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Le mortifère dans la religiosité islamiste

L’islamisme, qui n’est pas une catégorie phénoménologique inventée par des sociologues en mal d’objets d’étude, mais un courant idéologique forgé par Hassan Al Banna, Abu Al Alaa Al Mawdudi, Ali Shariati et Sayyid Qotb, posant l’islam comme ordre totalisant, a fini par accoucher d’un bien curieux phénomène : l’individualisation du discours religieux et sa radicalisation. La nouaison des deux dynamiques est ce qui donne au phénomène son ambivalence : là où l’individualisation de la religiosité imprime, fût-ce en négatif, une tendance à la sécularisation, c’est-à-dire à l’autonomie, la radicalisation du discours religieux, elle, traduit l’empire de l’hétéronomie collective, la dissolution de l’individu dans la communauté de foi. Tiraillée entre ces deux tendances, la religiosité islamiste, aujourd’hui dominante dans bien de pays arabes, se décline dans une large palette qui comprend les trois postures suivantes : l’individu hors du monde (la fuite dans le texte opérée par le fondamentalisme salafiste), la subjectivation sans sujet (la schizophrénie culturelle comme compromis entre modernité et authenticité), l’affirmation de soi par la mort du sujet (la religiosité mortifère). Des trois postures, c’est assurément la dernière qui s’avère de beaucoup la plus ambivalente au moins autant que tragique : si le martyre est incontestablement une affirmation de soi, celle-ci est non pas accomplie dans la vie mais désormais dans la mort. Cette dualité est fortement présente dans les écrits de Shariati sur le martyr. Pour cet idéologue très influent de l’islamisme chiite, mort deux ans avant la Révolution islamique, la « construction de soi révolutionnaire » doit mener à l’impératif du sacrifice de soi. Le théoricien du « chiisme, religion de la contestation » va, en sublimant à l’excès la geste héroïque de Hossein (fils de Ali), jusqu’à considérer le martyr comme « le cœur de l’histoire » : « Le martyr – écrit Shariati – est une invitation à toutes les époques et à toutes les générations : ’’si tu peux, mets à mort, et si tu ne peux pas, meurs’’ ». Si cette conception, qui a donné à la jeunesse urbaine déshéritée de Téhéran le sentiment d’être les sujets de l’histoire, est originellement chiite, elle ne tardera pas à s’implanter dans le sunnisme. Par-delà les emprunts et les hybridations, la religiosité mortifère opère le même modus operandi : l’individuation dans la mort, l’affirmation de soi par la mort du sujet. La mort hic et nunc en échange d’une visibilité post mortem pour des individus humiliés ou marginalisés par une modernité onirique. La religiosité mortifère offre à l’individu humilié et plein de ressentiment ce que la vie lui refuse ici-bas : la réalisation de soi. « La martyropathie, écrit Farhad Khosrokhavar, se produit quand s’opère l’inversion due au ressentiment amplifié. On ne veut plus tant réaliser l’idéal mais se défaire de la vie en anéantissant l’adversaire dans une vision apocalyptique visant à en finir avec la vie. » Cette attraction pour le mortifère est en net décalage avec l’islam traditionnel : là où la tradition s’ancrait dans la vie, l’islamisme mortifère s’arrime à la mort ; tandis que la tradition fait de la mort une affaire relevant de Dieu seul, l’islamisme mortifère individualise la mort au service de la communauté de foi.

Mohammed Hachemaoui (El Watan -Alg- 05/05/07)

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