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À la polyclinique de l’imam al-Shâfi‘î

Comme je voulais désespérément avoir d’autres enfants, j’ai bien essayé d’al-ler consulter les docteurs pour leur demander de m’aider. Rien n’y fait. Je me suis alors dit : « Est-ce que la conception repose entre les mains des médecins ? Non, elle repose entre les mains de Dieu ». Mais on me disait : « Ça ne fait pas de mal d’aider un peu le Seigneur ». J’ai donc tout essayé, mais en vain.
Nayra Atiya, Khul-khaal, five Egyptian women tell their stories

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux Mon maître honorable, que la paix soit sur vous, la clémence d’Allah et Sa bénédiction. Je m’appelle ‘Aliyya Ibrâhîm Muhammad1. Je présente ma cause car, ô monseigneur honorable, suite à une thrombose (jalta fî-l-qalb), je ne supporte plus le moindre préjudice ni injure de ceux qui se disent soufis et amis de Dieu. J’ai subi plusieurs torts et offenses, au point d’arriver tout près de la perdition. Et vu que Dieu dans Sa clémence nous a ordonné de ne pas nous jeter dans le péril et [comme] je suis réduite à un état d’incapacité totale, je me tourne vers vous à cet égard. Je suis rifâ‘it et j’ai eu recours aux cheikhs de cette confrérie, sans trouver une aide efficace. Je souffre, au-delà de mon endurance, de picotements (naghz) dans mon cœur, de battements sur l’arrière de ma tête et de syncopes (tawahân). Mes enfants n’ont de soutien que moi. Et même mon gendre, Hamdî Sâlih Ayyûb, adepte d’une confrérie sa‘dit, me fait souffrir jusqu’à la mort. À maintes reprises, je l’ai conjuré de prendre en considération notre parenté par alliance et les trois enfants qu’il a eu avec ma fille, qu’il utilise pour me torturer. Mais la pauvre, elle, n’y peut rien. Car il est comme le sorcier. Et mon mari aussi, Muhammad Sulaymân Nasr, lui donne raison, me provoque des crises d’étouffements (ikhtinâq) en me disant : « Choisis : soit tu meurs, soit tu es répudiée sans aucun droit ». [Pourtant] Dieu sait combien j’ai enduré pour lui. Tous les chemins se sont rétrécis devant moi. Je suis une femme âgée et malade (marîda) et n’ai de recours qu’à Allah. Je soumets mon problème entre vos mains, afin que vous l’examiniez à la lumière de la charî‘a. Que la paix soit sur vous, la clémence d’Allah et Sa bénédiction.

Mieux que d’interminables préambules, cette lettre nous projette d’emblée dans le vif du sujet. Son auteure, torturée par les siens afin de chasser de son corps l’esprit maléfique, y dévoile une grande souffrance physique et morale. Comme elle, des centaines de patients sollicitent régulièrement l’imam al-Châfi‘î2(150/767 -204/820) pour les délivrer de différentes atteintes de la santé. Le courrier déposé dans le mausolée (darîh) de ce saint – situé au sud de la citadelle du Caire, au cœur d’une nécropole (al-Qarâfa al-sughrâ) dont il est le saint patron – met en scène un défilé hétéroclite de malades : diabétiques, cancéreux, hépatiques, épileptiques, psychopathes, névrosés, etc. Toute une foule de naufragés du système déliquescent de protection sociale, qui tentent de s’agripper au radeau salutaire de la sainteté. Car le saint assure un accompagnement de la santé, du malheur et du désarroi d’une part croissante de personnes vivant sous le seuil de la pauvreté. Le présent article s’attarde sur les liens étroits entre santé et sainteté et tentera de décortiquer cette demande de guérison. En quoi consiste-t-elle ? Comment exprime-t-elle la souffrance, parfois la détresse ? Comment ces solliciteurs perçoivent-ils leur propre état de santé ? Après un bref aperçu de la situation sanitaire en Égypte, nous traiterons de la spécialisation des saints et des saints guérisseurs. Nous montrerons comment médecine savante, sainteté et sorcellerie cohabitent et fonctionnent côte à côte. Enfin, nous parlerons de cette malédiction qu’est la stérilité, qui pèse lourdement sur les couples, et des différents moyens déployés pour y remédier. Pour effectuer cette plongée dans les méandres de la maladie et de la mort, nous nous appuyons sur quelques observations collectées sur le terrain par nous-mêmes et par d’autres anthropologues au cœur de la société agraire en Haute comme en Basse-Égypte. En effet, si le progrès de l’instruction, l’occidentalisation des modes de vie, la rurbanisation galopante, etc. conduisent inexorablement à l’extinction de nombreuses coutumes et traditions dans les grandes villes, le monde rural, notamment les personnes âgées, continue encore à souffler sur les braises du souvenir. Nous nous appuyons également sur l’analyse d’un corpus inédit de cinq cents lettres recueillies par nos soins entre octobre 1993 et avril 1994 à l’intérieur du mausolée3d’al-Châfi‘î. Ce corpus servira en quelque sorte de fil conducteur tout au long de notre démonstration. Mais auparavant, quelques précisions s’imposent.

Si l’on considère le manque de personnel et de moyens dans le service public hospitalier, la hausse vertigineuse des prix des médicaments, les longues files d’attente chez les spécialistes et leurs tarifs rédhibitoires, la discrimination des malades selon une logique lucrative, les structures déficientes de la Sécurité sociale, etc. comme un baromètre de la vitalité du système médical égyptien, force est de reconnaître qu’en matière de santé publique, beaucoup de progrès restent à faire. Les zones urbaines que l’on qualifie pudiquement d’informelles, comme la grande majorité des villages égyptiens, sont privées d’eau courante, de tout-à-l’égout, parfois même d’électricité. Le délabrement des conditions de vie, le manque criant d’hygiène et l’insalubrité qui y règnent constituent un foyer d’infection et de facteurs de risque. La question lancinante que l’on s’y pose n’est pas seulement « qu’allons-nous pouvoir manger aujourd’hui », mais surtout « qu’est-ce qu’on va boire ? ». La quête de ce droit élémentaire qu’est l’eau potable préoccupe sérieusement les esprits. Le 3 juillet 2007 se déclenche dans le nord du gouvernorat de Kafr al-Chaykh ce que la presse a qualifié de « thawrat » (révolution) ou « intifâdat al-‘atcha » (intifada des assoiffés). Las de vivre sans eau potable depuis des mois, près de 4 000 habitants de la région de Burg al-Burulus expriment leur colère en coupant l’autoroute côtière reliant Alexandrie et Port-Saïd durant près de onze heures. Fort heureusement, il n’y a pas eu de morts.

À cause de la pollution des nappes phréatiques, due à l’usage intensif des engrais chimiques et aux épanchements industriels en tout genre, un verre d’eau propre devient quasiment un rêve inaccessible ! La population se trouve obligée d’acheter quotidiennement de l’eau potable transportée sur des carrioles dans des containers douteux. D’où la multiplication de nombreuses maladies touchant le foie et les reins (plus de dix millions d’Égyptiens seraient atteints d’hépatites B et C). L’exode rural accentue la surpopulation des grandes villes et contribue au brassage des maladies. L’endogamie largement pratiquée, notamment dans les sociétés paysannes et nomades, engendre son lot élevé de maladies génétiques et de mortalité néonatale et infantile. La pollution environnementale a franchi tous les seuils tolérables, à cause notamment de l’incinération à ciel ouvert des ordures et des déchets agricoles et des rejets non filtrés (cimenteries, briqueteries, chaufours, fonderies, aciéries, plomberies et fours de potiers). Pour la neuvième année consécutive, le ciel de la capitale est envahi durant les mois d’octobre et de novembre par un brouillard vicié et délétère, réduisant considérablement la visibilité. Trois ministres de l’Environnement se sont succédé sans pouvoir dissiper cette épaisse fumée âcre et étouffante provenant, notamment, de l’incinération en plein air de près de quatre millions de tonnes de paille de riz.

L’utilisation intempestive des hormones, des pesticides et des herbicides cancérigènes, l’augmentation de la pollution atmosphérique et alimentaire, l’irrigation des terres arables avec des eaux ménagères et industrielles non traitées et hautement chargées de métaux lourds et de substances toxiques et bactériennes, l’emploi de l’amiante dans la fabrication des canalisations d’eau et le tabagisme aigu assorti de malnutrition chronique multiplient considérablement le nombre de morts prématurées. La prévalence des tuberculoses pulmonaires et des cancers l’illustre. Quant au virus HIV, il est toujours impossible de trouver des statistiques fiables : entre 880 et 2 542 sidéens selon le ministère égyptien de la Santé4, environ 30 000 selon l’Organisation mondiale de la santé. Le président Moubarak, le pape Chenouda III, les dignitaires du régime et autres stars du show-business ont beau disposer des équipes médicales égyptiennes d’élite, pourtant, c’est à l’étranger qu’ils se font régulièrement hospitaliser. C’est dire leur estime pour leur propre système de santé ! L’Organisme général des services vétérinaires dépendant du ministère de l’Agriculture ne vaut guère mieux. Sa dangereuse incurie s’est révélée au grand jour lors de la grippe aviaire (anfilwanzâ al-tuyûr) qui a frappé le pays le 18 février 2006. Depuis cette date, on recense 1 350 foyers d’infection dispersés sur tout le territoire, 15 morts sur 38 cas officiellement déclarés d’H5N1, plusieurs dizaines de cas suspectés, en plus de plusieurs millions de volailles détruites. La gestion d’autres épizooties telle la fièvre aphteuse (al-humma al-qulâ‘iyya) ou la dermatose nodulaire (al-jild al-‘aqdî) qui foudroient actuellement les cheptels et mettent les éleveurs sur la paille, n’incline pas particulièrement à l’optimisme.

La fin des années soixante-dix a vu la création de petits dispensaires rattachés aux lieux de culte, financés et gérés par des associations caritatives de la société civile ou des communautés religieuses. Ils étaient destinés à soigner gratuitement ou à moindres frais ceux qui ne peuvent pas franchir les portes des cliniques ultramodernes et des hôpitaux privés. Progressivement, ces modestes centres de soins courants ont proliféré partout et se sont mués en polycliniques et en imposants établissements hospitaliers. Ce fut le début des assauts intégristes qui allaient, vague par vague, se propager et submerger toute la société. La compétition acharnée entre les deux communautés copte et musulmane a également doté les lieux de culte d’autres services : crèches, orphelinats, maisons de retraite, cours de soutien scolaire, bourses d’étude, bibliothèques, ventes de bienfaisance, ateliers d’apprentissage technique, microcrédit, salles polyvalentes pour célébrer mariages et enterrements, etc. Les classes laborieuses et une grande frange de la classe moyenne allaient pouvoir assouvir leurs besoins. Le prix à payer ? Une dérive sectaire et un communautarisme de plus en plus marqué et ouvertement revendiqué. Dans les années quatre-vingt-dix, ces polycliniques religieuses deviennent compétitives au point de damer le pion à nombre d’établissements publics en pleine déliquescence. Elles recrutent de jeunes médecins diplômés sans travail. Toutes les spécialisations y sont représentées. Super équipées, informatisées, elles se proclament autofinancées, même si leurs budgets fleurent bon les pétrodollars. Généralement bien traités, les patients qui s’y pressent obtiennent auscultation, analyse, radiographie et médicaments moyennant une somme modique, parfois même gratuitement. Tout se déroule, bien entendu, dans la stricte observance des sacro-saintes règles de la séparation des sexes : patients et soignant du même sexe, journées pour les hommes, d’autres pour les femmes, etc. Sur les murs des salles d’attente sont placardées les affiches islamistes habituelles : exhortation des femmes à mettre le voile, invitation des hommes à ne pas négliger jeûne et prières, incitation de tout le monde à boycotter les produits américains, israéliens ou danois au gré de l’actualité internationale.

Aujourd’hui, ces polycliniques religieuses séduisent une population dépitée par un service public qui brille par ses carences : négligence des médecins, incompétence du personnel infirmier, mauvaise qualité des soins, traitement indigne réservé aux malades, insuffisance et détournement des médicaments, routine, bousculades, équipements médicaux détraqués, inexactitude des analyses, etc. Certes, le bénévolat à caractère confessionnel contribue considérablement au désengorgement du système de santé. Cette assistance médicale est fortement appréciée par une population démunie. Mais derrière cet altruisme de bon aloi se profilent prosélytisme, propagande politique et autres visées moins avouables. D’ailleurs, lors des dernières élections législatives, les Frères musulmans étaient les premiers à en récolter les fruits. À la solidarité citoyenne, au droit laïc de tout mutualiste à être soigné se substitue ainsi une pieuse prise en charge, dont les principaux ressorts sont la condescendance, l’aumône et la charité.

Malgré la montée en puissance, notamment au cours des trois dernières décennies, du théocentrisme sunnite et des courants ultra-orthodoxes, l’Égypte demeure une terre de dévotion. Églises, monastères, mausolées et mosquées ne désemplissent pas à longueur d’année. Pas un seul village qui ne possède au moins un sanctuaire. Innombrables sont les individus et les lieux publics baptisés du nom des saints. Les dévots sont pénétrés d’amour et de vénération, notamment pour les membres de la famille du Prophète (ahl al-bayt) qui y sont enterrés. À ce propos, l’écrivain Ahmad Amîn rapporte qu’un de ses amis arrivé à Tanta à bord d’un train a entendu quelques voix exhorter à réciter la fâtiha pour l’âme d’al-Sayyid al-Badawî, le saint patron local. Lorsqu’il a décliné cette invitation, il a été sérieusement molesté et a failli même être lynché par les autres voyageurs. Finalement, il n’a eu la vie sauve que grâce à ses accompagnateurs, qui ont prétexté qu’il était fou (Amîn, 1953, p. 37) !

Face aux sollicitations extrêmement variées des fidèles, ces myriades de saints sont organisées selon une certaine hiérarchisation et spécialisation. Par la vox populi, le dévot sait parfaitement à quel saint se vouer. À titre d’exemple, ‘Umar Ibn al-Fârid5, enterré dans la région al-Abâgiyya au pied du Muqattam, est spécialiste des relations amoureuses. Sîdî al-‘Adawî, à Alexandrie, est imploré pour retrouver les enfants égarés (Amîn, 1950). Cheikh Yahyâ est expert dans les problèmes conjugaux. L’imam ‘Alî Zayn al-‘Âbidîn, dans le quartier de Bûlâq Abû-l-‘Ilâ, favorise les moyens de subsistance. Gâmi‘ al-Banât, située à Darb Sa‘âda dans le quartier d’al-Azhar, est fréquentée notamment par les vieilles filles qui s’entêtent à rattraper le train du mariage. Des saints, il en existe pour toutes les maladies et pour chaque membre du corps. Cette spécialisation est très poussée, au point que chaque saint s’est forgé une spécialité curative en fonction de l’organe atteint, du sexe ou de l’âge du patient. Au Caire, sayyida Nafîsa est spécialisée dans les ophtalmies ; al-Maghâwrî, enterré à Gabal al-Gyûshî, et sîdî ‘Uqba dans la stérilité féminine ; sîdî al-Baydaq et Muhammad al-Hinnâwî dans le traitement des migraines et autres maux de tête ; Abû-l-Su‘ûd al-Gârhî dans celui des femmes habitées par les djinns. Al-Cha‘rânî est expert dans les troubles du système nerveux. Les fils de Nûh et ‘Inân sont spécialistes des psychopathologies de l’enfant dues au mauvais oeil. Le petit mausolée du cheikh al-Halawânî, érigé dans un jardin attenant au C. H. U. de ‘Ayyin Chams, sert de point de ralliement pour les enfants malades. Dans le quartier populaire de Basâtîn, le darîh de sîdî Muhî al-Dîn6 est fréquenté par les patients, notamment le samedi, jour de sa visite pieuse. Au-dessus de ce petit mausolée symbolique – qui ne renferme pas de dépouille puisque celle-ci est inhumée à Damas – poussait autrefois un arbre gardé par un serpent sacré. Pour se prémunir contre les caries et autres maux des dents, on enfonçait dans son tronc les dents et les molaires arrachées7. L’infusion de feuilles tirées de cet arbre vénéré, aujourd’hui disparu, était réputée soulager nombre de maladies. De même, se frotter le dos contre les parois du mausolée de sîdî ‘Abdallâh al-Takrûrî, enterré à al-Bahnasâ en Moyenne-Égypte, apaise et prévient les dorsalgies. À quelque distance de là, se trouve cheikh Abû Samra, un thaumaturge éprouvé. Passer la nuit du jeudi au vendredi dans son mausolée durant trois semaines successives est couronné d’une guérison assurée. Dormir ou s’assoupir dans les lieux de culte est une habitude répandue. Dans le mausolée de Muhammad Nûr, situé à Abû Ramâd dans la région méridionale de Chalâtîn, les dormeurs se figurent qu’une espèce de serpent glisse sur leurs corps malades pendant leur sommeil et leur procure la guérison (Sûzân al-Sa‘îd, 2002, p. 103).

Certains sanctuaires comme à sayyida Nafîsa et Abû-l-Su‘ûd renferment un puits dont l’eau sert à laver les membres malades des pèlerins. Dans d’autres mausolées, il convient d’observer un protocole strict : rendre visite à un jour ou à un moment déterminés, ou s’y rendre un certain nombre de fois, etc. Quant aux procédés thérapeutiques, ils sont multiples et varient en fonction de la topographie des lieux sacrés : roulement par terre dans l’humus de la tombe, circumambulation, allumage de cierges, récitation de charmes ou litanies, célébration d’une séance de zâr, introduction de l’enfant malade quelques instants dans une niche, immersion répétée dans l’eau curative du puits – si puits il y a – etc. Au sud de l’imam al-Châfi‘î se trouve un étang aux eaux saumâtres occupant une dépression dans le plateau rocailleux limité à l’est par les hauteurs du Muqattam. Cette source appelée ‘Ayyin al-Sîra est réputée avoir des vertus thérapeutiques, notamment en matière de dermatologie. Sa boue est prélevée et appliquée sur le membre malade, jusqu’à ce que guérison s’ensuive grâce à la bénédiction d’al-Châfi‘î.

Intérieur du mausolée de l’imam al-Châfi’î

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Bien entendu, cette spécialisation des saints n’est pas exclusive à l’islam. Elle est attestée également dans le christianisme (Delumeau, 1989). Chez les coptes, par exemple, Mar Girgis (Saint Georges) est connu pour exorciser les démons ; Mâr Mînâ (Saint Ménès) pour remédier à la stérilité ou retrouver les objets perdus ; Mâr Bachnûna, dont l’église est située à Fumm al-Khalîj au Caire, pour soigner les insuffisances rénales ; Abû Tarjû pour guérir des morsures des chiens ; Barsûm al-‘Iryân pour éviter les morsures des serpents ; sainte Mârînâ, située à Harrit al-Rûm, pour faciliter le mariage et la procréation. Enfin, il n’est pas inintéressant d’observer que les patients musulmans fréquentent les monastères (dayr al-‘adhrâ’ à Drinka dans le gouvernorat d’Assiout) et les églises (kanîsat al-‘adhrâ’ à Musturud) pour quêter la baraka et la guérison. Les malades coptes courent les mausolées pour les mêmes bonnes raisons. Ainsi, la religion populaire rassemble et unit ceux-là même que les religions dogmatiques divisent et séparent.

Pour implorer la guérison, la procréation ou l’exaucement d’un vœu, les dévots ont recours au nadhr (nadr en dialecte égyptien, plur. nudhûr). Ce terme désigne à la fois le voeu et l’ex-voto offert. La cote d’un saint est principalement jaugée à l’aune des nudhûr qu’il perçoit. Car il existe des offrandes en espèces (naqdî) : argent, bijoux ; en nature (‘aynî) : sucreries, cierges, citrons, boîtes d’allumettes, animaux sacrifiés, tapis, nattes, produits d’entretien ; ou en prestation de service (khadamî) : nettoyage du mausolée, surveillance et maintien de l’ordre, nourrir ou désaltérer les visiteurs, etc. Le nadhr peut également être composite (moitié en nature, moitié en espèces) : « si Dieu le veut, je m’acquitterai du nadr à l’imam al-Châfi‘î qu’Allah soit satisfait de lui, soit cinquante bougies pour lui et trente livres égyptiennes et un Coran pour la mosquée » (214)8. De même, son montant peut demeurer indéterminé : un « cadeau » (hadiyya) (245, 363, 463), une « douceur » (halâwa) (175, 245, 384), « ce que pourra » (illî fîh al-nasîb) (206, 375). Il peut également varier en fonction de la valeur attachée à chaque requête (213). Une coutume assez répandue dans la paysannerie égyptienne consiste à offrir au saint une bête spécialement engraissée pour lui, des soieries pour recouvrir sa tombe, ou quelques pièces de toile, parfois réutilisées comme linceul pour ensevelir les indigents. On dédie également au saint une partie des récoltes dont l’argent collecté de la vente peut être déposé dans le tronc, réinvesti dans l’entretien de la tombe ou bien attribué aux nécessiteux.

Promis le plus souvent après exaucement, le nadhr peut s’apparenter à un mode de rémunération différée :

« Je m’engage envers toi, ô l’imam al-Châfi‘î, à accomplir mon nadr pour toi dans ce lieu pur lorsque nous serons guéris » (97) ; « Si mes fiançailles se déroulent sans aucun problème, je rendrai visite à l’imam al-Châfi‘î et m’acquitterai de mon nadr, à savoir trente livres égyptiennes, cinquante bougies et un Coran pour la mosquée. » (346)

Pour démontrer le sérieux de l’engagement pris, on peut déposer d’ores et déjà « une somme symbolique en attendant la [prochaine] visite à l’imam » (346). Le nadhr mu‘allaq, c’est-à-dire prospectif, ne devient donc effectif qu’après la réalisation du vÅ“u. Il s’agit bel et bien d’une sorte de contrat moral engageant les deux parties – le dévot comme le saint. Bien entendu, ce « marché à terme » ne souffre aucun faux-fuyant. Tout dévot qui ne respecte pas sa promesse déchaîne par son parjure les foudres du saint. D’ailleurs, le simple fait de faire des cauchemars ou de trébucher est interprété comme un rappel pour ceux qui ont oublié, différé ou négligé leurs engagements. C’est pourquoi même le plus démuni des solliciteurs n’hésite pas à se saigner aux quatre veines, afin d’honorer son vÅ“u (yuwaffî al-nadr). Seulement, dans cette relation de don (hiba) et de contre-don, il incombe au saint de faire le premier pas. De ce point de vue, le nadhr peut être considéré comme un moyen de l’allécher ou de le contraindre : aide-moi à récupérer mon argent et « tu auras un cadeau de cet argent » (245) ; « Si tu me venges contre celui qui m’a agressée et battue, ô le juge de la charî‘a… je te promets une confiserie à toi et aux pauvres » (283). Cette même conception du nadhr se retrouve chez les coptes. Témoin cette bienfaitrice qui dépose dans le monastère de Saint Antoine une supplique en notre possession rédigée directement sur le verso du récépissé d’un don de vingt Livres égyptiennes versé à l’église de la Vierge le 6 mars 1997.

Les dirigeants orthodoxes du mausolée d’al-Châfi‘î observent d’un mauvais œil l’arrivée de ce courrier ainsi que les rituels hétérodoxes qui l’accompagnent. De temps à autre, ils s’interposent, interdisent et sermonnent. Mais généralement, ils laissent faire, vu la manne d’argent drainée à travers les troncs. Le prêtre ne vit-il pas de l’autel ? À ce propos, l’un des plus grands téléprédicateurs d’Égypte, feu cheikh Muhammad Mutwallî al-Cha‘râwî, ancien ministre des Waqf, rapporte une anecdote arrivée à l’un de ses proches amis, hâjj Ahmad, fervent dévot de sayyida Zaynab. Ce pieux paroissien faisait régulièrement l’aumône à l’un des serviteurs (khâdim) du mausolée de la sainte. Un jour, ce dernier invite son bienfaiteur à prendre le café chez lui. Hâjj Ahmad est surpris par l’ameublement luxueux de l’appartement de son hôte, qui dénote un grand train de vie. En sirotant son café, il se dit : « Bon sang, pourquoi gaspillé-je mon argent pour cet individu qui mène une vie supérieure à la mienne ! ». Cette nuit-là, hâjj Ahmad voit en rêve sayyida Zaynab debout à la terrasse d’un balcon lui enjoignant : « Ô hâjj Ahmad, laisse mes serviteurs tranquilles ! Veux-tu ? » Puis elle disparaît aussitôt. Suite à ce songe, le rêveur obtempère et continue à dispenser ses largesses au khâdim comme par le passé, sans plus se poser de question. Mais lorsqu’il raconte cette histoire au cheikh al-Cha‘râwî, celui-ci lui rétorque que c’est bien normal, puisque les serviteurs sont à l’image de leurs maîtres : « Veux-tu que les khâdim de sayyida Zaynab soient des mendiants ? […] Décidément, hâjj Ahmad, tu n’as pas volé les reproches de notre sainte ! » (Abû-l-‘Aynayn, 1997, p. 68-69).

Même dans les discussions les plus anodines, l’Égyptien évite soigneusement de nommer une maladie grave (cancer, tuberculose, etc.) ou une bête nuisible ou vénéneuse (serpent, scorpion, etc.). Car le simple fait de nommer une chose, c’est s’exposer au risque de l’appeler. Le nom est la chose. La chose et son nom ne font qu’un. Pour se prémunir contre ce danger, il faut user d’euphémismes, de périphrases et de litotes. Il faut surtout que l’énonciation soit systématiquement suivie par une expression comme « al-charr barra wa-ba‘îd » (que le mal soit dehors et lointain) ou « ba‘îd ‘an al-sâmi‘în » (que [le mal] soit éloigné des interlocuteurs). Cette remarque concernant les animaux et les objets abstraits vaut également pour les humains. Il existe en islam un lien très étroit entre l’individu et le nom qu’il porte. Dans cette relation fusionnelle et organique, le nom n’est pas uniquement un identifiant pour la personne, c’est la personne elle-même. On est son propre nom. La disparition de l’un implique ipso facto l’anéantissement de l’autre. La vie et la mort, le bonheur et le malheur dépendent du nom que l’on porte. La conversion à une autre religion s’accompagne systématiquement de changement de prénom et/ou de nom. En Égypte, comme le fœtus est considéré au-delà de quatre mois comme une personne, il reçoit un prénom en cas de fausses couches. Avant d’être enterré dans un pan de mur ou sous le seuil de la maison de ses géniteurs, l’avorton est généralement dénommé Muhammad ou « al-mansî » (l’Oublié) si c’est un garçon ; Fâtima – du nom de l’une des quatre filles que le Prophète a eues avec sa première épouse Khadîja b. Khuwaylid – ou « al-mansiyya » (l’Oubliée) si c’est une fille (‘Abd al-Salâm Ibrâhîm, 1996, p. 93). Pour qu’ils soient opérants, les rituels magiques nécessitent l’invocation du nom de la personne à protéger ou à desservir et celui de sa mère. Nommer quelqu’un, c’est acquérir un immense pouvoir sur lui. Pour se prémunir contre ce danger, il arrive que des parents donnent deux prénoms à leur enfant. Le premier est inscrit sur son acte de naissance et jalousement caché. Le second prénom, lui, est porté à la connaissance de tout le monde. Si d’aventure quelqu’un cherchait à nuire à cet enfant, il n’y parviendrait pas, même en utilisant le prénom divulgué, puisque il s’agit d’un alias. À l’enfant qui naît après plusieurs frères décédés, on a coutume d’octroyer un prénom disgracieux : Khisha (serpillière), Shahhât (gueux), Fâr (rat), Zibla (fiente), Bahlûl (idiot), Sankûh (chenapan), etc. Les esprits maléfiques et le mauvais œil ne seraient donc pas tentés de lui faire du mal. L’enfant au prénom ingrat esquive ainsi tout sortilège qui s’abattra plutôt sur une serpillière, un rat, etc. Généralement, ces sobriquets sont retirés une fois l’enfant grandi, surtout s’il accède à un statut élevé dans la société (Ahmad Ghunaym, 2005, p. 125). Il n’empêche qu’aujourd’hui de nombreux individus, voire de grandes familles, se sentent réellement ridiculisés par ces noms d’oiseaux dont ils sont affublés : al-Fîl (l’éléphant), Barghûth (puce), al-Gahch (le bourricot), al-Hayawân (l’animal). Ils n’hésitent pas à recourir aux tribunaux d’État civil, afin de changer leurs noms, source de gêne et de complexe.

Ce lien consubstantiel entre la personne et son nom trouve dans le cas de l’imam al-Châfi‘î toute sa justification, puisque « al-Châfi‘î » signifie « l’intercesseur ». Prédéterminisme ? Force évocatrice du nom ? Avec ce nom-augure, ce nom-fonction, l’imam al-Châfi‘î est un « intermédiaire auprès de Dieu » (wasatan ‘ind Allâh) (312). Cet éminent jurisconsulte, fondateur de l’un des quatre rites de l’islam sunnite, est devenu tout simplement un médiateur, un moyen « wasîla » (145, 266) pour atteindre Dieu. Médiateur vertical entre Allah et les hommes, il est aussi médiateur horizontal entre les hommes. Le solliciteur n° 196 voit en lui le « sâhib al-chafâ‘a al-‘uzma » (maître de l’intercession suprême). Ce titre renvoie à l’intercession eschatologique du prophète Muhammad qui, le jour du Jugement dernier, intercédera pour sa propre communauté en sa qualité de « sayyid al-chafâ‘a » (maître de l’in-tercession). Tantôt al-Châfi‘î intervient tout seul et directement, tantôt il ne représente qu’un des rouages multiples du processus de l’intercession : « Je t’en supplie, ô le juge de la charî‘a, ô l’imam al-Châfi‘î d’intercéder en ma faveur auprès du Prophète de la miséricorde et de l’humanisme pour qu’il intercède en ma faveur auprès d’Allah afin de… » (61). Ainsi le système d’intercession pyramidale est-il clairement attesté. En effet, le chemin d’Allah passe à travers une chaîne hiérarchisée de médiations culminant en la personne du prophète Muhammad. Autrement dit, l’intercession chemine à travers plusieurs paliers : l’imam al-Châfi‘î est « la porte du Prophète » et celui-ci est « la porte du ciel ». La suppliante n° 408 adresse sa plainte à l’imam al-Châfi‘î qui – faisant office de courroie de transmission – la transmettra à sayyida Zaynab, qui l’expédiera à son tour à al-Husayn, qui, enfin, la soumettra au Prophète lui-même.

Pour donner un second exemple de l’intercession pyramidale, citons le cas du père de sayyida Nafîsa, qui emmenait régulièrement sa fille à la mosquée al-Harâm à Médine. À chaque visite, il se tournait vers la tombe du Prophète en disant : « Ô l’Envoyé d’Allah, je suis satisfait de ma fille Nafîsa ! ». Puis ils repartaient. Cette habitude durera jusqu’au jour où le Prophète lui apparaît en songe (ru’yâ) lui annonçant : « Ô Hasan, je suis satisfait de ta fille Nafîsa car tu es satisfait d’elle ; et Dieu le Très-Haut est également satisfait d’elle puisque je le suis moi-même aussi » (Abû-l-’Aynayn, 1997, p. 99). Un bel exemple de hiérarchie verticale où la satisfaction du Créateur repose sur celle de son Envoyé qui, à son tour, découle de celle d’un homme, ici en l’occurrence le père de sayyida Nafîsa.

L’imam al-Châfi‘î est actuellement l’objet d’un culte populaire croissant, sa grande mosquée le lieu de prières et son mausolée – véritable chef-d’œuvre de l’époque ayyûbide (608/1211-2) – la destination privilégiée de visites pieuses (ziyâra) et fêtes commémoratives. Il reçoit un courrier acheminé par la poste des quatre coins de l’Égypte, ou déposé directement sur sa tombe par les dévots eux-mêmes. Dans ce courrier, les fidèles partagent leurs inquiétudes avec le saint et lui demandent aide, secours et réconfort. Capable d’exaucer n’importe quel vœu, le pouvoir d’al-Châfi‘î se situe au carrefour des divers besoins des fidèles. En effet, les desiderata de ceux-ci se déclinent sur fond de crise socioéconomique en un spectre très large : retrouver un mari, un logement, un emploi ou un objet égaré, protéger les récoltes, aider quelqu’un écrasé sous le poids d’une dette dont il ne peut s’acquitter, dénouer l’aiguillette d’un mari, favoriser une naissance, encourager quelqu’un à bâtir son projet, débaratter une vache qui ne donne plus de lait sans raison, restituer un héritage spolié, se débarrasser d’un voisin trop encombrant, ramener l’amant volage auprès d’une délaissée, etc. Intercéder, quelquefois, pour prodiguer un soutien moral et spirituel ou, le plus souvent, pour octroyer des biens périssables : le charisme d’al-Châfi‘î et l’étroite intimité dont il jouit avec Dieu font donc de lui un saint-à-tout-faire. L’histogramme ci-dessous illustre la façon dont se répartissent les différentes requêtes qui lui sont adressées.

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Pour être saint justicier, spécialiste des litiges afférents à l’exercice de la justice, al-Châfi‘î n’en est pas moins guérisseur. Toutefois, il fait figure de généraliste et n’hésite pas à prêter une main secourable et à délivrer de la souffrance physique ou spirituelle. Des maladies bénignes, des affections légères et passagères aux pathologies lourdes, chroniques, voire inguérissables, il est investi d’une mission : réparer les corps, soigner les esprits et dissoudre l’anxiété. Sur ses épaules, al-Châfi‘î porte les espoirs et les vœux de ceux qui doutent et désespèrent. Quoique son intervention ne fasse pas l’ombre d’un doute, elle est, toutefois, censée guérir uniquement ceux qui ont une perspicacité que la foi illumine. Quand la maladie persiste, ce n’est pas faute de l’efficacité du saint, mais parce que celui-ci ne daigne pas encore être satisfait du patient. L’échec est probablement dû aux péchés du suppliant, ou au fait qu’il n’est pas débarrassé de sa souillure et de son impureté. Le malade n’a qu’à prendre son mal en patience, s’infliger des mortifications, tout en continuant à espérer et à fréquenter le mausolée.

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Mais, avant de recourir au ministère de l’omnipraticien qu’est l’imam, nombre de suppliants ont déjà expérimenté en vain la médecine conventionnelle : « Un an et un mois que je souffre de l’acuité de la maladie. J’ai pris toutes sortes de médicaments, [consulté] trois médecins. Je me soigne, mais en vain. La guérison est dans ta satisfaction de moi » (116). Ceci semble également être le cas du suppliant n° 240 qui inscrit sa requête (voir ci-dessus) à al-Châfi‘î sur le verso d’une ordonnance portant mention de son prénom, Ramadân, et du nom et coordonnées de son généraliste traitant. La liste des médicaments prescrits suggère qu’il souffre de rhumatisme et d’hypertension. Entre le 15/11/93, date de sa première visite médicale, le 18/11/93, celle de la seconde consultation, et la première semaine de janvier 1994, date à laquelle l’ordonnance fut déposée dans le mausolée, on ignore si le patient a scrupuleusement suivi le traitement prescrit. Mais on devine, toutefois, qu’il n’a pas recouvré la santé puisque de guerre lasse il écrit : « Ô Dieu, avec la baraka de notre seigneur l’imam facilite-moi les subsistances et guéris-moi afin que je n’aie plus besoin de personne d’autre que Toi, ô Dieu ». Enfin, citons trois suppliques (89, 147 et 222) adressées à l’imam par un même solliciteur entre le 11 décembre 93 et le 1er janvier 94. Ces trois requêtes de justice – qui n’ont rien à voir avec la maladie – sont toutefois rédigées sur du papier publicitaire pour produits pharmaceutiques. Peut-être cet homme est-il pharmacien ?

Pour celui qui souffre, médecine savante, sainteté et sorcellerie constituent trois options concomitantes et non concurrentielles. Autrement dit, un patient peut consulter consécutivement, voire simultanément, un médecin, un saint ou un sorcier, afin de mettre toutes les chances de son côté. Dès les plus anciennes origines, l’exercice de la médecine n’était-il pas lié au temple, à ses prêtres sacrificateurs et à ses mystères ? Le recours à la médecine populaire, magique ou surnaturelle n’est tout simplement qu’une stratégie de survie. Une façon de parer à tous les coups. Une assurance multirisque. Ce va-et-vient permanent entre cliniciens, marabouts et chamans ne choque point la clientèle qui, loin de les mettre sur un pied d’égalité, ne les inscrit pas sur une même échelle de valeur. Comme ils n’opèrent pas sur le même registre, ces différentes catégories de thérapeutes ne sont nullement en rivalité, plutôt en complémentarité. Nombreux sont ceux qui prennent leur potion magico-religieuse tout en avalant les cachets prescrits par le médecin. Deux précautions valent mieux qu’une. Pour l’homme primitif, le médecin moderne n’est qu’un sorcier en blouse blanche. Par conséquent, il convient de considérer la guérison non comme une sonate pour un seul instrument, mais comme un ensemble polyphonique dans lequel médecin, walî et rebouteux peuvent jouer chacun sa propre partition. Bien sûr, l’ennui c’est que, en cas de guérison, on ignore à qui on la doit précisément. Une enquête récente, réalisée par le Centre national de recherches sociales et criminologiques, estime à environ trois cent mille le nombre de charlatans (mucha‘widh) qui opèrent actuellement sur tout le territoire et à dix milliards de Livres égyptiennes le volume des transactions annuelles liées à cette activité. Évidemment, ces chiffres sont difficilement vérifiables, puisqu’ils renvoient à une activité souterraine et prohibée par la loi. Ils constituent, néanmoins, un indice révélateur, un ordre de grandeur lourd de significations. La sorcellerie représente une épine dorsale dans la renommée et l’économie de certaines localités comme Mahallât Bichr située dans le gouvernorat de Buhayra. À l’entrée de ce village surnommé par les médias qal‘at al-dajal (forteresse de la sorcellerie), des rabatteurs accueillent les nombreux visiteurs.

Qu’ils soient homme ou femme, musulman ou copte, égyptien, marocain ou soudanais, les devins-guérisseurs et les sorciers sont craints par les villageois. La réputation de certains d’entre eux déborde, parfois, largement leur pourtour géographique. Ils régissent la santé en général, la santé sexuelle et reproductive en particulier. Ils peuvent rançonner même ceux qui ne font pas appel à leurs bons offices. Combien de jeunes mariés imprudents se sont retrouvés noués pour avoir bêtement négligé de présenter des offrandes au magicien local avant leur nuit de noces. Combien d’amoureuses délaissées, évincées ou injustement répudiées se sont vengées de leurs hommes infidèles en les rendant inaptes au commerce sexuel. Contrairement à l’idée reçue qui veut que les progrès de l’instruction et de la médecine moderne soient inversement proportionnels au développement de la médecine magico-populaire, il y a fort à parier que guérisseurs et sorciers ont encore de beaux jours devant eux. Car ils restent beaucoup plus proches des gens que les grands ténors de la médecine officielle. Ils vivent dans le même milieu social que leurs clients, s’habillent et parlent le même langage qu’eux. Ils ne rechignent pas à se déplacer jusqu’au domicile du patient. Contrairement à certaines blouses blanches, guérisseurs et sorciers apparaissent nettement plus humains, accordent plus de temps à leurs patients et répondent patiemment à toutes leurs questions. Ils ne sont pas trop gourmands : leurs honoraires sont déterminés en fonction, bien sûr, de la gravité du cas à prendre en charge et de la nature du remède. Mais dans l’ensemble, ils restent relativement abordables et leurs tarifs fluctuent en fonction des moyens financiers du client. En outre, ils peuvent accepter un paiement en nature, ou différé. Certains peuvent même renoncer à tout salaire, estimant qu’ils agissent par pure charité, pour la seule gloire de Dieu. Car ils ne vivement pas tous exclusivement de leur art. Beaucoup d’entre eux exercent parallèlement une activité tout à fait ordinaire. Le jour, ils peuvent être fonctionnaires, simples artisans ou paisibles retraités. Mais la nuit venue, ils endossent les oripeaux de guérisseurs et s’adonnent à la sorcellerie qui leur procure des ressources d’ap-point. Il n’empêche que certains d’entre eux refusent catégoriquement toute rétribution, de peur de voir disparaître ce don de guérir qu’ils ont reçu de Dieu. Ils acceptent, cependant, les cadeaux et autres récompenses en nature.

Dans notre corpus, nous recensons quarante-six requêtes de guérison émanant de vingt-sept femmes, de quinze hommes et de quatre suppliants de sexe indéterminé. Quoique leurs syndromes ne soient pas toujours clairement décrits, leurs maladies peuvent être classées grosso modo en deux catégories : organiques et psychiques. Bien entendu, cette distinction n’est pas toujours aussi nette. Entre ces deux types d’affections, la ligne de démarcation n’est pas facile à tracer. Soulignons donc que cette catégorisation de convenance est adoptée ici pour la commodité de l’exposé, mais elle n’implique guère l’étiologie du mal. Car les maux du corps et de l’esprit peuvent coexister et même être exacerbés par les défaillances naturelles dues à la vieillesse : « Ô l’imam… je me plains à toi de mon mauvais état et de mes problèmes psychiques et physiques » (359) ; « Mon corps n’arrive plus à me porter, mon âme est troublée, Satan, les mauvaises pensées, mon esprit et la vie me serrent dans une main de fer. Impossible de s’évader. Pas d’échappatoire. » (33). Hésitant sur la nature exacte de la maladie qui le ronge, le patient attend d’al-Châfi‘î non seulement une médication thérapeutique mais, auparavant, un diagnostic :

« Si je suis habitée par un djinn ou un démon, ôte-le de mon corps et guéris-moi, ô mon Seigneur. Si je suis victime du mauvais oeil, ôte-le de mon corps… » (142), « Si mon corps est habité par un djinn ou un démon, chasse-le de mon corps, ô Seigneur des mondes… Si l’origine de ma maladie est le [mauvais] oeil, guéris-moi de tout cela » (295).

Lorsque l’origine du mal demeure énigmatique pour le souffrant et que tarde le rétablissement, la sorcellerie devient alors une explication ou un pronostic plausibles, surtout dans une atmosphère fortement imprégnée de légendes et de rituels :

« Ma mère et moi sommes malades et ignorons la raison de notre maladie et si c’est à cause de la sorcellerie. Si cette sorcellerie vient de nos proches ou voisins, nous prions Allah, avec la bénédiction du mausolée de l’imam al-Châfi‘î, d’annihiler l’effet du sortilège dont nous sommes victimes, moi-même et ma mère. Et de nous dévoiler qui nous a ensorcelées… » (97).

Répondre à tous ces si : telle est la première tâche assignée à l’imam al-Châfi‘î. Ce n’est qu’ensuite qu’il pourra délivrer le patient, annihiler les maléfices et renvoyer le sort sur celui qui l’a jeté. À un mal surnaturel, remède surnaturel.

Toutes les maladies ne sont-elles pas considérées comme des possessions (Doutté, 1984, p. 35) ? Dans maladie, il y a déjà le mot mal. Et ce n’est point un hasard. Le mal n’est pas physique, mais métaphysique. En effet, le pouvoir du saint influence la santé des hommes et des bêtes. Tantôt il guérit, tantôt il rend malade. Qui peut le bien, peut le mal (Westermarck, 1935, p. 155). L’imam qui dispense le bien peut, par ricochet, provoquer le mal (charr). D’ailleurs, à force de soulager les suppliants et de prendre tout le mal sur lui, le saint devient source de mauvaises influences. La santé est une arme à double tranchant : on la souhaite pour soi-même et l’interdit à ses adversaires. Dans notre corpus, exécrations, imprécations et châtiments corporels ne manquent pas :

« qu’Il [Dieu] te réserve la maladie… aveugle ton oeil de notre côté… » (182), « qu’il [le mal] te reste dans ton oeil et ta santé » (yuq‘udlik fî ‘aynik wa ‘afîtik) (180, 182), « punis-la dans sa santé » (bayyin lî ‘alâ sihhithâ) (4). Souhaiter « la maladie mortelle, la cécité, la mutité et la paralysie des bras » de ses ennemis est une chose courante dans notre corpus, qui fait peu de place à la rémission et au pardon (18). Même le cÅ“ur d’une mère courroucée y succombe : « Que Dieu châtie mon fils, qu’il tombe malade, que ce soit moi qui lui donne le remède et qu’il dise “pardonne-moi maman” » (327) ! Des invectives cruelles sont lancées par ce frère contre sa propre sÅ“ur : « Qu’Allah te donne des maladies : le diabète, le cancer et la tuberculose… Qu’Allah raccourcisse ta vie » (291).

Une vision veut que le saint soit le double inversé du sorcier. L’un étant le complément indispensable de l’autre. D’ailleurs, ils portent tous les deux le même titre « Shaykh ». Edmond Doutté a brillamment souligné l’extrême difficulté de distinguer la religion de la magie, voire l’impossibilité de traiter de l’une sans parler de l’autre, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de s’y attarder (Doutté, 1985, p. 25-26). Cette même idée est relayée par François-André Isambert qui juge illusoire toute tentative de séparation entre magie et religion, qui sont généralement entremêlées dans l’esprit populaire (Isambert, 1982, p. 34). De ce point de vue, l’imam est pourfendeur des démons qui tourmentent. Les suppliques présentent un large éventail, allant des altérations légères ou bénignes :

« Ma tête me fait mal, [il y a] des bourdonnements dans mon oreille et je n’arrive plus à travailler » (158), « Mon moral est bas » (93), aux cas de possession et d’affections provoquées par les djinns (cf. lettre ci-dessous n° 122), en passant par tous les troubles du comportement attribués au mauvais Å“il : « Je me plains… de ce que j’ai ressenti de malaise, de détérioration de mon état psychique, de distraction, d’égarement et d’être mal en point » (257).

Contre ce mal inattendu et mystérieux, générateur de douleurs localisées ou d’engourdissement général des sens, l’imam al-Châfi‘î, psychosomaticien surnaturel, se dresse comme un désensorceleur, un désenvoûteur.

Plainte
Du pauvre serviteur Muhammad fils de Hudâ à Monseigneur l’imam al-Châfi‘î. Je me plains auprès de toi des djinns, de la puissance des djinns qui me hantent, de la méchanceté des serviteurs de la sorcellerie [i.e. les sorciers] qui me causent beaucoup de préjudices. Je t’adresse ma plainte afin que tu agisses suivant le commandement d’Allah, ô Monseigneur, ô l’imam al-Châfi‘î, ô le défenseur des persécutés.

Pour l’instant, retenons que la quête de guérison peut être tout simplement formulée de la sorte :

« guéris-moi » (ichfînî) (100, 240, 318) ; « guéris-moi de la prostate » (52) ; « guéris le genou de Târiq, fils de Zaynab » (190) ; « guéris-moi mon corps » (205) ; « donne-moi la santé et la force » (i‘tînî al-sihha wa-l-‘âfiya) (45, 102, 430) ; « restitue-moi ma santé intégralement » (165) ; « Ô Guérisseur, ô Formateur, ô Réintégrant, guéris-moi et guéris chaque patient » (287) ; « qu’il dénoue ta langue » pour une personne qui bégaye (234). Et comme il vaut mieux prévenir que guérir, la supplique revêt, parfois, un caractère prophylactique. On implore pour que la maladie épargne sa demeure : « bénis ma vue et ma santé » (188) ; « préserve-la de la douleur et de la maladie » (384) ; « écarte de moi toutes les maladies » (165).

De même, « Que son oeil soit crevé ! » (182), ce n’est pas nécessairement un mal physique qu’on souhaite à l’autre. Cela pourrait avoir une portée symbolique plus importante, en tant que phrase prophylactique contre le mauvais oeil, vecteur du mal. Ce même principe vaut pour « paralyse leurs bras » (chil yadahum) (18). Comme exemple typique de ce genre de requêtes, citons la supplique suivante :

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux
Je place ma confiance en Dieu le Très-Haut, le Digne de louange.
Le nom : Samîra Ahmad ‘Abd al-‘Azîz.
[Je suis] malade et atteinte à l’œil gauche et l’on ne sait pas. Priez donc Dieu pour me guérir et me soulager de cette maladie. Je demande à Dieu et à votre Excellence de considérer notre situation. On m’a relogé dans un magasin au hameau Nâhya. Je demande à Dieu et à votre Excellence d’examiner mon état de santé et de m’aider à vivre et à acheter les médicaments. J’ai cinq enfants dont le plus jeune est cardiaque de naissance. Le magasin est trop exigu pour nous. J’espère que vous nous trouverez un autre lieu pour y vivre avec ma famille. Mon mari est un vieillard. Il travaille comme planton dans un hôpital et ses yeux sont faibles. Prière de m’aider n’importe comment. Les frères [sic] qui cambriolent les appartements débarquent [chez nous] la nuit. J’ai une jeune fille en âge de se marier et je les crains pour elle. Ils font un tabac au-dessus de nous et nous en avons peur chaque nuit.
Merci à vous et j’espère que vous prendrez connaissance de ce billet et prendrez note de ce problème.
Pardon et merci beaucoup beaucoup beaucoup.
L’adresse: Bloc n° 13 des logis du hameau Nâhya.

Outre leurs ennuis de santé, les solliciteurs de l’imam al-Châfi‘î cumulent souvent de nombreux handicaps. Certains semblent même toucher au fin fond du désespoir, victimes d’une société en déroute. Au milieu des lamentos passagers, cette lettre n° 473 laisse entrevoir une douleur et une misère poussées à leur paroxysme. Elle démontre que si se soigner n’est pas chose facile, se procurer des médicaments constitue une autre paire de manches. En effet, beau-coup de ménages ont une ardoise chez leur pharmacien attitré, surendettement oblige. D’autres malades sous traitement revendent à moitié prix les médicaments qu’ils obtiennent gratuitement par la Sécurité sociale pour soigner leurs maladies chroniques. La paupérisation absolue est un prélude inéluctable à la dénutrition et à la déchéance physique. Dans cette spirale infernale, on apprend assez vite à se défaire des médicaments et à les remplacer par les prières et les incantations. Consulter un médecin et acheter les médicaments est un luxe que de plus en plus de familles ne peuvent pas s’offrir. Généralement, le patient est traité par les recettes populaires durant les premiers jours de l’infection, avec l’espoir que Dieu le guérira. Ensuite, lorsque le cas empire, l’on achète un remède directement au pharmacien sans ordonnance afin d’économiser les honoraires du médecin. On aurait bien tort de considérer cette supplique comme une exception ou un cas extrême. Car elle renvoie à une réalité tristement quotidienne : des miséreux obligés de vendre leur sang, parfois même leurs organes pour pouvoir survivre. Une grande partie du sang collecté l’est grâce aux veines exsangues des chômeurs qui bradent le leur dans les quelque 239 banques du sang du pays. Le vol et le commerce d’organes, surtout les reins et les cornées, constituent un marché très prospère grâce à un réseau actif d’intermédiaires et de médecins corrompus. Exhiber une ordonnance – fausse ou vraie, peu importe – une malformation congénitale, un membre mutilé, une pochette de sang, une attelle ou une fausse prothèse : un habile subterfuge élaboré par les nuées de mendiants qui battent le pavé, afin d’exciter la pitié des bien portants. Les alentours des hôpitaux sont des lieux de prédilection pour les mendiants. Enrôlés de gré ou de force, des handicapés physiques ou mentaux, affalés dans leurs chaises roulantes, se traînent comme des éclopés au milieu des passants. Longtemps après avoir été exclus des fêtes foraines occidentales, l’homme tronc a pris du service dans les rues égyptiennes.

Plus que tout autre solliciteur, celui qui est meurtri dans sa chair ou dans son âme laisse éclater son empressement à « guérir très bientôt, très bientôt, très bientôt » (165), à recouvrer « la guérison rapide » (al-chifâ’ al-‘âjil) (36, 53). Mais comme soigner n’est pas forcément guérir, à défaut d’annihiler les malaises et les maladies, on attend du saint un « soulagement » (81, 473), une « amélioration » (359), à tout le moins, un soutien moral. Chaque solliciteur est obnubilé par sa propre douleur et considère ses difficultés comme isolées des autres problèmes sociaux. L’absence de conscience politique ne permet pas aux suppliants de réaliser que leurs déboires personnels ne sont qu’une émanation d’une crise socioculturelle collective, et que leur souffrance n’aura de cesse qu’une fois réformée la société toute entière. Car la maladie des gens n’est souvent que le reflet de la maladie de leur système de santé en particulier et de la faillite de leur système politique en général.

À la lisière entre santé, intégrité physique, meurtre et affaire judiciaire, citons deux exemples. Le premier concerne le solliciteur n° 221 qui se plaint à l’imam al-Châfi‘î d’une machination ourdie contre lui par son oncle paternel et d’autres habitants du village de Ma‘sarat Sâ‘dî qui le persécutent. Le suppliant précise qu’il est « menacé par eux. Ils m’ont fait boire du poison car ils veulent s’accaparer mes terres, ma maison et mes biens. Je n’ai personne pour me sauver que votre Excellence et votre justice ». Le second exemple concerne une lettre très touchante adressée par une mère de plusieurs enfants en bas âge à al-Châfi‘î. Elle y sollicite son soutien dans le procès de son époux dont l’audience est fixée au 23 novembre 1993. Elle ne dévoile pas les raisons pour lesquelles celui-ci a été emprisonné, mais précise laconiquement que « c’est malgré nous. La vie n’est pas tendre ». Elle prie pour que les juges fassent preuve de clémence et pour lui épargner la fréquentation des maisons d’arrêt. À la fin de sa lettre, elle implore pour que l’innocence de son mari soit reconnue et que « les analyses du laboratoire soient négatives » (57). Dans cette affaire judiciaire, al-Châfi‘î est sollicité pour influer sur l’expertise médicolégale !

Terminons en évoquant les problèmes liés à la stérilité. En fait, nous aurions dû commencer par là, tant les Égyptiens attachent d’importance à la procréation. Le Coran n’enseigne-t-il pas que « Les biens et les fils sont la parure [éphémère] de la Vie Immédiate » (XVIII, 46) ? La société pratique l’amalgame entre la femme, le mariage et la maternité, de sorte qu’il est inconcevable d’imaginer une femme sans qu’elle soit épouse et mère. C’est sa destinée. En ce qui concerne l’homme, la situation est tout à fait différente. C’est un être social en premier lieu ; alors que la femme est avant tout un être biologique. Comparée à l’Européenne qui prend le nom de son mari pour devenir « Madame Untel », l’Égyptienne, elle, est désignée par celui de son fils aîné, « Mère d’un Tel ». Quel que soit son statut social, la femme arabo-musulmane tire sa principale richesse et son identité de sa progéniture. La célébrissime Chajarat al-Durr, qui a régné sur le trône d’Égypte en 648/1250, est surtout désignée par les chroniqueurs comme Umm/Wâlidat Khalîl (mère de Khalîl), du nom d’un fils mort en bas âge, qu’elle a eu en 637/1239-40 avec al-Sâlih Ayyûb. Cette kunya (appellation) se retrouve également dans son nom de règne comme dans sa titulature sur les monnaies. Afin de ne pas l’humilier, la femme stérile ou celle qui n’a pas encore eu d’enfant est surnommée « Umm al-ghâyib », littéralement (mère de l’absent), autrement dit de l’enfant qu’elle aurait pu ou dû avoir. À l’inverse, les petites filles et les nouvelles mariées reçoivent le surnom de « Umm al-banîn » (mère de [nombreux] enfants), censé leur porter bonheur. Ainsi la société occidentale confirme-t-elle le rôle de l’épouse-femme, alors que les sociétés orientales consacrent celui de l’épouse-mère. Voilà pourquoi l’Égyptienne est plus attentive à sa progéniture qu’à sa féminité. C’est pourquoi aussi elle est souvent traitée avec autant d’égards et de respect en tant que mère et, parfois, bafouée et malmenée en tant qu’épouse. Pour l’instant, rete-nons simplement que, dès son plus jeune âge, l’Égyptienne est conditionnée – notamment dans le milieu rural et les catégories socioprofessionnelles les plus défavorisées – à son futur rôle de mère.

  • 9 al-Nasâ’î, Sunan, Kitâb al-nikâh, 11/3227, tome III, Dâr al-Hadîth, Le Caire, 1999, p. 377.

Le traditionniste perse, l’imam al-Nasâ’î (m. 303/915), rapporte qu’un homme, sur le point de se marier, est venu consulter le Prophète : « J’ai trouvé une femme de haute naissance et d’une grande valeur, mais elle est stérile. Pourrais-je l’épouser ? ». Le Prophète l’en dissuade. Ce prétendant revient deux fois à la charge et obtient à chaque fois la même réponse négative de la part du Prophète, qui finit par déclarer : « Épousez la [femme] féconde (walûd) et affectueuse (wadûd), car je m’enorgueillis de votre grand nombre [parmi les autres prophètes le jour du Jugement dernier]9 ». Un fécond laideron, même pauvre, a davantage de chance de convoler qu’une fille jolie comme un ange, riche mais incapable de donner la vie. En l’absence de tout signe prodromique de grossesse, l’épouse est généralement considérée comme stérile (‘âqir) au bout de trois mois de mariage. Les coutumes sont encore plus intransigeantes : « illî mâ-tihbalch min lilithâ yâ waksithâ » (celle qui ne tombe pas enceinte dès sa nuit de noces, quelle vraie nullarde !). La bréhaigne est affublée de plusieurs surnoms moqueurs : « dhakar » (mâle), « baghla » (mule), etc. Tenue responsable de son propre malheur, la femme inféconde endure une cruelle humiliation au sein de sa propre famille. Maudite par Allah, improductive, elle ne mérite même pas d’être nourrie. D’ailleurs, il n’est pas rare qu’elle soit tout bonnement privée d’héritage, notamment en Haute-Égypte, puisqu’il irait à son époux et non à sa descendance.

Parfois, la stérilité est attribuée aux conflits survenus entre une femme et sa qarîna. Chaque individu naît avec un double du même sexe qui vit sous terre. Ainsi l’homme est-il flanqué d’un qarîn, un alter ego à son image ; la femme d’une qarîna, littéralement une « compagne inséparable » à tous points pareille. Le qarîn – conception obscure et immatérielle tout à fait comparable au ba des anciens Égyptiens représenté sous la forme d’un oiseau à tête humaine – subit le même sort que l’individu, tombe malade et meurt en même temps que lui. Par exemple, lorsqu’un médecin soigne une personne, le qarîn du thérapeute prodigue les mêmes soins au qarîn du patient. Lors d’un mariage, le qarîn de l’homme épouse la qarîna de la femme. L’unique différence de taille est que la qarîna est incapable de procréer. La stérilité, les fausses couches répétées, la mort des nouveaux-nés ou leur substitution par leurs frères et sœurs qui vivent sous terre sont, quelquefois, attribuées à une jalousie ou à un différend survenu entre la femme et sa qarîna. Envieuse, celle-ci peut venir sous le couvert de la nuit menacer la femme enceinte, voire lui assener dans le ventre le plus grand coup qui se puisse donner afin de lui provoquer une fausse-couche. Après accouchement, le nouveau-né n’est pas à l’abri de la qarîna qui peut le rendre malade, le tuer ou carrément l’emporter sous terre. Auquel cas, la maternité ne peut s’épanouir qu’au prix d’une réconciliation (sulh) entre la femme et sa qarîna. Le contact peut s’établir par sorcier interposé ou lors d’une célébration de zâr. La femme stérile doit s’ex-cuser auprès de sa qarîna acolyte et assouvir toutes ses demandes, afin que celle-ci cesse de lui faire du mal. Pour soigner une femme stérile car jugée orgueilleuse par sa qarîna, on lui fait boire un verre d’eau de la cuvette des cabinets (‘Uthmân, 2002, p. 143). Une recette peu ragoûtante et qui manque d’élégance, certes. Mais, qui a au moins le mérite d’être claire et directe pour lui faire faire amende honorable, pour lui rabaisser le caquet. Ça lui apprendra à être vaniteuse. Ça lui apprendra à être stérile !

Pour conjurer le spectre terrifiant de l’infécondité, les femmes ne reculent devant rien. Innombrables sont les recettes populaires (wasafât baladiyya) destinées à soigner ou à stimuler l’utérus paresseux. La plus répandue entre toutes est la sûfa. Il s’agit d’un cocktail de plusieurs ingrédients : pelure d’oignon, épluchure d’ail, feuillage roulé, fenugrec (hilba) et huile que l’on fait revenir sur le feu jusqu’à épaississement. Refroidie, cette pâte est ensuite découpée en boulettes et enroulée dans la gaze (châch) en laine – d’où le nom de la recette. Enfin, elle est introduite dans le vagin soit dès l’arrêt des menstrues, soit immédiatement avant ou après un rapport sexuel. Visant à dégager les artères de l’utérus, ce suppositoire vaginal peut également être concocté à base de pollen de palmier (liqâh nakhl) et de dattes en pâte (‘ajwa), ou bien de mistika, d’amome en grappe (habahân), de fenouil grec (habbat al-baraka), d’eau de rose, de gousse d’ail et d’huile d’olive (Muhammad ‘Abd al-Salâm Ibrâhîm, 1996, p. 35-36). Outre les herbes, on introduit dans l’entrée de l’utérus d’autres matières relevant de la magie imitative (sihr al-muhâkâh) dont nous avons déjà parlé plus haut : prépuce (qulfa) d’un jeune garçon circoncis, coton imbibé de lait maternel, cordon ombilical d’un nouveau-né (Ahmad Ghunaym, 2005, p. 40), etc.

  • 10 Les chiffres impairs, notamment le nombre sept, sont très utilisés dans la magie musulmane.

« Allah qui fend le grain et le noyau fait sortir le Vivant du Mort et fait sortir le Mort du Vivant » : cet attribut divin est énoncé textuellement quatre fois dans le Coran (III, 27 ; VI, 95 ; X, 31 ; XXX, 19). Aussi curieux que cela puisse paraître, la mort en général et la mort violente en particulier sont associées à bon nombre de rituels de fécondité. L’écrivain Ahmad Amîn rapporte que dès qu’un hôpital recevait le cadavre d’un tué, les femmes stériles s’y précipitaient pour l’enjamber un certain nombre de fois (Amîn, 1953, p. 286). Plus loin, il se souvient qu’à proximité de la place al-Manchiyya à Alexandrie se trouvait autrefois un emplacement réservé au lavage des pendus et des assassinés. Ce lavoir était pris d’assaut par les femmes infécondes qui trempaient leurs vêtements dans le sang fumant réputé favoriser la procréation (Ibid., p. 374). Cette coutume macabre était répandue dans d’autres villes. C’était le cas, par exemple, à la place al-Rumayla, lieu d’exécution publique des grands criminels, située à l’ouest de la Citadelle du Caire. Les cadavres décapités étaient transférés et lavés avant enterrement dans un bâtiment situé au sud, appelé Maghsal al-Sultân et d’où émanaient des miasmes pestilentiels. Avec le pied gauche, les femmes stériles passaient sept fois10sous la table en pierre du lavoir, se lavaient le visage avec l’eau croupissante et putride de la toilette mortuaire, donnaient ensuite un pourboire aux gardiens des lieux, avant de rentrer chez elles sans parler à personne. D’autres ne rechignaient pas à tremper carrément leurs vêtements ou un morceau d’étoffe dans le sang des suppliciés (Lane, 1989, p. 259-260). Il est assez frustrant de constater qu’aucun observateur de ce rituel sanguinolent n’ait avancé la moindre explication. Nous pouvons, néanmoins, risquer une interprétation. En effet, tout laisse à penser que l’âme violentée des condamnés à mort, arrachée de force alors qu’elle ne demandait qu’à vivre, chercherait à se réincarner en un être nouveau. Principe de vie, le sang versé des cadavres serait un excellent support de cette réincarnation en un fœtus de chair et de sang. La stérilité se lave dans le sang fût-ce celui d’un criminel. Enfin, il convient de noter que, bien avant l’islam, cette pratique était déjà connue dans l’Arabie animiste. Les femmes victimes de fausses couches hantaient les champs de bataille où elles dansaient sur les cadavres des ennemis pour guérir (Pottier, 1939, p. 16). Le sang appelle le sang. Ainsi celui des grosses tortues marines tirsa, vendues et cruellement égorgées sur les marchés de poissons à Alexandrie et servies dans presque tous les restaurants de cette ville. La consommation de la chair et, notamment, du sang des tirsa est réputée favoriser l’ovulation, doper la puissance sexuelle et combattre la stérilité. Victimes d’une pêche lucrative et intensive, ces tortues sont aujourd’hui en voie d’extinction. Ce marché explique la prolifération des méduses qui envahissent les plages d’Alexandrie et dont les tirsa étaient les meilleures prédatrices.

Encore de nos jours, les produits résultants du lavage (taghsîl) des morts (eau, savonnette et éponge) sont détournés à des fins reproductives. La femme stérile se lave les parties génitales et s’asperge tout le corps avec cette eau. Vu que beaucoup de familles considèrent cette exploitation des résidus de leur mort comme une profanation, ceux-ci sont très souvent subtilisés par le/la laveur(se), ou par une tierce personne ayant assisté à la toilette mortuaire. C’est pourquoi les laveurs ne recevaient autrefois pour tous honoraires que les vêtements du mort et ces résidus qui ont une valeur marchande. D’ailleurs, dans la conscience populaire, l’eau de la toilette mortuaire doit être versée dans la demeure car elle porte la baraka du défunt. Une autre recette consiste à faire passer la femme stérile sept fois sous le cercueil ou la table en bois (maghsala) ayant immédiatement servi à laver un mort (al-Farnwânî,1989, p. 270), ou à la faire s’allonger dans un cercueil. Il existe également une autre thérapie basée sur la frayeur : introduire la femme stérile dans une tombe abandonnée et lui faire subitement peur ; la réveiller brutalement avec une fâcheuse nouvelle ; l’allonger sur les rails du chemin de fer sous un train en passage, etc. L’effroi qui en résulte vise à fouetter le flux sanguin et à provoquer une dilatation brusque de l’utérus (Blackman, 2000, p. 101-102).

Les puits et les sources d’eau sont souvent associés aux rites de fécondité et aux mystères de la procréation. Au commencement, il n’y avait pas forcément le Verbe, mais l’eau. Le liquide chaotique. L’aquatique recelant les germes du possible. L’océan primordial – le fameux Noun des anciens Égyptiens – du tréfonds duquel le démiurge s’extirpe dans toute la splendeur de sa solitude. Nombre de cosmogonies antiques nous l’enseignent. Certains canaux et cours d’eau ont un ange gardien, un esprit protecteur. La source de Zamzam, par exemple, est investie de baraka et de nombreuses facultés curatives. Le puits de Joseph, situé à la citadelle de Salâh al-Dîn al-Ayyûbî au Caire, a longtemps attiré les femmes en mal de descendance. À proximité de l’arbre de la Vierge, situé dans le gouvernorat de Minia, s’étend un grand cimetière au fond duquel se trouve un puits. La femme stérile enjambe sept fois ce puits, s’asperge le visage et le corps de son eau, avant de dévaler en roulant le long d’une pente avoisinante. Lorsque ces points d’eau se trouvent à proximité des vestiges antiques ou carrément sur des sites archéologiques, leur puissance miraculeuse en est naturellement décuplée. C’est le cas, par exemple, du site de Sân al-Hajjar (Tanis) dans le gouvernorat de Charqiyya. Accompagnée d’une parente ou d’une amie, la femme stérile se déshabille, après la fin des menstrues, et enfourche un colosse de Ramsès II gisant sur le dos en s’y frottant méticuleusement le bas-ventre. Ensuite, elle s’asperge d’eau apportée dans une cruche noire, brise celle-ci sur la statue et termine en se mouillant dans l’un des puits sacrés. Le village de Burunbâl, situé dans le gouvernorat de Kafr al-Chaykh, abrite les vestiges de trois colonnes antiques réputées guérir plusieurs maladies. De nos jours, les nombreux patients qui s’y pressent pensent que ce site archéologique renferme des trésors pharaoniques mirobolants. Juste avant la prière communautaire du vendredi, les femmes stériles commencent par laver à l’eau la partie supérieure de ces colonnes. Ensuite, elles y pressent du citron et s’appliquent à en lécher frénétiquement le jus jusqu’au saignement de leur langue, signe qu’elles ont été exaucées.

Les tombes des saints exercent une grande attraction sur les femmes stériles qui les fréquentent et y déposent leur ceinture. Après y avoir récité la fâtiha, accompli une prière de deux génuflexions (rak‘a), effectué des circumambulations (tawâf) et distribué quelques nourritures aux pauvres, la femme inféconde prélève une poignée d’humus (turâb) de la tombe et s’en asperge le corps de retour à la maison. Parfois, une partie de ce terreau béni est enveloppée dans une gaze et déposée durant trois jours à l’entrée de l’utérus en friche. En contact direct avec la dépouille sacrée, l’humus est chargé d’influences bienfaisantes. Les pèlerins égyptiens n’oublient pas de ramener d’Arabie Saoudite, outre l’eau de Zamzam, une poignée de terre de Médine imprégnée de la baraka du Prophète et d’un fort potentiel fertilisant lorsqu’elle est mélangée avec de la terre agricole. On en fabrique des amulettes et on les offre à ses amis. Les visiteurs du monastère d’Abûnâ Yasî Mîkhâ‘îl, situé à Tamâ dans le gouvernorat de Suhâg, ne manquent pas de prélever une poignée des sables entourant la tombe du saint. Déposé directement sur le membre malade ou ingurgité après dilution dans de l’eau, ce sable est réputé détenir un fort potentiel de baraka et de guérison, malgré l’opposition farouche de l’Église orthodoxe et de son pape Chenouda III. La femme stérile rend une visite au mausolée d’al-Sayyid al-Badawî à Tanta. Elle monte dans le minaret, fait sept fois le tour en promettant un nadhr au saint qu’elle honorera après son accouchement (‘Uthmân, 2002, p. 169). En effet, il n’est pas rare que pour assurer le succès de ses couches, une future mère fasse le vÅ“u de donner à son enfant le nom du saint ou de la sainte invoqué. Le nouveau-né est ainsi placé sous leur patronage. Sîdî ‘Uqba, enterré dans al-Qarâfa al-kubrâ, est invoqué pour favoriser la grossesse. Le vendredi avant la grande prière, la femme stérile lui rend visite, agite un mouchoir noué à son extrémité et contenant une somme d’argent tout en scandant : « Sîdî ‘Uqba, dénoue le nÅ“ud… Et je t’offrirai un coq qui appelle à la prière… Et je t’offrirai un cierge qui t’éclaire. »

Nous venons de voir que certains saints sont spécialisés dans les problèmes de procréation. Pourquoi les uns et pas les autres ? D’où découle la spécialisation des saints ? Pour tenter de répondre à ces questions, prenons un exemple bien précis et représentatif. Il s’agit de sîdî ‘Abdallâh Ibn Sallâm, dont le mausolée est érigé aux confins du bourg qui porte son nom, à quelques kilomètres du chef-lieu de Timiy al-Amdîd dans le gouvernorat de Daqahliyya. D’origine juive, ce saint mort en l’an 43 de l’hégire était l’un des Compagnons du Prophète. À en croire la légende, il y a fort longtemps un Bédouin faisait paître son troupeau de chèvres dans le coin. Alors qu’il était totalement absorbé avec sa femme par cette tâche, un loup s’empara de leur nouveau-né. Le Bédouin chercha en vain l’enfant dans les collines avoisinantes. Exténué, il finit par s’assoupir au pied d’un palmier. C’est alors que sîdî ‘Abdallâh Ibn Sallâm lui apparaît en songe et lui indique qu’une louve est en train d’allaiter son nouveau-né à une centaine de pas. Le saint le rassure qu’aucun mal n’arrivera au nourrisson, mais en échange il exige la construction d’un mausolée en son honneur. Au réveil, le rêveur retrouve effectivement son nouveau-né à l’endroit indiqué, tétant le pis gonflé de lait d’une louve qui prend aussitôt la fuite. Le Bédouin obtempère, fait construire un mausolée pour sîdî ‘Abdallâh Ibn Sallâm et voue sa vie à son service. C’est pourquoi, l’une des plus anciennes familles du bourg porte le nom d’al-Dîba (les Loups). De nos jours, les femmes stériles – qui constituent la majorité des visiteurs – effectuent une prière à l’intérieur du mausolée pour que Dieu leur accorde une descendance. Ensuite, elles se changent, revêtent des guenilles et se vautrent tout leur soûl dans l’enclos poussiéreux (marâgha) attenant à la tombe. À l’instar du Bédouin qui a retrouvé son nourrisson de cette façon fabuleuse, les visiteuses du mausolée retrouveront la grossesse. Là encore, il s’agit d’analogie, de magie sympathique ou de la loi des similitudes énoncée par Hippocrate : similia similibus curantur, les semblables sont guéris par les semblables. La spécialisation et la renommée de sîdî ‘Abdallâh Ibn Sallâm découlent de cette légende fondatrice qui ne cessera d’être amplifiée au fil des années.

Il n’a pas échappé, sans doute, au lecteur attentif que toutes les recettes mentionnées jusqu’à présent sont exclusivement destinées aux épouses. En effet, celles-ci sont tenues pour seules responsables de l’infécondité du couple. Répudiation ou polygamie peuvent en découler : « En Égypte, la proportion des mariages rompus par divorce sans qu’un enfant au moins en soit né, atteignait 71 % en 1931 et 74 % en 1978 » (Fargues, 1987, p. 71). La femme répudiée pour ce motif n’a évidemment aucune chance de se remarier. Mais, l’inverse n’est pas vrai. Nombreuses sont les épouses qui continuent à vivre avec leur mari inapte à la procréation, en endossant publiquement la responsabilité de l’échec. Car la stérilité masculine reste un sujet tabou et difficile à admettre dans la mesure où elle touche l’homme dans ce qu’il a de plus cher : sa virilité. De cet amalgame erroné entre infécondité et impuissance sexuelle découle un certain nombre de recettes : découper l’urètre (ihlîl) du taureau, le cuisiner et le faire manger à l’homme à jeun (‘Abd al-Salâm Ibrâhîm, 1996, p. 37). La symbolique phallique est trop manifeste pour qu’il soit besoin de le commenter. Pour ceux qui craignent de se compromettre vis-à-vis de leur boucher, il y a pléthore de cliniques et de laboratoires spécialisés dans la fécondation in vitro et le traitement de la stérilité. Un filon très lucratif qui opère le plus souvent en dehors de tout contrôle du ministère de la Santé. Il y a, surtout, le Viagra. Introduit en Égypte dès la fin des années quatre-vingt-dix, celui-ci a remporté un succès phénoménal, détrônant du coup les recettes des herboristes devenues surannées. Il a fallu attendre début 2006 pour que le ministre de la Santé et des Populations, Dr Hâtim al-Gabalî, autorise sa fabrication locale sous licence étrangère, après avoir été exclusivement dominée par les laboratoires pharmaceutiques Pfizer. Cette décision est accueillie chaleureusement par près de six millions d’Égyptiens souffrant de troubles sexuels. La mise sur le marché en août 2006 du Viagra égyptien a pour objectif de faire face à la contrebande massive du Viagra importé de Syrie, de Turquie, d’Inde et de Chine. Vendu jusqu’à présent sans ordonnance médicale, l’usage du Viagra comme aphrodisiaque est banalisé aujourd’hui au point de servir de cadeau riwish (branché), de monnaie d’échange, de bakchich ou de pot-de-vin. Glissées avec un sourire complice dans la poche d’un fonctionnaire véreux, quelques pilules de cette fée bleue ont le pouvoir magique de faciliter des démarches administratives ou d’obtenir des passe-droits.

Enfin, soulignons que le nombre incroyable de recettes destinées à combattre la stérilité illustre ce paradoxe égyptien : la combinaison d’une forte baisse de la fécondité et d’une démographie galopante. La frustration des couples stériles est accentuée par l’entrée précoce en vie maritale et par l’interdit religieux frappant l’adoption. Quant à l’IVG, elle n’est pas légalisée, même si elle se pratique largement en cachette dans des conditions souvent périlleuses. L’avortement a toujours été abhorré par l’islam, religion ô combien nataliste. Déjà à la fin de l’époque abbaside, considérée comme l’âge d’or de la médecine islamique, l’inspecteur des marchés (muhtasib) vérifiait, en même temps que les poids et mesures sur les marchés, l’application des principes de déontologie médicale. Médecins et pharmaciens prêtaient entre ses mains le serment d’Hippocrate et s’engageaient solennellement, entre autres, à ne prescrire ni remèdes abortifs aux femmes, ni substances contraceptives aux hommes (Ghanî, 2005, p. 77).

Le texte coranique utilise deux termes pour l’adjectif « stérile » : ‘âqir et ‘aqîm. Entre ces deux synonymes, il existe toutefois une nuance, puisque ‘aqîm veut dire aussi improductif, inefficace, infructueux, voire ravageur. On retrouve ce dernier sens dans « al-rîh al-‘aqîm », le vent dévastateur déchaîné contre la tribu impie des ‘Âd (LI, 41), ainsi que dans « yawm ‘aqîm », le jour dévastateur qui réserve aux injustes de terribles tourments (XXII, 55). Par ailleurs, le Coran décrit l’extrême étonnement de la femme d’Abraham qui se met à se frapper le visage en s’exclamant : « Je suis une vieille femme stérile (‘ajûz ‘aqîm) ! », lorsqu’on lui annonce la naissance d’un fils sage (LI, 29). Le même ahurissement saisit le vieux Zacharie, lorsque les anges lui révèlent la naissance d’un garçon dont le nom est Jean. Complètement éberlué, Zacharie interroge le Seigneur : « Comment aurais-je un garçon alors que ma femme est stérile (‘âqir) et qu’elle a atteint la caducité de l’âge ? » (XIX, 8). La réponse du Très-Haut est sans équivoque : « Ainsi, répondit-Il, Allah fait ce qu’Il veut » (III, 40). Inspirés par ces récits coraniques d’accouchements miraculeux, les croyants sont intimement persuadés que la procréation est entre les mains de Dieu : « À Allah appartient la royauté des cieux et de la terre. Il crée ce qu’Il veut. Il donne des filles à qui Il veut ; Il donne des mâles à qui Il veut ou bien Il leur donne par couples mâles et filles ; Il fait stérile qui Il veut. Il est omniscient, omnipotent » (XLII, 48-49). Par l’entremise des saints, les fidèles tentent de bénéficier de ce pouvoir divin, qui se situe au-dessus des contingences physiques. Le merveilleux apparaît normal aux yeux du croyant.

Grand maître de la fécondité, le pouvoir merveilleux d’al-Châfi‘î est naturellement imploré pour concrétiser le désir d’enfants qui tenaille quantité de femmes. Contre les affres de la stérilité, la supplique figure comme une recette magique, parmi tant d’autres. Notre corpus recense vingt requêtes de procréation formulées par dix-sept femmes et seulement trois hommes. Cet écart important peut s’expliquer, comme nous l’avons dit plus haut, par le fait que la fécondité du couple demeure du ressort de l’épouse. La requête classique de procréation consiste à appeler de tous ses vÅ“ux : « la bonne progéniture » (al-dhuriyya al-sâliha) (22, 43, 148), « une pieuse descendance » (al-khalaf al-sâlih) (23, 142, 200), ou « une lignée légitime » (380). La suppliante n° 306 demande « To have (…) a good children »11. Adressée par une épouse en mal d’enfants, la lettre suivante n° 23 est représentative de ce type de requête :

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux.
Louange à Allah, Seigneur des mondes et que la bénédiction et la paix soient sur le maître des créatures et des envoyés.
Ô mon Dieu, ô Seigneur, ô le Compatissant, ô le Généreux, ô le Créateur des cieux et de la terre, accorde-nous une bonne progéniture et donne-nous une pieuse descendance. Je T’adresse mon invocation que Tu connais mieux que moi-même. Par le noble Coran, par notre seigneur Muhammad que Dieu le bénisse et le garde en paix, par ceux qui T’implorent, puisses-Tu satisfaire ma requête et ma question et, notamment, par Monseigneur l’imam al-Châfi‘î, qu’Allah soit satisfait de lui, puisses-Tu satisfaire ma demande et combler ma requête, ô mon Dieu, ô le Compatissant, ô le Généreux, ô le Créateur des cieux et de la terre, ô le Vivant, ô le Subsistant.

Dans l’ensemble, les requêtes de procréation ne sont pas spécifiées. Cependant, il est vrai que la naissance d’un garçon, surtout s’il est l’aîné, suscite généralement davantage de réjouissances que celle d’une fille. Les émoluments des sages-femmes, des infirmiers et des barbiers-circonciseurs sont doublés lorsqu’ils manipulent des garçons, infiniment plus précieux que les filles (Atiya, 1990, p. 203). La pression patriarcale infléchit nombre de suppliques : il faut un héritier mâle, des « banûn sâlih » (157). En dépit des règles génétiques les plus élémentaires, la femme est tenue responsable du genre du fruit de ses entrailles.

Tout ventre n’engendrant que des femelles est marqué d’une forme d’infertilité et exposé à la risée générale. Père de cinq filles, le solliciteur n° 37 se plaint amèrement de sa belle-sÅ“ur qui, entre autres, « persifle constamment [son] épouse car elle n’enfante que des filles et que celles-ci causent le déshonneur de leur famille ». Aussi arrive-t-il qu’au bout d’une demi douzaine de filles, nombre de couples s’estiment enfin satisfaits par la naissance d’un garçon, au grand détriment du planning familial mené à grands frais par l’Égypte depuis 1965. Même quand on en a déjà, on en redemande encore : « Ô mon Dieu, puissé-je engendrer un garçon, un frérot pour Muhammad » (194) ; « que Dieu t’accorde un enfant, un petit frère pour Zayd » (440). Lorsque le choix se présente, on fait un assortiment disproportionné, évidemment, des deux sexes : « I want to have 4 boys -one girl »12(306). Déjà nantie d’un garçon, la suppliante n° 208 est loin d’avoir assouvi ses propres aspirations : « Ô Seigneur, puissé-je accoucher d’un garçon que j’appellerai Muhammad ou Ahmad ». Cette faveur précieuse qu’est la fécondité représente une arme à double tranchant : on la brigue pour soi-même et pour ses proches, on la détourne de ses adversaires. Dans la même lettre, la suppliante n° 440 souhaite la procréation pour ses filles, tout en priant pour que son ennemie « ne conçoive plus jamais d’enfant… qu’elle soit privée des enfants… et que tout ce qu’elle engendre habite les cimetières [i.e. soit mort-né] ».

Né très probablement à Gaza, le 30 rajab 150 H (767) dans une famille pauvre mais de noble extraction, l’imam al-Châfi‘î entreprend un long voyage initiatique à travers la Perse, la Mésopotamie, le sud de l’Asie, le nord de l’Iraq et la Palestine. Le 28 chawwâl 198 (21 juin 814), il entre au Caire, son ultime destination. Accueilli chaleureusement par nombre de princes et de fuqahâ’, al-Châfi‘î choisit la mosquée de ‘Amr b. al-‘As pour y tenir son cercle d’étude. Il consacre environ six heures par jour à donner des cours ininterrompus, passant avec aisance d’une matière à une autre (jurisprudence, exégèse coranique, hadîth, grammaire, poésie…). Autour de lui se pressait une foule d’étudiants, d’adeptes, de savants et même d’opposants à ses idées. Il demeurait ainsi de la prière du fajr (l’aube) jusqu’à l’approche de celle du zuhr (midi). Son long séjour en Égypte, cinq ans et neuf mois, ainsi que les gens qu’il y a côtoyés ont assuré le mûrissement et une meilleure diffusion de sa doctrine. Par ailleurs, il a réussi à former un grand nombre de savants, et à rédiger une vingtaine d’ouvrages.

Mais l’imam al-Châfi‘î était d’une santé fragile. Il a surtout pâti de terribles souffrances hémorroïdales, au point que, lorsqu’il enfourchait sa monture, le sang ruisselait le long de ses jambes et gouttait de ses talons. Il disposait une bassine sous lui, lorsqu’il enseignait, afin d’y recueillir le sang qui coulait (al-Cha’rânî, p. 68). À la suite d’une hémorragie abondante, cette maladie finit par l’emporter. Il expira à Fustât dans la nuit du jeudi au vendredi 29 rajab 204 (20 janvier 820), à l’âge de cinquante-quatre ans. Tout comme le lieu de sa naissance, les circonstances de sa mort ne font pas non plus l’unanimité. Selon une autre version, l’imam al-Châfi‘î aurait succombé à ses blessures faisant suite à une rixe avec un dénommé Fityân b. Abî-l-Samh, adepte fanatique de la doctrine de l’imam Mâlik. Lors d’une joute oratoire, l’assassin violent et coléreux aurait grossièrement injurié al-Châfi‘î qui n’aurait pas répondu à la provocation. Dès qu’il a eu vent de cet incident, le wâlî d’Égypte, fervent adepte d’al-Châfi‘î, punit sévèrement et humilie publiquement l’agresseur. Celui-ci aurait, en guise de vengeance, attaqué nuitamment al-Châfi‘î et l’aurait copieusement battu. Transporté chez lui, celui-ci décéda aussitôt13. D’ailleurs, cet épisode dramatique a soulevé une sédition entre les châfi’ites et les mâlikites qui craignaient que le châfi’isme ne devienne la doctrine officielle en Égypte (al-Daqar, 1987).

Terrassé par la maladie ou victime de l’intolérance sectaire, une chose est sûre : les dernières heures de l’imam al-Châfi‘î ont dû être mouvementées. Très peu de solliciteurs qui fréquentent son mausolée connaissent ce détail que seuls connaissent les érudits et experts en hagiographie. Néanmoins, nous avons choisi de nous quitter sur cette image poignante de l’imam al-Châfi‘î : un grand malade d’autrefois, qui reste au chevet des malades égyptiens d’aujourd’hui. Un sauveur qui, d’outre-tombe, continue à étendre ses ailes au-dessus des infortunés qui vivent une époque de grands désordres et se débattent dans un monde de plus en plus hostile.

Bibliographie

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Notes

1 Tous les noms et coordonnées des suppliants ont été modifiés, afin de préserver leur anonymat.

2 Sur l’imam al-Châfi‘î, voir Chams al-Dîn, 1982. Voir également al-Râzî, 1993 ; al-Chablanjî, 1989.

3 Sur la description du mausolée d’al-Châfi‘î voir ‘Abd al-Wahhâb, 1946. Voir également Wiet, 1933.

4 Voir les quotidiens al-Ahrâm du 4 décembre 2006 et al-Wafd du 20 décembre 2006.

5 Il s’agit du célèbre poète soufi ‘Umar b. ‘Alî Charaf al-Dîn Ibn al-Fârid (576/1181

-632/1235). Il a composé, notamment, un court Dîwân d’une très grande sensibilité, mêlant mysticisme et amour. Ces odes lui ont valu le surnom de « sultân al-‘âchiqîn ou al-muhibbîn » (sultan des amoureux). Il est visité du monde entier.

6 Il s’agit de Muhî al-Dîn b. al-‘Arabî al-Hâtimî al-Tâ’î (560/1165 – 638/1240), l’une des plus grandes figures du soufisme.

7 Enfoncer des rognures d’ongles ou un clou enroulé de quelques cheveux dans le tronc d’un arbre sacré sert à guérir le mal de tête et autres maladies. Les ongles et les cheveux sont très exploités dans les rituels magiques. Lors de la restauration de Bâb Zuwayla, l’équipe de l’American Research Center in Egypt (ARCE) a découvert une quantité impressionnante de dents et de clous enfoncés dans les interstices du bois vermoulu de la porte. Ils sont actuellement exposés dans le petit musée aménagé sur le site. La symbolique est simple : on expulse le mal de son propre corps et on le cloue en dehors de soi sur un support sacré.

8 Les chiffres entre parenthèses renvoient au classement chronologique des suppliques de notre corpus.

9 al-Nasâ’î, Sunan, Kitâb al-nikâh, 11/3227, tome III, Dâr al-Hadîth, Le Caire, 1999, p. 377.

10 Les chiffres impairs, notamment le nombre sept, sont très utilisés dans la magie musulmane.

11 En anglais dans le texte. À l’exception de cette lettre rédigée en anglais, toutes les suppliques sont inscrites en arabe.

12 En anglais dans le texte.

13 al-‘Asqalânî, 1883, p. 86 ; al-Rûmî, 1993, p. 2415 ; al-Charqâwî, 1987.

Pour citer cet article

Référence électronique

Emad Adly, « À la polyclinique de l’imam al-Shâfi‘î », Égypte/Monde arabe, Troisième série, 4 | 2007, [En ligne], mis en ligne le 31 décembre 2008. URL : http://ema.revues.org/index1767.html. Consulté le 15 février 2009.

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2 comments

  1. khaziratoul khouds

    ASSA LAMOU ALYKOUM WA RAHMATOUL LAHI WA BARAKAATOUHOU

    L’ENCEINTE KHOUDS POUR L’EDUCATION DES ENFANTS EN ISLAM

    N0US KHAZIRATOULKHOUDS VENONS SOLLICITER AUPRES DE VOTRE TRES HAUTE BIEN VEILLANCE UNE AIDE CAR NOUS AVONS UN PROJET QUI CONSISTE Á ENCADRER LES ENFANNTS DANS LES SCIENCES CORANIQUES.
    NOUS VOUS TENDONS LA MAIN, ON SAIT BIEN QUE C EST UN PEU DIFFICILE DE TOUT ACHEVER MAIS ON TIENT ÁVOUS RAPPELER QUE CELUI QUI INVESTIT EN L ISLAM AURA COMME RECOMPENSE UNE BENEDICTION D ALLAH ICI DANS CE MONDE ET AU DELA. EN PLUS DE CELA NOUS NE VOUS EXIGEONS RIEN. MAIS POUR VOUS FACILITER LA TACHE,ON VOUS PROPOSE DE DONNER CE QUI EST A VOTRE POTEE, MEME SI C EST UNE CASE POUR ABRITER LES ENFANTS .SI VOUS ETES PRETS Á NOUS AIDER VOUS POUVEZ LE FAIRE SANS NOUS RENDRE COMPTE DE L ETAT DU CHENTIER CE QUI LAISSE SUPPOSER QUE LA LIQUIDITE NE NOUS INTERESSE PAS .DONC CE QUI COMPTE LE PLUS POUR NOUS C EST QUE NOUS VOYONS L INSTITUT PRET .
    NOUS VOUS PRION DE NOUS AIDER Á FAIRE PASSER CE MESSAGE Á TOUS LES BENEVOLES ISLAMIQUUES
    COMME PREUVE, NOUS VOUS DISONS QUE NOUS SOMMES DOTES D UN RECEPICE ISLAMIQUE
    EMAIL׃KHAZIRATOULKHOUDS@YAHOO.FR
    TEL׃00221775255357 OU 00221775193396
    LOUGA (SENEGAL)

  2. khaziratoul khouds

    بسم الله الرحمن الرحيم
    السلام عليكم ورحمة الله و بركاته
    السيد الفاضل /
    تحية طيبة و بعد :
    نظرللوضع المؤسف الذي يعيشه الشباب المسلم في المجتمع الافريقي عامة و السنغالي على وجه الخصوص و الذي جاء نتيجة للاستعمار الثقافي و الغزو الفكري مما جعل الشباب في حالة افتقاد تام إلى التربية الإسلامية المنبنية على أساس القرآن الكريم .
    و للإسهام في بناء مجتمع مسلم يتكون من شباب قادرين على مواجهة التحديات وحمل راية الإسلام و الحفاظ على كتاب الله جاء تأسيس مؤسسة حظيرة القدس لتربية الأطفال في الإسلام .
    و بما أن المؤسسة حديث العهد في الساحة التربوية فإنها في أمس الحاجة إلى من يدفعها إلى الأمام و دعمها ماديا و معنويا .
    لذا نتقدم إلى سيادتكم راجين منكم توفير ما يلزم من دعم لإتمام هذا المشروع الإسلامي .
    علما بأنه تم الحصول على ارض و نحتاج إلى مساعدتكم لإقامة مأوى للتعليم سواء كان مبنى أو خيمة، و يفضل أن يكون إنجاز المشروع بإشراف مباشر من قبلكم أو ممثليكم في هذا البلد بحيث لا يكون لنا أي تدخل إلا عند تسلم المفاتيح .
    و ختاما نشكركم على سعيكم الدؤوب في خدمة المسلمين في كل أنحاء العالم داعين الله أن يجعل ذلك في ميزان حسناتكم .
    حظيرة القدس لتربية الأطفال في الإسلام
    العنوان : مدينة لوغا – louga-– السنغال- senegal
    البريد الإلكتروني : khaziratoulkhouds@yahoo.fr
    تلفون :00221775093996- 00221775193396

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