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La modernisation des kuttâb en Égypte au tournant du xxe siècle

La situation scolaire est généralement plus complexe dans les pays colonisés ou sous influence que dans les métropoles1. Toute la gamme d’écoles « indigènes » fait face, en effet, à une autre gamme d’écoles « étrangères ». Les établissements d’enseignement de niveaux variés interagissent. Les responsables – étatiques, associatifs, notables, personnalités locales – agissent en fonction et dans le cadre de cette concurrence. Celle-ci n’est cependant pas réductible à l’opposition entre enseignement moderne et enseignement traditionnel, bien que cette dichotomie soit omniprésente pour la plupart des acteurs au xixexxe siècle – en Europe comme dans les pays sous emprise coloniale. À partir du xviiiexixe siècle pour la France et l’Angleterre, l’institutionnalisation d’un État moderne va de pair avec la définition et l’extension d’une instruction publique, conçue comme le bagage minimal dont doit être doté tout individu pour être un citoyen responsable et utile à son pays. siècle et au début du siècle pour certains pays précoces comme la Prusse, au

La question de l’instruction publique apparaît dès le milieu du xixe siècle dans le sein de l’État égyptien en cours d’institutionnalisation ; des Européens présents en Égypte, travaillant pour le souverain, missionnaires ou simples voyageurs, des fonctionnaires égyptiens formés dans les écoles militaires et civiles créées par Muhammad ‘Alî2, soumettent des projets visant à mettre en œuvre un programme d’instruction publique. Ce programme ne verra un commencement de réalisation qu’au tournant du xxe siècle, sous la tutelle autoritaire britannique, dans un contexte de luttes entre différents acteurs pour la définition et le contrôle de l’instruction publique – à peu près au moment où fait rage en France la bataille entre l’État et l’Église catholique sur le même terrain.

Le programme qui émerge à la toute fin des années 1890 en Égypte ne sort pas des limbes. Des projets successifs (1837, 1855, 1867, 1880) jalonnent l’apparition de la question de l’instruction publique, sans connaître une réalisation significative au point de vue quantitatif. Étrangement, ce programme qui va durer une vingtaine d’années, de 1898 à 1920 environ, n’a jamais été étudié de près par les historiens, à une ou deux exceptions près du côté égyptien. Chaque fois qu’il est abordé, c’est avec un jugement très négatif : la politique coloniale anglaise ne peut pas avoir apporté quoi que ce soit de positif à l’Égypte. Le début d’un réel développement de l’instruction publique est situé par tous les auteurs, égyptiens comme étrangers, dans les années 1920, après la première indépendance et dans le cadre d’une nouvelle constitution – le précédent du khédive Ismâ‘îl3, antérieur à l’occupation britannique, étant plus ou moins valorisé selon la perspective nationaliste de l’auteur4.

Notre objectif n’est pas de réhabiliter cette politique, mais de montrer qu’elle a été prise en charge par les Égyptiens eux-mêmes5, qu’elle a suscité des débats (entre le ministère de l’Instruction publique, al-Azhar et le Congrès copte) et des transformations institutionnelles majeures (refonte des conseils de province), et enfin qu’en touchant plusieurs milliers de kuttâb qui ont été réformés, elle a posé les bases de l’éducation nationale égyptienne, sous sa forme d’enseignement élémentaire populaire, telle qu’elle va, sous une autre forme plus étatique, se développer à partir des années 1920. Pour une partie appréciable d’entre eux, en entrant volontairement dans la sphère d’influence du ministère de l’Instruction publique, les kuttâb se sont développés et transformés sur les plans du contenu de l’enseignement, de la pédagogie et du public scolarisé – notamment en direction des filles.

Les projets d’instruction publique au xixe siècle

Jusque dans le premier tiers du xixe siècle, l’alphabétisation d’une partie de la population se fait, dans les villes principalement mais aussi dans les campagnes, dans les kuttâb. Ces écoles coraniques joignent en général à la mémorisation du Coran l’apprentissage sommaire de la lecture et de l’écriture, selon une pédagogie très ancienne fondée sur la répétition et la combinatoire des lettres, des syllabes et des mots. Les troubles de la fin du xviiie siècle puis la politique volontariste de monopolisation des moyens de production économique (principalement agricole) et la mise en valeur des terres par l’État, qui pousse également à la libéralisation et à la propriété privée, provoquent une raréfaction des waqf6 et une désinstitutionalisation des cadres de la transmission du savoir. Les établissements d’enseignement religieux (mosquées, madrasa, kuttâb) perdent une part de leurs finances, auparavant assurées par des waqf, et de leur fonction dans la société égyptienne. Leur existence devient plus précaire, dans la mesure où le réseau institutionnel qui en assurait l’entretien et la reproduction est fragilisé. L’État de Muhammad ‘Alî, sur le conseil des saint-simoniens, crée en 1837 une administration des écoles (diwân al-madâris), qui supervise les écoles supérieures militaires et civiles précédemment instituées et ouvre une cinquantaine d’écoles primaires scolarisant environ 5 000 enfants. La plupart de celles-ci ferment cependant leurs portes au début des années 1840, à la suite du traité de Londres7. Elles n’avaient qu’un rôle instrumental dans la mise en place d’une armée, d’une administration et d’une industrie qui devaient permettre au wâlî d’arracher au sultan ottoman la transmission héréditaire du trône d’Égypte8. Ces écoles, loin de constituer, ni dans le projet, ni dans la réalité, un embryon d’instruction publique, ont tout de même produit une génération d’officiers et de fonctionnaires qui vont prendre en charge, pendant les décennies suivantes, la question de l’instruction publique.

Dès 1855, autour de Rifâ‘a al-Tahtâwî (1801-1873)9, un projet de création d’écoles élémentaires modèles dans les villes égyptiennes, pour diffuser un « enseignement élémentaire et populaire » distinct de celui qui est fourni dans les écoles du prince, est présenté au vice-roi Sa‘îd10 – mais il reste lettre morte. Ce n’est finalement qu’en 1867 que la Chambre consultative des députés, nouvellement instituée, se saisit de la question de l’instruction publique. Une commission rédige un rapport puis, sous la direction de ‘Alî Mubârak (1824-1893)11, la loi dite du 10 rajab 1284 (7 novembre 1868). Cette loi prévoit notamment d’encourager et de mieux utiliser les waqf pour la création et l’entretien d’écoles. Le khédive Ismâ’îl, monté sur le trône en 1863, montre l’exemple en fondant un important waqf, dit du wâdî al-Tumaylât, de plus de 9 000 hectares, qui permettra, au cours des vingt années qui suivent, la fondation d’une vingtaine d’écoles (et non les 250 prévues). D’autres waqf de moindre importance sont établis par les membres de la famille khédiviale et par d’autres notables, sans que le résultat soit significatif en termes de nombre d’écoles créées. La loi, contrairement aux affirmations de nombre d’auteurs12, n’institue pas l’autorité de l’État sur tous les kuttâb, mais fait seulement des recommandations sur l’enseignement, qui doit comprendre la lecture, l’écriture et surtout le calcul, ainsi que sur l’entretien des bâtiments qui incombe aux communes. La loi reconnaît seulement que les kuttâb, ces écoles de village et de quartiers, constituent le niveau élémentaire de l’instruction en Égypte. Le seul effet significatif de cette loi est finalement la mise en place d’une inspection (très sommaire), sous la direction du Suisse Édouard Dor13, qui produit entre 1872 et 1878 une statistique des kuttâb de toute l’Égypte qui est de plus en plus étendue géographiquement mais ne parvient pas à l’exhaustivité14. La statistique de 1875 recense quelque 4 700 kuttâb pour 110 000 élèves environ, puis 5 300 en 1878, pour près de 140 000 élèves15. L’augmentation du nombre de kuttâb et d’élèves dans les années 1870, relevée voire saluée par les auteurs, doit en fait être mise sur le compte d’une inspection plus complète à mesure que le maillage du territoire s’affine et que les résistances à l’inspection se réduisent.

La seconde moitié des années 1870 tourne au dépôt de bilan pour l’État égyptien, confronté à ses créanciers européens et à la montée en puissance d’officiers et de notables qui imposent en 1881 un intermède parlementaire, avant la révolte urabiste et l’occupation anglaise. Le Rapport de la commission pour les réformes dans l’organisation de l’instruction publique16 préconise la création progressive de maktab de trois niveaux (village, bourg, ville). Il reste lui aussi lettre morte. Peu d’écoles gouvernementales sont ensuite créées, à cause des restrictions budgétaires massives consécutives au système financier mis en place pour rembourser la dette. En 1890 encore, ‘Alî Mubârak, une dernière fois ministre de l’Instruction publique, suggère la création de 1 500 maktab de trois niveaux dans les villes et les villages, sur dix ans – autre projet enterré, parce qu’il apparaît alors irréalisable.

À partir de la fin des années 1880, le ministère de l’Instruction publique parvient cependant à imposer, pas à pas, son autorité légale sur les différents types de kuttâb, ceux dépendant des waqf17 puis, officiellement, tous les autres18. Trois arrêtés pris le 23 novembre 1890 régulent fortement – au plan légal – l’activité des kuttâb : certificat de capacité obligatoire pour tous les enseignants, programme scolaire obligatoire complet, programme des connaissances que doivent posséder les maîtres de kuttâb19. Mais on ne change pas le kuttâb par décret. Ces dispositions posent certes un cadre légal auquel il est prévu de plier les kuttâb. Le ministère n’a encore aucun moyen, toutefois, pour le mettre effectivement en œuvre, surtout en matière d’administration. Pendant ces années, les effectifs du ministère sont cantonnés aux écoles gérées par le gouvernement. Seuls deux dénombrements sommaires des kuttâb de village ont lieu, en 1887 et en 1893. C’est donc sur les kuttâb dont il a récupéré la responsabilité – en même temps qu’une somme forfaitaire versée par l’administration des waqf et qui surpasse les frais de fonctionnement antérieurs – que le ministère va, dans les faits, tester sa politique de modernisation20.

L’expérimentation sur les kuttâb financés par les waqf : 1890-1900

Dans un premier temps, le ministère de l’Instruction publique tente de faire le point sur l’état des bâtiments des 69 kuttâb, dont 4 fermés, qui sont passés sous sa tutelle. Une commission composée des inspecteurs et des médecins du ministère rend son rapport : 19 kuttâb doivent être fermés pour non-conformité aux normes minimales (espace, lumière, aération, hygiène). Des réparations sont préconisées dans plusieurs autres – elles ne seront réalisées par l’administration des waqf que deux ans plus tard. Le ministère distribue également dans les 44 kuttâb qui restent ouverts du matériel et du mobilier (bancs, tableaux noirs…)

Il est également demandé aux instituteurs de ces kuttâb (les faqîh) de respecter un programme d’enseignement comprenant Coran et éducation religieuse et morale, lecture et dictée, calcul, écriture et calligraphie. Ils doivent passer un examen dans ces matières pour pouvoir, officiellement, continuer d’enseigner. Une minorité d’entre eux se présentent, et ils obtiennent des résultats catastrophiques. Le ministère récompense les cinq enseignants reçus à l’examen de calcul en leur donnant une prime, censée inciter les autres à se former. Des enseignants supplémentaires, diplômés de Dâr al-‘ulûm 21 et mieux payés, sont chargés d’enseigner le calcul dans les autres kuttâb.

En 1894, après trois années sans histoire pour ces kuttâb, un nouveau ministre est nommé, Husayn Fakhrî, qui cumule l’Instruction avec les Travaux publics jusqu’en 1906. Une décision importante est prise : le reliquat de l’argent donné par les waqf pour l’entretien de ces kuttâb pourra être distribué aux instituteurs méritants pour les encourager. Le ministère entreprend un certain nombre de travaux, en particulier la pose de portes et de fenêtres22. Les inspecteurs du ministère tentent de former les faqîh, les convainquant surtout d’accueillir des fillettes dans ces kuttâb. En 1895, pour la première fois dans les kuttâb des waqf23, 139 filles sont scolarisées, pour 2 486 garçons. Des récompenses sont attribuées aux instituteurs et à leurs adjoints, en fonction de la qualité de leur enseignement et de leurs efforts. 113 livres égyptiennes sont distribuées à tous les kuttâb en 1895, 160 livres égyptiennes en 1896 – ce qui représente une somme importante à l’époque. En 1896, on adjoint à la prime forfaitaire une partie calculée au prorata du nombre d’élèves, qui est double pour les filles.

En décembre 1897, un nouveau « règlement d’organisation des kuttâb » précise le programme scolaire, en indiquant en particulier les horaires à consacrer chaque semaine à chaque matière. Le ministère tente de faire des économies en instituant une prime uniquement fondée sur le nombre d’élèves – mais face à la protestation des instituteurs qui ne touchent en 1897 que 27 livres égyptiennes, le système de la prime forfaitaire est remis en vigueur en 1898. Le ministère tâtonne dans le choix des critères et les modalités de la mise en place de cette prime. Cet élément est important parce que c’est cette prime d’incitation qui va être généralisée à l’ensemble des kuttâb l’année suivante.

Le ministère récupère en 1897 une dizaine de kuttâb supplémentaires, dits « modernisés », parce que ce sont des écoles primaires dégradées au rang de kuttâb, mais mieux organisées et gérées que ces derniers. À partir de 1899, sur le modèle de ces kuttâb modernisés, tous les instituteurs perçoivent un salaire fixe. Tous ont désormais passé l’examen de capacité ou ont été recrutés après avoir été formés à Dâr al-‘ulûm. Ils utilisent un matériel scolaire standardisé, des livres de lecture, des cahiers de calcul et des modèles de calligraphie. Des fascicules du Coran ont été distribués pour la première fois. Les élèves sont assis sur des bancs face à un tableau noir. Dans ces kuttâb, l’enseignement n’est plus individuel (le shaykh dictant à chaque élève en particulier, et à tour de rôle, sa leçon du jour, alphabétique ou sourate à mémoriser) mais collectif (les élèves suivent le même cours sur le tableau noir, recopient la même sourate à la dictée et la récitent en chœur).

D’une certaine manière, en dix ans, les instituteurs des kuttâb gérés par le ministère ont été formés et fonctionnarisés. Ce travail minutieux opéré par le ministère sur une cinquantaine de kuttâb a donné l’idée d’étendre le dispositif de la prime d’incitation à l’ensemble des kuttâb. La réforme des kuttâb du ministère est explicitement pensée comme un modèle pour la modernisation de l’ensemble des kuttâb du pays. Pour évaluer les besoins, une inspection est diligentée, sous la direction de Husayn Rushdî, inspecteur en chef du ministère (et futur Premier ministre). En 1897, 9 400 kuttâb sont dénombrés en Égypte, fréquentés par près de 180 000 élèves.

Mise en place et extension du dispositif de la subvention entre 1897 et 1905

L’arrêté du 15 décembre 189724 pose les conditions d’attribution de la subvention (i‘âna). Les faqîhkuttâb pour la demande de subvention. Le gouvernement égyptien et son mentor britannique espèrent développer un enseignement élémentaire imperméable, disjoint de l’enseignement primaire débouchant sur un emploi étatique ou un métier moderne. Pour bien différencier les publics et réserver l’école gouvernementale aux élites égyptiennes, les frais scolaires sont progressivement généralisés et augmentés à partir du milieu des années 1880. L’absence de langue étrangère, en outre, empêche les enfants des kuttâb de prétendre rejoindre les écoles gouvernementales25. Il s’agit d’éviter le mélange des genres, en ne favorisant que les kuttâb qui se cantonnent à un enseignement religieux accompagné d’une « instruction séculière destinée simplement à équiper l’élève d’une connaissance suffisante pour s’occuper de ses intérêts propres dans son état, en tant que petit propriétaire, fellah, boutiquier, artisan, fileur, responsable de village, marin, pêcheur…26 ». L’idée est d’instruire suffisamment les fellahs pour qu’ils ne soient plus la proie des démagogues qui exploitent leur crédulité et leur ignorance (Lord Cromer pense à la fois aux prédicateurs et aux nationalistes), mais de le faire suffisamment peu pour qu’ils ne critiquent ni le régime en place ni l’ordre social et économique. À cette fin, il n’est pas question de remplacer l’enseignement religieux par un apprentissage séculier, mais de l’orienter vers une éducation morale inculquant discipline, obéissance et respect de l’ordre social. Les élites égyptiennes comme les Britanniques ont besoin d’une main d’œuvre mieux formée, mais sans exode rural ni production de diplômés déclassés susceptibles d’embrasser les idées nationalistes et de troubler l’ordre public. doivent faire une demande sur papier timbré, sur un formulaire qu’ils doivent se procurer auprès du ministère. La principale condition posée est le caractère exclusivement arabe de l’enseignement : les langues étrangères disqualifient le

Le kuttâb, pour pouvoir bénéficier de la subvention, doit se soumettre à l’inspection et répondre à toutes les questions que pose l’inspecteur, dans le formulaire initial comme lors de l’inspection. Le maître doit, surtout, tenir un double registre d’inscription et d’assiduité des élèves. Ce registre est non seulement un outil indispensable pour le calcul de la subvention, mais il est aussi le média de la présence de l’État dans le kuttâb. Le dispositif de la subvention a trois objectifs principaux : améliorer l’état des locaux « sous le rapport de la salubrité, de l’aération, de la lumière et de la propreté27 » ; réformer la pédagogie et le contenu de l’enseignement ; enfin, moraliser et discipliner les futurs Égyptiens. C’est une antienne dans les rapports de Lord Cromer, mais aussi dans les règlements sur les écoles primaires, les kuttâb gouvernementaux et subventionnés28. Citons l’article 5 du règlement de 1897 : « Dans l’inspection du kouttab, l’inspecteur attachera à ce dernier point une importance toute spéciale : il examinera si l’on habitue les élèves à la ponctualité, à la propreté, à la correction dans la tenue, aux bonnes manières, à la décence dans le langage, et si on leur inculque l’esprit de l’obéissance au devoir, la considération et le respect d’autrui, l’amour de la vérité, le sentiment de l’honneur. »

Les kuttâb doivent former des êtres sains de corps, dotés du bagage scolaire minimal (alphabétisation, calcul) et bons citoyens. Le kuttâb doit devenir un lieu de régénération et de moralisation de la nation égyptienne, comme le demande instamment Muhammad ‘Abduh depuis les années 1880 dans de nombreux articles29. Comme pour les kuttâb du ministère, la subvention est double pour les filles, afin de favoriser leur scolarisation, et les enfants ne comptent pour la subvention qu’entre 5 et 13 ans, mesure prise pour limiter dans le temps le séjour des élèves et surtout pour augmenter le nombre d’enfants pouvant passer par le kuttâb – ceux-ci devant théoriquement y rester quatre ans.

La première année, 301 kuttâb font une demande de subvention. Trois commissions d’inspection, formées au total de six jeunes professeurs, sont mises en place au Caire, en Basse et en Haute Égypte. Sur la base de leurs rapports concernant l’état du local, le mobilier scolaire, la compétence des enseignants (212 sont incompétents sur 440 enseignants et 9 enseignantes30 examinés), le niveau et le classement des élèves (56% sont classés « attardés »), la méthode pédagogique en usage, les matières enseignées (toutes les matières ne sont enseignées que dans 10% des kuttâb inspectés, et le Coran seulement dans plus de la moitié d’entre eux), la qualité de la direction et de la gestion, les inspecteurs, au vu du classement des kuttâb, sont obligés d’en rabattre sur les normes édictées, notamment sur le programme scolaire. 106 kuttâb obtiennent ainsi une subvention, 191 aucune. Clairement, la majorité des kuttâb ne répondent pas aux critères minimaux édictés par le ministère. La politique de la subvention parviendra-t-elle à changer cet état de fait ?

Le dispositif monte progressivement en puissance les années suivantes. Les autorités locales, les représentants du gouvernement s’activent pour faire remonter au ministère des demandes de subvention. Le système fonctionnant sur une base volontariste, les instituteurs se prêtent à la démarche dans laquelle ils voient un moyen d’améliorer substantiellement leur revenu et leur statut. En 1901, 925 kuttâb font une demande, 507 obtiennent une subvention pour 17 750 élèves ; en 1903, 2 623 demandes sont déposées, pour 1 512 kuttâb subventionnés (64 077 élèves) ; en 1905, l’acmé est atteint, 4 859 kuttâb présentent leur candidature, mais 2 665 seulement sont acceptées, pour 121 409 élèves. La progression des dépenses est également significative : 13 164 livres égyptiennes sont distribuées en 1905. Ce sont les kuttâb les plus gros et où il y a le plus de filles qui obtiennent la subvention (45 élèves en moyenne, contre 11 seulement pour les demandes refusées après inspection). Il y a près de 9 000 filles dans les kuttâb subventionnés en 1905, soit 7,4%.

Des cours « normaux » sont créés dans la trentaine d’écoles primaires et de kuttâb gouvernementaux à travers le pays, pour les shaykh de kuttâb, le jeudi après-midi et le vendredi, afin de compléter leur formation (notamment en calcul, en écriture…) pour qu’ils puissent passer l’examen de capacité instauré en 1897. En moyenne, chaque année, plus de 2 500 faqîh et ‘arîf31 suivent ces cours. Des écoles normales32kuttâb, puis, pour les hommes, au Caire (‘Abd-al-‘Azîz), au Fayoum, à Qalyûb, Mansûra, Zaqâzîq (Zagazig). Plus de deux cents faqîh et ‘arîf en sortent diplômés chaque année33. Les effectifs du service d’inspection des kuttâb passent de 6 en 1898 à 40 à partir de 1905. sont également créées à partir de 1903, d’abord à Bûlâq pour les institutrices de

1905 : Vers la monopolisation de l’instruction publique

Le succès croissant du dispositif a plusieurs effets. Il provoque d’abord une tentative d’auto-organisation, au niveau national, d’associations créées par les notables et les autorités locales afin de collecter des fonds pour la construction ou la rénovation de kuttâb. Dans un premier temps, le gouvernement soutient cette démarche par la concession gratuite de terrains lui appartenant ; la presse d’obédience nationaliste prenant fait et cause pour le mouvement, il est cependant fermement contrecarré et finalement enterré par le consul et le gouvernement, qui craignent les débordements34. La concession de terrains, néanmoins, se poursuit. En quatre années, plus de 500 terrains sont donnés par l’État, plus de 1 500 kuttâb sont construits ou reconstruits, des dizaines de milliers de livres égyptiennes sont collectées sous forme de souscriptions locales, des centaines d’hectares de terrains agricoles sont fondés en waqf en faveur de kuttâb.

Plus de la moitié des kuttâb d’Égypte ont fait en 1905 une demande de subvention, un quart l’a obtenue. Ces kuttâb doivent remplir les mêmes conditions qui ont été imposées avant eux aux kuttâb waqf et qui ont été abordées ci-dessus. Ils sont censés appliquer le programme du ministère, qui consacre une part importante du temps passé en classe à un apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul. Surtout, le ministère met une forte pression pour le changement de pédagogie ; la pédagogie dite individuelle disparaît dans les statistiques en 1908, remplacée peu à peu par la pédagogie dite collective, où le maître enseigne à chaque groupe de niveau, sur un tableau noir, et fait faire des exercices collectifs au lieu de dicter à chacun son lot à mémoriser. Cette double évolution (programme minimal imposé et pédagogie collective) induit une sécularisation de fait de l’enseignement diffusé dans les kuttâb subventionnés, corrélative d’une certaine marginalisation du Coran, dont la mémorisation, au-delà des premières sourates, ne peut se faire que de manière individuelle. Le temps consacré à la mémorisation diminue fortement, puisque l’accent est mis, pour l’attribution de la subvention, sur l’acquisition de la lecture, de l’écriture et du calcul. Cette évolution reflète l’infléchissement de la finalité du kuttâb : dans les kuttâb subventionnés, et dans une moindre mesure dans ceux qui demandent, sans l’obtenir, la subvention, l’alphabétisation et la discipline passent avant la transmission du Coran35.

Ce phénomène provoque une réaction d’un certain nombre de ‘ulamâ’ d’al-Azhar de tendance conservatrice, qui voient d’un mauvais œil la mainmise croissante du ministère de l’Instruction publique sur les kuttâb. Le shaykh ‘Alî Yusûf, un des meneurs de l’opposition islamique à l’occupation anglaise, fondateur du journal al-Mu’ayyad36, mène le mouvement de protestation et dépose à l’Assemblée générale37 une proposition concernant les kuttâb38, inspirée du programme préparé par le shaykh Muhammad Shâkir, directeur de l’institut azharî d’Alexandrie. Ce projet prévoit un cursus de cinq ans au lieu de quatre, au bout duquel les enfants doivent avoir mémorisé la totalité du Coran – alors que le programme des kuttâb subventionnés indique seulement que l’enfant « doit en retenir ce qu’il peut39 ». Sous prétexte de discuter la réduction de la part du Coran dans les kuttâb subventionnés, c’est en fait une tentative pour prendre le contrôle des kuttâb et les placer sous l’autorité d’al-Azhar. Cette motion est rejetée à l’Assemblée générale, après l’intervention de Muhammad ‘Abduh, pour qui le kuttâb n’est pas destiné à amener tous les enfants à mémoriser le Coran intégralement pour qu’ils en fassent leur gagne-pain, mais à former aux savoirs fondamentaux les citoyens qui choisiront un métier40. La mémorisation du Coran et les études religieuses doivent pour lui avoir une finalité spirituelle et non matérielle. Les kuttâb subventionnés, pour bien marquer leur orientation différente, devront désormais s’appeler des « maktab ». Avec la création, effective en 1908, de l’école des Qadis, le résultat du débat de 1905 sur les kuttâb participe à la marginalisation d’al-Azhar, avant la réforme de 1908-1910. Le ministère de l’Instruction publique confirme ainsi son autorité légale sur, virtuellement, tous les kuttâb. C’est un pas important vers la monopolisation de l’instruction publique par l’État égyptien.

Le règlement de 1906 : la scolarisation du kuttâb

Dans la foulée, il est procédé à une refonte du « règlement sur les subventions à accorder aux kouttabs »41, au printemps 1906. Officiellement, Cromer lâche du lest dans son rapport sur la place accrue du Coran, ce qui est une concession de surface à l’opinion publique musulmane42. En réalité, ce règlement renforce considérablement l’organisation du kuttâb (temps, espace, matériel scolaire, pédagogie) pour en faire une école élémentaire se rapprochant du modèle européen. Le kuttâb doit être organisé en quatre classes de niveaux, le maître devant s’attacher à faire progresser les élèves d’une classe à l’autre. Les connaissances à acquérir sont graduées d’année en année. Un emploi du temps hebdomadaire modèle est fourni : la journée des élèves est organisée en leçons de trois quarts d’heure, de la manière suivante : Coran, Coran, récréation, arithmétique, écriture, déjeuner, lecture, dictée, récréation, Coran. Les changements de cours doivent se faire à l’heure. Un calendrier scolaire est mis en place, précisant les dates des vacances (calées sur le calendrier lunaire musulman : deux fois dix jours pour la fête de la fin du Ramadan et celle du sacrifice, deux jours fériés pour la fête du printemps et l’anniversaire du Prophète). Ce calendrier doit être rigoureusement respecté sauf dérogation expresse pour les travaux agricoles. Ce règlement est complété par des « instructions aux maîtres des kouttabs musulmans soumis à l’inspection en vue d’obtenir une subvention », qui donnent de précieuses informations à la fois sur la volonté de contrôle et de normalisation du ministère de l’Instruction publique et sur les pratiques contre lesquelles il lutte et qui offrent, pour certaines, une grande résistance. Ces « instructions » précisent pour commencer que le maître doit se consacrer au kuttâbfaqîh. Il est ainsi recommandé au maître de surveiller de manière continue le comportement et l’activité des élèves et d’utiliser systématiquement le tableau noir pour faire des leçons collectives. Il doit attribuer une place déterminée à chaque élève, les mettre en rang avant de rentrer en classe et inspecter la propreté de leur corps et de leurs vêtements. Il doit bannir un certain nombre de comportements habituels, considérés comme typiques du kuttâb, lieu de désordre et de bruit dans l’imagerie orientaliste et réformiste : « Tout travail doit se faire sans désordre et sans aucun bruit ni mouvement inutile. On ne doit pas permettre aux élèves d’apprendre leurs leçons à haute voix, à moins qu’ils ne répètent tous la même leçon, ou de se balancer en lisant. Les garçons ne seront pas autorisés à conserver un châle autour de la tête. Il ne sera pas permis de manger pendant les leçons. Enfin, toute action répréhensible, bavardage, jeu, inattention, perte de temps, sera soigneusement réprimée. Les élèves doivent être occupés utilement pendant toute la durée des heures de classe43. » pendant les heures de classes, sans se rendre aux funérailles ou autres occupations grâce auxquelles il gagnait quelque argent en récitant le Coran. Le ministère cherche à éviter l’absentéisme et à professionnaliser la fonction de

Les punitions physiques violentes, autre trait récurrent des descriptions de kuttâb au xixe siècle, sont prohibées. La tige de palmier effeuillée constituait l’instrument omniprésent de la discipline physique ; sur toutes les gravures représentant le kuttâb, le maître tient en main sa baguette prête à fondre sur la tête ou la main de l’enfant dissipé ou qui fait une faute de récitation. ‘Abd al-Jawâd décrit longuement le régime des punitions physiques dans le kuttâb de la fin du xixe siècle44, qui sont similaires à celles en usage dans la société rurale égyptienne. Le fellah est habitué aux coups de courbache ou de lanière. Le châtiment suprême est la falaqa, instrument qui servait à immobiliser les pieds du fautif pour que le maître (ou le gouverneur) puisse frapper à son aise leur plante. Les châtiments physiques sont interdits au début des années 1880, en même temps que la corvée, mais ne disparaissent pas. De même dans le kuttâb, où la falaqa n’est tombée définitivement en désuétude que dans les années cinquante ou soixante du xxe siècle. Les coups de baguette ou de règle sont encore fréquents de nos jours dans les écoles comme dans les kuttâb égyptiens. Leur interdiction est significative, cependant, de la volonté de réformer le kuttâb.

L’ensemble de ces commandements vise à transformer une institution perçue comme désordonnée, chaotique et bruyante, en école rigoureusement tenue, disciplinée, ordonnée45. Un nouvel ordre scolaire se met en place progressivement. Des critères plus stricts sont établis pour le dépôt d’une demande, notamment sur le nombre minimal d’élèves. De fait, le nombre de demandes acceptées baisse progressivement à partir de 1906, alors même que de nouveaux kuttâb sont construits.

On assiste donc dans les années qui suivent à une scolarisation croissante du kuttâb, visible parfois dans le changement de bâtiment (de la salle d’hôte du village, un coin de la mosquée ou la pièce centrale de la maison du faqîh, vers un bâtiment spécifique, divisé en classes, doté d’une cour intérieure), et surtout dans le changement des habitudes d’enseignement et de comportement qui est exigé pour que la subvention soit accordée ou renouvelée. La subvention est un moyen pour former les faqîh, leur donner de bonnes habitudes afin qu’eux-mêmes donnent de bonnes habitudes aux enfants. Le faqîh doit être, dans ces textes, une sorte de hussard noir de l’Égypte nouvelle, attentif à la discipline et à la morale. Le nouveau kuttâb n’a plus pour finalité première la mémorisation du Coran mais l’alphabétisation et la moralisation de l’Égypte, objectifs également poursuivis par les Britanniques et par les élites gouvernementales égyptiennes.

La réforme des conseils de province

Sa‘d Zaghlûl (1859-1927), disciple de Muhammad ‘Abduh, nationaliste opposé à l’absolutisme, est nommé au ministère de l’Instruction publique à la fin de 1906, sous la pression de Lord Cromer qui lui-même est remplacé peu après par Eldon Gorst, plus libéral. Un de ses objectifs au ministère est l’arabisation de son administration et des écoles gouvernementales. En ce qui concerne les kuttâb, il poursuit la même politique sans changement majeur. Les écoles normales d’instituteurs de kuttâb sont réformées, le cursus passe à deux ans au lieu d’un. Le séjour de quatre ans au ministère est surtout marqué par la réforme des conseils de province. Le projet de réforme, tel qu’il est discuté à partir de 1907, vise à confier à des organes élus au suffrage censitaire dans les régions quelques prérogatives, en guise de « préparation et éducation pour l’exercice ultime de fonctions plus responsables46 », à savoir l’autogouvernement, inaccessible dans l’immédiat.

La principale attribution de ces conseils de province, élus en décembre 1909, est l’enseignement élémentaire. Cette réforme correspond en fait à la mise en œuvre de la recommandation du rapport de 1881 : des comités scolaires régionaux œuvrent à la diffusion de l’enseignement élémentaire en prélevant des « centimes additionnels » sur la taxe foncière pour le financer, sous la supervision pédagogique du ministère de l’Instruction publique. En fait, c’est une solution institutionnelle pour favoriser et canaliser l’initiative locale, maintenir le contrôle central du ministère de l’Instruction publique et sortir du carcan budgétaire en créant une nouvelle source de financement de l’enseignement élémentaire à la charge des provinces. La taxe supplémentaire de 5% produit chaque année 250 000 livres égyptiennes, soit environ dix fois plus que la somme consacrée par le ministère de l’Instruction publique à la subvention des kuttâb. Un quart environ est cependant consacré aux travaux d’utilité publique (casernes, routes, hôpitaux, dispensaires…) ; sur le reste, entre 50 et 60% seulement sont consacrés à l’enseignement élémentaire, technique et agricole (dont moins de la moitié aux kuttâb), et 40 à 50% à l’enseignement secondaire et à la mise en place de l’administration provinciale des écoles.

Le transfert effectif de l’enseignement élémentaire se fait en trois ans, la charge de la subvention étant intégralement transférée aux conseils de province en 1913 (sauf dans les gouvernorats du Caire, d’Alexandrie et des villes du Canal, où elle reste à la charge du ministère). Les conseils de province, munis de ressources largement plus importantes que celles que le ministère consacrait à la subvention, préfèrent globalement construire des écoles élémentaires et des établissements d’enseignement technique et agricole, tout en continuant à subventionner les kuttâb, dont une petite partie passe sous leur administration directe. Ce transfert de la charge de l’enseignement élémentaire aux conseils représente à la fois une décentralisation effective de la gestion et une institutionnalisation accrue des écoles élémentaires au niveau national. Un nombre croissant d’écoles est directement géré par les conseils, qu’elles aient été construites par eux ou soient passées sous leur administration. De fait, il y a de plus en plus d’instituteurs d’écoles élémentaires employés par l’État, directement ou par l’intermédiaire des conseils de province.

La réforme des conseils de province provoque une protestation de certains représentants coptes qui accusent le gouvernement de favoriser les musulmans et de brimer les chrétiens. Très peu de kuttâb coptes ont en effet bénéficié jusque-là de la subvention (une trentaine en 1910) pour la simple raison que la plupart des kuttâb coptes enseignent une langue étrangère, ce qui les disqualifie pour la subvention. Les coptes, qui paient des impôts, craignent d’être laissés pour compte, notamment en Moyenne Égypte, et crient à l’injustice, notamment lors d’un Congrès copte organisé début 1910. Parmi d’autres demandes (chômage du dimanche, accès à la fonction publique, représentation proportionnelle dans les assemblées), ils réclament que la part d’impôts qu’ils paient soit consacrée à des kuttâb coptes, ou même que des cours d’instruction chrétienne soient organisés dans les kuttâb musulmans. Ces récriminations apparaissent aux consuls anglais (Gorst puis Kitchener) dénuées de fondement quant à la place générale qu’occupent les coptes dans l’administration et les écoles gouvernementales (qui est supérieure à leur proportion dans la population) et impossibles à mettre en pratique dans les kuttâb musulmans. En mai 1911, quelque 2 500 délégués se réunissent en un « Congrès égyptien », sous la présidence de Mustafâ Riyâd pacha47, principalement pour rejeter, au nom de l’unité de la nation, les demandes des coptes48. Finalement la protestation s’apaise dès l’année suivante, des arrangements étant trouvés dans les provinces où une importante minorité copte existe49. Cet épisode est également une des causes de la propension subséquente des conseils de province à construire des écoles plutôt qu’à subventionner davantage de kuttâb.

Les résultats de la politique de subvention : 1898-1915

Environ 3 500 kuttâb sont, au milieu des années 1910, intégrés dans le dispositif de la subvention, ce qui représente environ un tiers des kuttâb présents sur le territoire égyptien. L’interprétation et l’exploitation des recueils statistiques concernant le kuttâb ne sont pas aisées. Les professionnels de la statistique qui œuvrent au Département de statistique, recréé en 1906, les tiennent pour inutilisables50. Les statistiques des kuttâb publiées par le ministère de l’Instruction publique jusqu’en 1909 sont en effet, non pas des dénombrements exhaustifs des kuttâb existants, mais des listes de kuttâb ayant demandé la subvention et l’ayant obtenue ou non. Ce sont des instruments de gestion administrative plus que des documents statistiques systématiques. Par exemple, la dernière liste publiée, en 1913 pour l’année 1909, fait plus de 600 pages ; dans chaque division administrative, les kuttâb inspectés sont localisés, avec le nom du shaykh, le nombre d’élèves (garçons et filles), le niveau de la subvention, année par année depuis que le kuttâb a demandé la subvention pour la première fois. Certains ont cessé de la demander, d’autres ont disparu, d’autres encore ont été absorbés au sein d’un kuttâb plus grand dans un bâtiment nouvellement construit.

Le passage sous la tutelle de l’inspection provoque, pour autant que les données publiées par le ministère permettent d’appréhender leur réalité, un certain nombre de changements. En premier lieu le nombre de filles recensées dans les kuttâb dépasse, en 1913-1914, 31 000, en comptant celles qui sont dans les kuttâb waqfkuttâb51 ; cela représente près de 45% des 69 505 filles scolarisées, 31% de ces dernières se trouvant dans des écoles non égyptiennes et 18,7% dans des écoles privées égyptiennes. Il ne faut donc pas négliger la participation des kuttâb à la scolarisation des filles au début du xxe siècle, même si elle reste très faible en regard de celle des garçons (293 200 dans des kuttâb, dont 206 000 dans des kuttâbkuttâb. Il convient de noter que les filles n’étaient pas absentes du kuttâb auparavant, même si elles y étaient rares ; il s’agissait principalement de fillettes affligées d’un handicap (cécité, etc.) et envoyées au kuttâb pour y apprendre le Coran afin de pouvoir gagner leur vie. La nouveauté, depuis la mise en place de la subvention différenciée selon le sexe, est donc une augmentation conséquente de la fréquentation des filles, même si elle reste très minoritaire. Les filles sont en effet nettement plus nombreuses dans les kuttâbkuttâb subventionnés sont mixtes52. (5 200), subventionnés (16 400), financés par les conseils de province (3 300) et dans les autres enregistrés (3 800) subventionnés, administrés ou pris en charge par l’État). Les filles représentent environ 10% de l’effectif de tous les subventionnés que dans ceux qui ne le sont pas. La plupart des

La politique de subvention a aussi eu pour effet d’augmenter les effectifs des kuttâb subventionnés. Alors que le nombre moyen d’élèves par kuttâb (recensé) tournait autour de 25-30 dans les années 1870 et 17-18 dans les années 1890, une différence apparaît rapidement entre ceux qui méritent la subvention et ceux qui sont recalés. En 1905, par exemple, les kuttâb subventionnés ont en moyenne 45 élèves, pour 11 élèves dans les autres. En 1906, le seuil pour déposer une demande de subvention passe à 25 élèves, pour écarter les kuttâb trop petits. En 1910, la taille moyenne des kuttâb subventionnés est passée à 62 élèves, contre 17 pour les refusés. En 1915, la taille moyenne est de 65 contre 27 pour les refusés et les kuttâb n’ayant pas demandé la subvention. On observe donc ici une augmentation générale de la taille des kuttâb depuis le démarrage du dispositif ; l’objectif est atteint. Ce phénomène participe de la « scolarisation » des kuttâb, de leur transformation progressive en écoles élémentaires, sises dans des bâtiments idoines, plus vastes, avec salles séparées et cour de récréation. Le nombre de kuttâb dont le bâtiment ne convient pas décroît continûment en quinze ans, malgré l’augmentation du nombre de kuttâb subventionnés ; ils sont moins de 5% à partir de 1908, cependant que la proportion de kuttâb lotis dans un bâtiment spécifique est supérieure à 40% à partir de cette même date. Les kuttâb sont également de mieux en mieux meublés : bancs, armoire, tableau noir, au lieu de nattes usées. Entre 2 000 et 2 400 faqîh et ‘arîf ont fréquenté chaque année les cours normaux du jeudi soir et du vendredi ; plus de 1 500 faqîh ont été formés dans les six écoles normales. La proportion de faqîh et de ‘arîf incompétents, de 47% en 1898, est tombée à 1% en 1912, tandis que le nombre de ceux qui sont compétents (2 646) ou plutôt compétents (4 683) a significativement augmenté. Plus de 5 500 enfants chaque année sortent des kuttâb en ayant mémorisé la totalité du Coran. Les classes s’équilibrent peu à peu ; même si le premier niveau reste très majoritaire (près de 50% des enfants sont encore à ce niveau en 1912), le nombre d’enfants qui atteignent le quatrième niveau augmente régulièrement53.

Un changement considérable a donc eu lieu dans une partie des kuttâb pendant ces deux décennies au cours desquelles la politique de la subvention est appliquée54. Les enseignants qui y officient ne peuvent pas ne pas avoir changé peu ou prou leur pratique d’enseignement, dans le cadre des objectifs édictés par l’État en termes d’apprentissage de la lecture, de l’écriture, du calcul et de la morale. De manière progressive, au moyen du système de la subvention, ils sont devenus plus ou moins des agents de l’État : ils sont de plus en plus formés dans des écoles normales et la somme qu’ils reçoivent sous forme de subvention constitue la majeure partie de leurs revenus (car l’écolage modeste en nature des enfants continue d’être versé55). Le processus n’est pas terminé, puisque, en 1920, 55% des 11 400 enseignants de kuttâb n’ont aucun diplôme ni certificat de capacité56.

La politique de modernisation des kuttâb est une phase importante dans l’histoire des institutions d’enseignement en Égypte. En deux décennies, elle a transformé le paysage scolaire, en faisant plus que doubler la population scolaire, dont la majeure partie passe par le kuttâb. En 1915, les garçons scolarisés dans les kuttâb quels qu’ils soient représentent 73% de tous les garçons scolarisés en Égypte à tous les niveaux et dans toutes les écoles (publiques, privées, étrangères, al-Azhar, etc.)57. Les écoles dépendant directement du ministère restent très minoritaires en 1915 : en regard des 340 000 élèves des kuttâb de tous types, il y a 6 400 élèves dans les écoles primaires gouvernementales, 8 000 dans les écoles primaires des conseils de province, 47 000 dans des écoles égyptiennes privées et 19 000 dans des écoles étrangères. Les deux premières décennies du xxe siècle sont une période de transition majeure dans la construction d’une instruction publique contrôlée par l’État. Comme dans la plupart des pays d’Europe, dans un premier temps, avant la création d’écoles par l’État, il y a organisation et modernisation progressive des écoles existantes au niveau communal (privées ou déjà plus ou moins communautaires).

À la fin des années 1910, avant même les événements de 1919 qui mènent à une plus grande indépendance de l’Égypte vis-à-vis de la tutelle britannique, avant même la Constitution de 1923 qui stipule l’école gratuite, universelle et obligatoire, avant même la loi de 1925 qui programme la réalisation de cet objectif par la construction d’écoles, la problématique se déplace. Le rapport de la Commission de l’enseignement élémentaire58, instituée en 1917, fait le bilan de l’action menée depuis 1898. Pour les membres de cette commission, dont plusieurs Anglais, les kuttâb, même subventionnés, restent insuffisants tant pour les bâtiments, l’état sanitaire, l’entassement des enfants, que pour la pédagogie inadaptée et l’ignorance des faqîh. La commission prépare un projet de loi qui prévoit l’unification des écoles élémentaires obligatoires sous l’autorité du ministère de l’Instruction publique. Restera à la charge des conseils de province la construction de bâtiments adaptés.

Un changement de ton et de politique se dessine entre 1915 et 1920. Plutôt que d’y voir une rupture franche avec la politique menée auparavant, je ferai l’hypothèse suivante : la politique de modernisation et d’étatisation des kuttâb a atteint sa limite. Selon les différentes estimations, entre un tiers et la moitié des kuttâb ont été réformés et sont passés dans l’orbite de l’État. Ceux qui ne sont pas subventionnés sont trop petits pour l’être, ou refusent simplement d’entrer dans ce système. L’élargissement de l’enseignement élémentaire populaire ne peut donc plus se faire que par la création d’écoles par l’État. Mais cela est une autre histoire59. Cela ne signifie pas pour autant la fin des kuttâb. En fait ils deviennent invisibles pour le ministère de l’Instruction publique à partir de la fin des années 1920, mais continuent d’exister jusqu’à nos jours60.

Notes

1 Je remercie Anne-Marie Moulin pour sa lecture approfondie et ses remarques pertinentes.

2 Qui règne sur l’Égypte entre 1805 et 1848.

3 Petit-fils de Muhammad ‘Alî, il règne entre 1863 et 1879.

4 Selon qu’il insiste sur la lignée modernisatrice de Muhammad ‘Alî ou sur l’Égypte indépendante et gouvernée par des Égyptiens après 1919.

5 Comme l’a montré Mona Russell, « Competing, Overlapping, and Contradictory Agendas: Egyptian Education Under British Occupation, 1882-1922 », Comparative Studies of South Asia, Africa and the Middle East, XXI 1-2, 2001, p. 50-60.

6 Biens de mainmorte immobilisés en faveur d’une institution religieuse, qui peut être un service public, comme une fontaine, un hôpital, une bibliothèque ou une école coranique. Les waqf sont appelés habous en Afrique du Nord (cf. la contribution de Karima Dirèche au présent numéro).

7 Qui rend la charge de wâlî d’Égypte héréditaire, en échange de l’abandon par Muhammad ‘Alî de ses conquêtes territoriales au Proche-Orient.

8 Cf. Khaled Fahmi, All the Pasha’s Men. Mehmed Ali, his army and the making of modern Egypt, Cambridge University Press, 1997.

9 Formé à al-Azhar, il accompagne comme imâm en 1826 la première mission d’étudiants égyptiens envoyée à Paris. Il en revient avec une relation de voyage (1834), traduite en français sous le titre L’Or de Parisxixe siècle, voir en particulier Gilbert Delanoue, Moralistes et politiques musulmans dans l’Égypte du xixe siècle, t. 2, Le Caire, IFAO, 1982, p. 383-487. (Sindbad, 1988) ; il occupe des fonctions importantes dans l’appareil d’État jusque dans les années 1870, notamment en traduisant et écrivant de nombreux ouvrages scolaires et scientifiques. Sur ce personnage central dans l’évolution intellectuelle de l’Égypte au milieu du

10 Qui règne de 1854 à 1863.

11 Formé dans les écoles du vice-roi et en France, c’est un réformateur actif dans de nombreux domaines, notamment sous le règne d’Ismâ‘îl, où il est le premier Égyptien nommé à la tête d’un ministère. Cf. Gilbert Delanoue, Moralistes…, t. 2, p. 488-558.

12 Cf. par exemple Gilbert Delanoue, Moralistes…, t. 2, p. 508 ; Fritz Steppat, « National education projects in Egypt before the British occupation », dans William R. Polk et Richard L. Chambers (ed.), Beginnings of modernization in the Middle East. The Nineteenth Century, Chicago/Londres, University of Chicago Press, 1968, p. 289.

13 Auteur d’un ouvrage important : Édouard Dor, L’instruction publique en Égypte, Paris, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1872.

14 Pour une histoire de la statistique scolaire à la fin du xixe siècle, voir Nicolas de Lavergne, « L’État et le kuttâb : une analyse de la statistique scolaire égyptienne naissante (1867-1915) », Annales islamologiques, n° 38, 2004, p. 371-404.

15 Ministère de l’Instruction publique, Statistique des écoles civiles, Le Caire, Typographie parisienne L. Jablin Boulevard Clot Bey, 1875 ; F. Amici, Essai de statistique générale de l’Égypte. Années 1873, 1874, 1875, 1876, 1877, Le Caire, ministère de l’Intérieur, Bureau de la statistique, 1879, t. 2.

16 Le Caire, Typographie française Léon Jablin et Cie, 1881.

17 Transfert décidé en juillet 1889 et effectif en avril 1890. Cf. Philippe Gelat, Répertoire général annoté de la législation et de l’administration égyptiennes. 1840-1908, première partie, t. 3, Alexandrie, p. 138.

18 Décret du 18 juin 1890, dans Philippe Gelat, Répertoire…, t. 3, p. 119.

19 Arrêtés du 23 novembre 1890, dans Philippe Gelat, Répertoire…, t. 3, p. 143-145.

20 Les renseignements concernant l’expérimentation sur les kuttâb des waqf et la mise en place du dispositif de la subvention sont tirés de Husayn Rushdî, Taqrîr awwalan ‘an al-katâtîb allatî tudîruha nizârat al-Ma‘ârif al-‘umûmiyya mundhu shahr yûlîh sanat 1889 ilâ nihâyat sanat 1898 ; thâniyyan ‘an al-katâtîb allatî talabat al-i‘ânat fî sanat 1898 ; thâlithan mulhaqât (Rapport premièrement sur les kuttâb gérés par le ministère de l’Instruction publique depuis le mois de juillet 1889 jusqu’à la fin de 1898 ; deuxièmement sur les kuttâb qui ont demandé la subvention en 1898 ; troisièmement annexes), Le Caire, ministère de l’Instruction publique, Imprimerie nationale, 1899.

21 Dâr al-‘ulûm (la « maison des sciences ») : l’amphithéâtre créé en 1872 est rapidement devenu une école normale formant des étudiants d’al-Azhar à la pédagogie et aux sciences modernes ; cf. Lois Armine Aroian, The Nationalization of Arabic and Islamic Education in Egypt: Dar al-‘Ulum and Al-Azhar, Le Caire, American University in Cairo Press, coll. « Cairo Papers in Social Sciences », 1983.

22 Ce qui provoque un conflit avec le Comité de conservation des monuments de l’art arabe du Caire. Celui-ci demande le démontage des fenêtres qui défigurent les kuttâb en leur « ôtant le gracieux aspect », cf. Bulletin du Comité, 1895, 190e rapport, p. 86. L’ensemble des bulletins du Comité, qui œuvre à partir de 1880 à la conservation des monuments historiques et à la création du musée d’art arabe du Caire, est consultable sur www.islamic-art.org.

23 Même si elles ne sont jamais comptées auparavant, les filles ne sont cependant pas totalement absentes des kuttâb ; cf. en particulier Edward Lane, An Account on the Manners and Customs of the Modern Egyptians. The definitive 1860 Edition, Le Caire/New York, The American University in Cairo Press, 2003, p. 63 et Édouard Dor, L’instruction…, p. 115.

24 Philippe Gelat, Répertoire…, t. 3, p. 166.

25 Sur la concordance des intérêts des Britanniques et des élites égyptiennes, cf. Mona Russell, « Competing… », p. 51-52.

26 Lord Cromer, Reports by his Majesty’s agent and consul general on the finances, administration and condition of Egypt and the Soudan in 1903, presented to both Houses of Parliament by command of His Majesty, Londres, 1904, p. 61.

27 La prise de conscience du lien entre la qualité des locaux et des maladies comme l’ophtalmie date des années 1870 pour les écoles égyptiennes, mais les premières mesures ne sont prises que dans le cadre du dispositif de la subvention, après 1897. L’inspection proprement médicale des kuttâb n’intervient cependant pas de façon systématique avant la fin de la première décennie du xxe siècle. Cf. mon intervention « L’hygiène dans le kuttâb égyptien au xixe et au début du xxe siècle » au colloque du CEDEJ « Medicine and modernity in Islamic countries », 7-8 décembre 2003.

28 Et l’élément central de l’analyse – plus discursive qu’historique ou sociologique – de Gregory StarrettPutting Islam to Work. Education, Politics, and Religious Transformation in Egypt, Berkeley/Los Angeles/Londres, University of California Press, 1998. dans

29 Voir par exemple un long papier ramené d’exil et publié en 1889, intitulé « Hadhâ majmal afkâr fî mâ yajibu al-iltifât ilayhi min nizâm al-tarbiya bi-Misr wa yumkinu fasluhu ‘inda irâdat al-‘amal bihi » (Série d’idées vers lesquelles il faut se tourner sur l’organisation de l’éducation en Égypte et sur le bénéfice que l’on peut trouver à entreprendre cette action), dans Al-a‘mâl al-kâmila li-l-imâm Muhammad ‘Abduh (Œuvres complètes de l’imâm Muhammad ‘Abduh), t. 3, Beyrouth, al-Mu’assasa al-‘arabiyya li-l-dirâsât wa l-nashr, 1972, p. 105-122.

30 Dans le dernier quart du xixe siècle, les femmes enseignantes ne sont pas absentes des kuttâb. Dans la liste des kuttâb donnée en 1875 par Édouard Dor, où ils sont identifiés par le nom de l’enseignant, dix shaykha sont repérables (ministère de l’Instruction publique, Statistique…). Dans les kuttâb recensés en 1897, il y a 139 enseignantes pour 14 060 enseignants, soit 1% (Husayn Rushdî, Taqrîr…, p. 65).

31 Le ‘arîf est l’adjoint du faqîh, le répétiteur. Cette fonction est souvent remplie par un élève plus âgé. Avec ces cours et la création d’un certificat de niveau inférieur à celui du faqîh, obtenu par le même cours mais avec de moins bonnes notes, la fonction se professionnalise. Le ‘arîf devient un instituteur-adjoint.

32 C’est la traduction utilisée dès le moment de leur création, pour madrasa li-mu‘allimî al-katâtîb (école pour les enseignants de kuttâb).

33 Amîn Sâmî, Al-ta‘lîm fî Misr fî sanatay 1914-1915 (L’enseignement en Égypte en 1914-1915), Le Caire, Matba‘at al-ma‘ârif bi-shâri‘ al-Faggâla bi-Misr, 1917, p. 87.

34 Voir en particulier le rapport sur l’enseignement de la classe populaire indigène en Égypte, rédigé par M. du Chaffault, élève-consul détaché à l’Agence diplomatique de France au Caire, décembre 1905, p. 10-11, dans les archives du ministère des Affaires étrangères, fonds Le Caire, série Ambassade, sous-série versement de 602 articles, carton 72 (institutions islamiques : université d’al-Azhar).

35 Plus de la moitié des kuttâb, sur lesquels très peu d’informations sont disponibles, à part quelques descriptions misérabilistes, ne rentrent pas dans le système de la subvention. On peut penser que le mode d’enseignement n’y est pas sujet à un pareil changement.

36 Voir par exemple Jacques Berque, L’Égypte, impérialisme et révolution, Paris, Gallimard/NRF, 1967, p. 204-205.

37 L’Assemblée générale, qui regroupe le Conseil législatif, les ministres et des membres nommés par le khédive, se réunit une fois tous les deux ans.

38 Procès-verbal de l’Assemblée générale, 6 avril 1905.

39 Pour ce débat, voir la thèse publiée d’Ibrahim Salama, L’enseignement islamique en Égypte. Son évolution, son influence sur les programmes modernes, Le Caire, Imprimerie nationale, 1938, p. 305-307.

40 Journal officiel (supplément), n°49, 26 avril 1908, cité par Ibrahim Salama, L’enseignement…, p. 307.

41 Ministry of Education, Code of regulations relating to Grants-in-aid to kuttabs (enacted by Ministerial Order, n°1161, dated the 17th May, 1906), Le Caire, National Printing Department, 1906, 18 p. J’utilise ici la version française, « Règlement relatif aux subventions à accorder aux Kouttabs », telle que publiée dans Philippe Gelat, Répertoire…, deuxième partie, t. 5, p. 655-663.

42 Lord Cromer, Reports by his Majesty’s agent and consul general on the finances, administration and condition of Egypt and the Soudan in 1906, presented to both Houses of Parliament by command of His Majesty, Londres, 1907, p. 89.

43 « Instructions aux maîtres des Kouttabs », art. 10, § 4.

44 Muhammad ‘Abd al-JawÂd, Fî kuttâb al-qarya (Au kuttâb du village), Le Caire, Matba‘at al-ma‘ârif, 1939, p. 99-109. Sur la suite des souvenirs de ce shaykh à la mosquée Ahmadî de Tantâ, voir l’article de Catherine Mayeur-Jaouen dans ce volume.

45 L’image du kuttâb chez les orientalistes, les voyageurs et experts est une chose, la réalité en est une autre. Il faudrait précisément montrer comment le kuttâb n’est pas ce lieu chaotique, mais un lieu organisé différemment, comme le décrit Muhammad ‘Abd al-Jawâd dans Fî kuttâb al-qarya (1939), qui donne à voir le kuttâb des années 1890, avant la politique de subvention, de manière à la fois détaillée et inscrite dans la vie sociale du village. Une traduction intégrale de ce livre, le seul entièrement consacré au kuttâb, a été réalisée dans le cadre de ma thèse de doctorat. Un résumé peut être consulté dans Jacques Jomier, « Contribution à l’étude de la pédagogie arabe : coup d’œil rapide sur les institutions d’enseignement, suivi d’une étude sur la pédagogie à l’école coranique », Revue de l’Institut des belles lettres arabes, n°12, 1949, p. 319-346.

46 Eldon Gorst, Reports by His Majesty’s agent and consul general on the finances, administration and condition of Egypt and the Sudan in 1908, presented to both Houses of Parliament by command of His Majesty, Londres, 1910, p. 27.

47 Homme politique de premier plan, plusieurs fois Premier ministre (1834-1911).

48 Voir les discours de shaykh ‘Abd al-‘Azîz Shawîsh, Muhammad bey Shadî et shaykh ‘Alî Yûsuf, dans le Recueil des travaux du premier Congrès égyptien, réuni à Héliopolis (près du Caire) du samedi 30 rabi-ul-sani 1329 (29 avril 1911) au mercredi 5 gamadi-ul-awal 1329 (4 mai 1911), Alexandrie, Imprimerie d’Alexandrie/Journal « Wadinnil », 1911

49 Eldon Gorst, Reports by His Majesty’s agent and consul general on the finances, administration and condition of Egypt and the Sudan in 1910, presented to both Houses of Parliament by command of His Majesty, Londres, 1911, p. 37-38.

50 Voir sur cette question Nicolas de Lavergne, « L’État… », p. 392-393, 397.

51 Ces chiffres sont tirés des tableaux statistiques publiés par Amîn Sâmî, Al-ta‘lîm …, p. 113 et suiv. Il y a selon lui, en 1913-1914, 7 228 kuttâb, dont 2 687 subventionnés et 3 113 recensés mais ne demandant pas la subvention. C’est le seul document, après le rapport de Rushdî en 1899, qui donne un chiffre pour les kuttâb ne demandant pas la subvention.

52 En 1912, il y a 17 kuttâb pour filles, 895 kuttâb sans filles et 2 736 kuttâb mixtes.

53 Ces données sont tirées des tableaux publiés dans Nizârat al-Ma‘ârif al-‘umûmiyya, Taftîsh al-makâtib, Ihsâ’iyyât ‘umûmiyya ‘an al-makâtîb al-misriyya li-ghâyat sanat 1912 (Ministère de l’Instruction publique, Inspection des maktab, Statistiques générales des maktab égyptiens jusqu’en 1912), Le Caire, al-Matba‘a al-amîriyya bi-Misr, 1913, 35 p.

54 Nous avons beaucoup moins de données sur ce qui se passe dans ces kuttâb après 1915.

55 Ce qui est le cas dans la France des années 1870 : l’instituteur reçoit une somme fixe de l’État, à laquelle s’ajoute la rétribution scolaire, ainsi que « le produit de l’éventail calculé à raison de 75 centimes par mois de présence et par élève (élèves indigents inscrits à la liste de gratuité) ». Cf. le témoignage de Joseph Sandre, « Âpre au gain », tiré de La Classe ininterrompue et cité dans L’Âge d’or du tableau noir, anthologie présentée par Christian Krumb, Paris, Les Belles Lettres, 2004, p. 409.

56 « Kuttabs, teachers and pupils in each governorate or province, classified by sex, qualifications, paying or not paying and standard of teaching », dans Ministry of Finance, Statistical Department, Census of Schools in Egypt. School-Year 1921-1922, Le Caire, Government Press, 1923, p. 26-27.

57 Cf. Amîn Sâmî, Al-ta‘lîm…, p. 120.

58 Wizârat al-Ma‘ârif al-‘umûmiyya, Taqrîr lajnat al-ta‘lîm al-awwalî wa-mashrû‘ al-qânûn al-mukhtas bi-tashîl wasâ’il ta‘mîmihi (Ministère de l’Instruction publique, Rapport de la commission pour l’instruction élémentaire et projet de loi relatif à la facilitation des moyens de la généraliser), Le Caire, al-Matba‘a al-amîriyya, 1919.

59 Voir en particulier Iman Farag, La construction sociale d’une éducation nationale. Enjeux politiques et trajectoires éducatives (Égypte, première moitié du xxe siècle), thèse de doctorat sous la direction de Fanny Colonna, EHESS, Paris, 1999.

60 Cf. Nicolas de Lavergne, « Le kuttâb, une institution singulière dans le système éducatif égyptien », Journal des anthropologues, n° 100-101, 2005, p. 163-181.

http://cdlm.revues.org/images/go-top.gifPour citer cet article

Référence électronique

Nicolas de Lavergne, « La modernisation des kuttâb en Égypte au tournant du xxe siècle », Cahiers de la Méditerranée, vol. 75, Islam et éducation au temps des réformes, 2007, [En ligne], mis en ligne le 21 juillet 2008. URL : http://cdlm.revues.org/document3623.html. Consulté le 30 novembre 2008.

http://cdlm.revues.org/images/go-top.gifAuteur

Nicolas de Lavergne

CEDEJ, Le Caire-EHESS

Nicolas de Lavergne est chercheur associé au Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales du Caire (CEDEJ) et doctorant à l’EHESS. Sa thèse porte sur l’histoire des écoles coraniques en Égypte du milieu du xixe siècle à nos jours ainsi que sur l’enseignement qui y a lieu. Il a notamment publié :
– « L’État et le kuttâb : une analyse de la statistique scolaire égyptienne naissante (1867-1915) », Annales islamologiques, n° 38, 2004, p. 371-404.
– « Le kuttâb, une institution singulière dans le système éducatif égyptien », Journal des anthropologues, n° 100-101, mars 2005, p. 163-181.
– « Institutions d’enseignement religieux », dans Danièle Hervieu-Léger et Régine Azria (dir.), Dictionnaire des faits religieux, Paris, PUF, à paraître au 1er trimestre 2008.

Source : Cahiers de la Méditerranée, N° : 75 – 2007. P. 74-89

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