Voici une demande qui « pose problème » à certains imams de France et inquiète des parlementaires : de jeunes musulmans souhaitent se marier religieusement, sans passer au préalable par un mariage civil. Une démarche illégale selon le code pénal, qui punit de six mois de prison et de 7 500 euros d’amende « tout ministre du culte qui procédera, de manière habituelle, aux cérémonies religieuses de mariage sans que ne lui ait été justifié l’acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l’état civil ».
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Récemment, le député (UMP) Etienne Mourrut s’en est inquiété dans une question écrite au ministre de l’intérieur. « Dans la plupart des communes, s’alarmait-il, les services de l’état civil ne sont quasiment jamais sollicités par les mariés de religion musulmane. En conséquence, soit il n’y a jamais de mariages religieux dans ladite religion, soit le mariage a été célébré antérieurement. »
« Il y a une dizaine d’années, une fatwa avis juridique destinée aux musulmans vivant en Europe a rappelé l’obligation du mariage civil, car certains imams n’étaient pas au courant de la loi », précise Azzedine Gaci, président du conseil régional du culte musulman (CRCM) de Rhône-Alpes. « Je reçois encore ce genre de demandes, confirme Ahmad Miktar, imam dans le nord de la France. Dans ce cas, je rappelle que le mariage civil est obligatoire et j’explique la situation aux parents de la jeune femme, car le mariage ne peut se faire sans le consentement de son père. »
« Le positionnement clair affiché ces dernières années par les Frères musulmans a entraîné un déclin dans les demandes, mais ce phénomène persiste, notamment chez les jeunes réislamisés appartenant aux courants salafistes ou tablighis (qui défendent un islam rigoriste)« , estime Samir Amghar, chercheur à l’EHESS, auteur d’une thèse sur les salafistes.
ARRANGEMENT AVEC LES NORMES
Il se trouve donc toujours des religieux musulmans pour célébrer, dans l’illégalité, de tels mariages (aucun cas n’est connu dans les autres confessions). Sauf dénonciation, et en l’absence de registres, il paraît pourtant difficile de repérer les fautifs et, à ce jour, aucun imam n’a été condamné. Le contrôle est d’autant plus compliqué à exercer que dans la tradition musulmane, un mariage religieux, qui à l’inverse du mariage catholique n’est pas un sacrement mais un contrat, peut être célébré dans la sphère privée par toute personne pieuse choisie par les familles, à condition qu’elle respecte quatre critères : présence de deux témoins, du tuteur de la mariée, accord sur la dot, énonciation de la formule par laquelle le père du marié demande la main de la jeune fille à son père.
Les raisons qui poussent ces jeunes musulmans à s’affranchir de la loi française sont souvent d’ordre politique. Pour les tenants d’un islam radical, la priorité donnée au mariage religieux leur permet de réfuter les lois d’une république de kouffars (non musulmans) et de réaffirmer le caractère protestataire de leur courant de pensée. « Il s’agit pour eux de ne pas pactiser avec des lois non islamiques », souligne M. Amghar. Les salafistes rejettent en effet toute compromission avec les sociétés occidentales où ils vivent, privilégiant l’emprise du religieux sur tous les actes de leur vie.
Mais au-delà de cette frange radicale, le mariage religieux peut aussi constituer un arrangement avec les normes sociales en vigueur dans la communauté musulmane. Il demeure symboliquement plus important que la cérémonie civile. Aussi, certains y ont recours pour s’autoriser des relations sexuelles « en tout bien tout honneur« , pour pratiquer la polygamie ou pour profiter de procédures de répudiation plus souples que celles d’un divorce.
Stéphanie Le Bars, Le monde, 09/06/2007