ils les islamophobies ? Malgré leur diversité, ces questions semblent orienter le débat vers le choix entre deux semblants d’extrême : défendre les caricatures, donc défendre les libertés et la laïcité, sinon défendre le prophète et le sacré religieux, avec ce que cette position implique comme légitimation de l’intégrisme ou, du moins, du traditionalisme musulman. Or, il me semble que ce que cette affaire révèle de plus important, ce n’est pas le duel entre liberté et religion, mais plutôt la manipulation de la liberté et la manipulation de la religion.

Pour dévoiler ces implications manipulatrices, occultées de parts et d’autres, un détour sur les différentes dimensions de l’affrontement caricatural est indispensable pour mieux cerner les implications réelles, et surtout pour délocaliser le débat hors du champ de la subjectivité, religieuse comme laïque.

1- Il va sans dire que se pose, au premier abord, une question de principe. Peut-on, en effet, caricaturer le prophète de l’Islam et comment ? Sur ce point, la réponse ne peut être que d’ordre philosophique. En effet, la question relève des rapports complexes entre la liberté et le sacré. Notre façon de penser la liberté est en rapport avec notre définition de l’être nature et de la nature de l’existence. Faisant partie de cette existence, et donc de la nature de l’être, le sacré est le produit de l’accumulation de l’expérience humaine, il est l’une des manifestations de l’histoire, c’est un fait humain par excellence, et cela malgré sa prétention de se positionner au-dessus de l’intelligibilité objective. En tant qu’expérience humaine, le sacré, et pour le cas qui nous occupe ici, celui du prophète de l’Islam, ne peut représenter une exception de la connaissance humaine, et les musulmans dans quelques pays, je parle ici des croyants ordinaires, doivent admettre aujourd’hui la possibilité, voir la nécessité, de penser les symboles du sacré religieux dans des perspectives d’art ou de savoir. Ainsi, les demandes des manifestants dans les pays musulmans, de respecter l’Islam et surtout les quelques incitations à la mort des journalistes et caricaturistes, semblent mener le monde à contre-courant de l’histoire. C’est une grave régression devant laquelle il ne faut pas s’incliner.

Cependant, la liberté ne peut être définie en dehors de son rapport à la conscience des actes, comme le suggère H. Bergson, ce qui implique, évidemment, une connaissance de son objet. On ne peut s’empêcher alors de questionner les caricatures sur leur respect de cette conscience et surtout sur leur apport à la connaissance et à la conscience. Une caricature représentant la tête de Mahomet sous forme d’une bombe, ne reproduit-elle pas des clichés d’une extrême trivialité qui associe l’Islam, comme un tout, à la violence et au terrorisme? N’y a-t-il pas là la stigmatisation de toute une culture ? Cette lecture essentialiste de l’islam, quoi qu’elle émane de simples dessins, n’est-elle pas la même lecture vantée par les intégristes ? Il me semble que les caricaturistes, ainsi que le journal danois, ont été plutôt inspirés par la subjectivité du contexte que par l’objectivité de leur connaissance. En tant que telles, les caricatures représentent en premier lieu une atteinte à l’intelligence humaine, et c’est là où elles se croisent avec l’intégrisme que les caricaturistes prétendent combattre. C’est une hypocrisie de liberté qui s’alimente de l’extrémisme islamiste tout en l’alimentant. Ce qui est condamnable donc c’est aussi cette manipulation de l’objectivité du principe de la liberté des arts et des savoirs pour produire de l’ignorance et semer la confusion. De ce point de vue, les caricatures représentent plus une atteinte à l’intelligence humaine qu’une atteinte blasphématoire à un sacré transcendantal.

2- La dimension politique de l’affaire s’impose sans équivoque. Il est difficile de pouvoir construire une opinion sur ce semblant d’affrontement, sans rendre compte du contexte politique qui alimente les protestations et les débats actuels. C’est là qu’il faut chercher les vraies motivations des uns et des autres et les éléments explicatifs de l’ampleur des réactions des musulmans. L’ambiance globale d’un islamisme montant, et d’une islamophobie de plus en plus partagée et publiquement affichée en Europe, donne un premier éclairage sur les leviers de l’affaire. En effet, et depuis l’assassinat du cinéaste néerlandais Théo Van Gog, les pays nordiques sont de plus en plus impliqués dans un affrontement avec l’islamisme radical, qui était jadis limité aux confins sud du vieux continent, là où l’héritage historique foisonne et pèse sur les réalités sociales et politiques. Les journalistes prétendent que les caricatures étaient un moyen pour dénoncer l’intégrisme islamiste qui menace d’un retour à une époque révolue. Si telle prétention est vraie, on se demande alors pourquoi le choix d’un symbole qui renvoie plutôt à toute une culture et à tout un espace civilisationnel ? Pourquoi ne pas choisir une figure de cet intégrisme ? Peut-on procéder à caricaturer Jésus poignardant un médecin américain, rien que pour dénoncer l’intégrisme chrétien anti-avortement dans ce pays de forte tradition puritaine ?

Par ailleurs, il faut avouer que les protestations des musulmans, surtout en Europe puisqu’ils étaient les premiers à avoir internationalisé l’affaire, s’alimentent d’une politique de deux poids deux mesures en matière de liberté d’expression et de respect du croire identitaire. Il est ambivalent de voir, parmi ceux qui défendent aujourd’hui en France une liberté absolue face au conservatisme musulman, des figures qui se sont acharnées, il n’y a pas longtemps, sur l’humoriste Dieudonné au nom du respect du sacré identitaire juif. On n’a pas non plus entendu ces voix qui défendent la liberté de l’expression, s’exprimer à l’occasion du dévoilement de ce qui aurait été un plan américain de bombardement des locaux de la chaîne arabophone Al Jazeera. Cette hypocrisie liberticide procède d’une conception différentielle de la liberté et du sacré ; il y a désormais deux sacrés : l’un respecté, parce qu’il est pouvoir, l’autre suspect parce qu’il est figure d’une altérité. C’est ainsi que les principes de la liberté, de la laïcité et de la république, se sont transformés en arme redoutable pour la construction de l’altérité. Le communautarisme musulman, surtout en France, prospère sur la base d’une pratique officieuse de communautarisation d’une partie de la société, malheureusement, il semblerait que les acteurs de la société civile n’en ont pas encore retenu toutes les leçons.

L’altérité fonctionne à l’avenant de l’autre côté, chez les musulmans protestataires. Dans ce cas, il est une question que l’on peut se poser. Si les caricatures avaient été faites par des dessinateurs non-musulmans africains, asiatiques ou latino-américains, auraient-elles déclenché de pareilles réactions délirantes? Il me semble qu’il y a dans ce semblant d’affrontement un élément essentiel. Le journal et les caricaturistes danois incarnent l’image presque parfaite de cette altérité dominante, injuste et méprisante ; c’est l’Europe, c’est l’occident, fut-il chrétien ou laïque. La réaction des musulmans aurait été, à mon avis, même plus violente est plus généralisée si c’était un journal américain ou britannique qui était derrière les caricatures. Il n’y a pas mieux, pour un musulman de ce début du vingt et unième siècle, qu’une partie américaine ou britannique qui incarnerait l’autre injuste.

Les réactions des croyants dans le monde arabe et musulman nous dévoilent d’autres formes de manipulation politique. À voir la foule de Syriens défiler dans les rues de Damas en toute liberté dénonçant les caricatures, on se croyait face à une révolution orange à la syrienne qui renverrait la dictature baasiste dans les oubliettes de l’histoire. À voir aussi les gouvernements arabes rappeler leurs ambassadeurs au Danemark ou demander des excuses de quelques gouvernements européens, on se croyait face à l’éveil d’un certain orgueil nationaliste qui respecterait les aspirations de sociétés meurtries par l’humiliation de l’injustice de la politique internationale surtout en Palestine et en Irak. On n’en est pas encore là. L’illusion de la liberté de manifester et l’illusion de l’orgueil national, ne procèdent que d’une politique de manipulation des masses à seule fin de récupérer des bribes de légitimité en prétendant défendre l’identité d’une société prise en otage.

3- Le débat s’inscrit aussi à l’intérieur du champ religieux lui-même, il est, dans ce cas, un débat islamo-islamique. Il s’agit d’une part de comprendre la nature de ce sacré et de l’inscrire, d’autre part, dans le continuum historique. Les musulmans, comme les autres croyants d’ailleurs, doivent reconnaître la relativité de leurs sacrés respectifs face aux sacrés des autres. Le sacré est par essence une négation de l’autre, tant qu’il repose sur la notion de la vérité absolue. En conséquence, le respect d’une forme quelconque du sacré, surtout lorsqu’elle se traduit par l’adoption d’une conduite sociale inscrite dans l’espace public, ne serait en fin de compte, qu’une adhésion à une forme de vérité au dépend d’autres. Aujourd’hui les acteurs musulmans les plus actifs se défendent au nom du respect de la croyance ; or, cette même élite n’a pas réagi de la sorte dans le cas de la destruction des statues de Bouddha en Afghanistan par les Talibans en 2002. Le clash des sacrés est l’une des composantes de l’histoire interne des religions. Faut-il rappeler les tensions entre chiites et sunnites, en Iraq, en Iran ou au Pakistan, justifiées, de part et d’autre, par une conception propre du sacré musulman ? C’est pour cette raison que le respect des croyances et du sacré ne peut aucunement émaner du sacré lui-même, mais plutôt du respect de la rationalité de l’intelligence humaine.

Le prophète Mohamed est un personnage? Certes, on ne saurait nier la place qu’il occupe dans l’imaginaire musulman. Avec le Coran, il cristallise toute la religion musulmane dans sa diversité. Cela étant, tout n’est pas aussi évident au regard de l’approche historique rigoureuse. Les sources musulmanes les plus connues[i] nous rapportent qu’à la mort du prophète, ses compagnons les plus influents se sont livrés à une course de succession et ne se sont occupés du lavage de son corps qu’après l’imposition du personnage de Abou Bakr comme calife, au grand dam des compagnons de Médine. Un autre exemple. L’une des sources, considérée par les musulmans comme la plus authentique en matière de tradition prophétique[ii], nous livre un passage qui pique la curiosité du lecteur. Aïcha, la femme la plus influente parmi les épouses du prophète, aurait dit , en réaction à l’un des versets du Coran justifiant la polygamie excessive de Mohammed[iii] : « je ne vois ton Dieu que complice de tes désirs ». Dans la littérature arabe classique, les exemples qui relativisent l’actuel excès de sacralité ne manquent pas. Abou Nawas, poète du vin et du plaisir, avait écrit ironiquement une fois à son ami Satan, le menaçant d’abandonner le vin et la poésie pour la prière, la lecture du Coran et le jeûne, s’il ne lui rend pas la femme qu’il aimait.

C’est dans les sillages de l’accumulation des impensés et des impensables, que s’est construite la sacralité du personnage du prophète. Sacraliser ce personnage historique ne serait, en fin de compte, qu’une sacralisation de l’histoire, en d’autres termes la fin du savoir.

Les protagonistes les plus visibles, parce que plus médiatisés, de l’affaire des caricatures, ont beau se focaliser sur une opposition fictive entre l’universalité du principe de la liberté et la particularité de la croyance religieuse, cette compétition fallacieuse est une véritable manipulation politique et de la liberté et de la religion sur un fond d’ignorance, c’est une neutralisation de la rationalité de l’intelligence humaine qui ne peut qu’animer les jeux identitaires et cuirasser, par conséquent, l’extrémisme religieux.

[i] Voir la biographie d’Ibn Hicham sur le Prophète Mohammed.

[ii]Le Sahih (autehentique) de Muslim. Voir le chapitre sur l’allaitement.

[iii] Coran, S.33, V. 52.

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6 comments

  1. Manipulation et double langage
    Votre réaction est très intéressante mais sous couvert d’intellectualiser le débat vous laissez passer quelques postulats suréalistes. Non, il n’y a pas deux poids deux mesures, c’est l’argument de base des obscurantistes et vous le laissez passer comme une évidence. Les extrémistes pro-palestiniens et les extrémistes pro-israéliens ont déjà fait de même contre la France tour à tour accusée d’être du côté des Juifs ou outragement pro-Arabe. C’est que l’info circule librement mais que chacun n’accepte pas celle qui ne va pas dans son sens. Oui, les attaques de Dieudonné sont intolérables car racistes et parfois ouvertement antisémite. Il s’attaque aux individus ce qui est un appel à la haine raciale via les stéréotypes les plus basiques et nauséabondes. Ce qui est intolérables dans les caricatures pour moi ? Elles ont été autocencurée dans la majorité de la presse (en tant que journaliste cela me choque). Or il s’agit d’un excercice intellectuel ne fustigeant nullement une communauté. Comment accepter que 200 caricatures du pape ou du Christ (ou de tout autre personnage sacré ou important pour une communauté) soient « droles » dans Charlie Hebdo (et j’en trouve certaines réellement drôles ou bien trouvées) et qu’une dizaine de Mahommet soient une atteinte aux musulmans ou considéré forcément comme une attatque délibéré du méprisant Occident? Ce sont certains musulmans (malheureusement aussi chez les modérés) par leur réactions qui se fustigent seuls. Vous n’aimez pas? Vous avez le droit de tourner les yeux, pas celui de condamner et d’accepter les menace contre des individus ayant une autre opinion. Ce sont les bases de la vraie démocratie. D’ailleurs les plus obscurantistes des chrétiens ont essayé de s’emparer de ce cas pour restaurer une loi anti- blasphème. C’est une honte! La lutte contre l’extrémisme religieux est le travail de tous. Les Musulmans doivent être moins timides dans leurs condamnations des abus de ceux d’entres eux qui abusent. Justifier leurs actes ne grandit pas la communauté: comprendre ne signifie pas justifier or trop de Musulmans aujourd’hui confondent les deux notions. J’aurais été moins choqué si s’étaient tenues des manifestations contre les caricatures et d’autres pour défendre leurs auteurs. Or tel ne fut pas le cas, c’est une faute qui doit vous interroger sur vous même.

  2. C’est un grand mensonge que de parler de liberté d’expression en France lorsqu’on muselle toute personne qui critique ou met en cause l’Holocauste.

  3. Bon article. Bonne synthèse et des analyses pénétrantes. Mais l’argument du « deux poids, deux mesures » n’est pas valable. Dieudonné a été condamné en justice, très rarement, parcequ’il s’attaquait à des personnes (ce qui est est interdit par la loi de 1881, modifiée en 1972, article 33), non à une religion, ce qui est autorisé, comme pour toute idéologie. Et dans la plupart de ses procès, il a tout de même été relaxé dans la mesure où il était difficile de faire la distinction entre injures envers des personnes et attaques contre les agissements politiques d’Israël. Et c’est heureux pour la liberté d’expression. D’autre part, ceux qui ont désapprouvé, même sévérement, certains des propos de Dieudonné n’ont pas, pour la plupart, demandé une condamnation judiciaire. Et, aussi, parmi ceux qui ont soutenu le droit à la publication des caricatures, tous n’en ont pas pour autant approuvé tous les contenus. Une chose est d’émettre des avis, de porter des jugements sur des textes ou des dessins, et de polémiquer en conséquence. Autre chose de vouloir interdire.

    L’hypothèse sur une caricature de Jésus en intégriste chrétien n’a rien d’impossible en France. Celle dont vous donnez le thème n’a pas été faite (à ma connaissance). J’estime que l’idée est bonne et qu’elle mériterait un dessin. Mais des caricatures de Jésus, et des plus « crues », il y en a eu beaucoup! Jusque dans « Le Monde ». Je peux aussi, entre autres, vous indiquer un texte de Cavanna particulièrement insultant sur la croix chrétienne ( Charlie Hebdo, 3/11/04). A noter que « Charlie Hebdo » a toujours, relativement, pour un journal satirique, épargné l’islam, et que les dessins danois y ont été « Ã©ditorialisés » avec modération.

  4. Question de déontologie: vous dites que que les e-mails ne seront pas publiés. Je constate que le mien l’est . Je demande rectification immédiate

  5. Pour LIBERTAD,
    Nous ne savons pas ou est ce que votre adresse mail a été publiée et comment vous l’avez constaté. Vous voyez que dans votre commentaire ne figure aucun lien mail. Est ce que vous pouvez nous donner plus de précisions.
    Cordialement

  6. trop de choses sont dites icic t la sur ces pseudo caricatires je me pose souvent ctte questions sur les buts des ces caritures qu’est ce qu’ils apporte a la liberte d’expression ou a la democraties comme certain le dise et crie sur tout les toits que c la democratie et la liberte d’expression qui prevaut sur toutes choses d’accord mais la question n’es pas la quand on se pretend etres democrate qui deffend les libertes je dirai a ces gens qu’est ce que vous nous avez apporte de plus avec votre polimiques que conflit et affrontements je crois qu’il ne faut pas se voiler face et dire que c vraiment malheureux d’en arrive a ce niveau la venant de gens sense apporte un plus et un lien fraternelle entre les peuples malgres leurs differences je crois que l’accumulation de ce genre de polimiques a derrieres des intentions mal veillantes pour tout les comunautes religieuse quand on sait combien est la sensibilite des gens dans ce domaine surtout quand il sagit de leurs croyances je crois que chaque choses entrepris par ces carecaturistes on un but derriere qu’a mon avis serviras des interets de personnes qui ne vit que de cela au detriment de la paix des gens dans le monde

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