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La mendicité, l’autre devoir dans les écoles coraniques de Bamako

__cole_coranique_1.jpgA Bamako, on les croise, souvent en bande, à toute heure du jour ou de la nuit dans les rues de la capitale du Mali. Leurs habits ont cette même couleur caractéristique, entre le gris de la saleté et l’ocre de la terre, et ils tiennent à la main la même boîte de sauce tomate en fer-blanc. Parfois ils chantent machinalement une sourate du Coran, les yeux dans le vague, agrippés au rebord d’une voiture. L’explosion du nombre des enfants mendiants est le symptôme le plus visible du boum démographique et de l’urbanisation sauvage des grandes villes d’Afrique de l’Ouest. La plupart d’entre eux sont des talibés ou des garibous : des élèves des établissements coraniques. Ils ne vont ni à l’école publique, ni à l’école privée, ni à la medersa, l’institut islamique qui dispense les mêmes matières que l’école d’Etat en plus des cours religieux. Leur emploi du temps se partage entre l’apprentissage par cÅ“ur des sourates du Coran – sans en comprendre le sens pendant les premières années – et la quête d’argent ou de nourriture.

Détournée. Au village, leurs parents les ont confiés à un marabout de passage pour faire leur éducation religieuse et spirituelle. Or, depuis vingt ans, les maîtres coraniques n’ont pas échappé à l’exode rural, pour les mêmes raisons que le reste de la population : pauvreté, sécheresse agricole et appât du gain en apparence plus facile dans les grands centres urbains. Dans les villages, la tradition voulait, qu’aux heures de repas, les talibés quittent l’école pour aller de maison en maison recueillir les restes que l’on conservait pour eux. Une forme de prise en charge communautaire, en somme, de l’éducation religieuse. En ville, la pratique a été peu à peu détournée. Aujourd’hui, des maîtres envoient mendier leurs élèves jusqu’à dix heures par jour. S’ils reviennent sans la somme requise – de 200 à 500 francs CFA (de 0,29 à 0,74 euros) en semaine, de 1 000 à 1 500 francs CFA (de 1,48 à 2,23 euros) le vendredi, jour de la grande prière -, ils risquent la bastonnade. Par peur de la punition, beaucoup n’osent plus rentrer et finissent par vivre jour et nuit dans la rue.

Les maîtres coraniques justifient le recours à la mendicité en arguant que leurs écoles sont gratuites, non-sélectives et qu’il leur faut couvrir les frais de logement et d’éducation des élèves. Mais la richesse personnelle de quelques marabouts qui garent dans la cour de leurs établissements misérables des 4×4 rutilants met en doute la sincérité de leur discours. La mendicité des enfants à Bamako est devenue une activité lucrative et l’argent qui circule quotidiennement entre les mains des talibés se compte en millions de francs CFA.

Selon des ONG, le réseau est de plus en plus structuré : le territoire de la ville et les grandes artères sont découpés entre les bandes rivales. Le recrutement s’organise, notamment en provenance des pays voisins et dès l’âge de 5 ans. Tous les marabouts n’envoient pas leurs élèves tendre la main. «Les « historiques », qui sont maîtres coraniques depuis plusieurs générations, réprouvent la mendicité, jugée contraire aux principes de l’islam, rappelle Hamadoun Tolo, directeur de Mali-Enjeu, une association d’aide aux talibés. Notre objectif à long terme, au-delà des missions d’accueil, de vaccinations, d’hygiène, d’apprentissage d’un métier ou d’alphabétisation, est de s’appuyer sur ces écoles « vertueuses » pour peu à peu changer les pratiques des maîtres coraniques.» A commencer par l’octroi d’un statut juridique en bonne et due forme aux cent trente-cinq écoles de Bamako recensées par les ONG.

Intouchable. A l’égard des autorités, ces écoles n’ont en effet aucune existence légale, alors qu’elles hébergent plus de 10 000 talibés. Elles constituent un système d’éducation parallèle totalement informel. Et surtout, presque intouchable. «Ici, les marabouts sont très puissants. Les hommes politiques viennent les consulter ou les envoient chercher la nuit pour des conseils, des prédictions ou des prières, commente Fatoumata Cissé, responsable nationale de la protection de l’enfance. Pas question de les déranger avec les écoles coraniques.» Elle ajoute : «J’étais très enthousiaste sur le contenu de notre programme de lutte contre la mendicité mis au point avec la mairie de Bamako l’an dernier. Jusqu’à ce que je réalise qu’il ne sera jamais appliqué, du fait de blocage politique.»

Au Mali, la moitié de la population a moins de 15 ans. Et le taux de scolarisation n’est que de 57 %. La formation coranique constitue donc le principal système alternatif à celui, en échec, de l’éducation nationale. Un enjeu majeur. Autre raison, sans doute, pour laquelle le gouvernement n’est pas prêt de toucher aux écoles coraniques.

Libération 01/03/2008

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