(Courrier International 28/11/13):
Les journaux du monde entier se sont insurgés, les extrémistes et les réseaux sociaux se sont régalés : l’Angola aurait interdit la pratique de l’islam. Aucun démenti du côté du gouvernement, trop occupé à mater les révoltes de jeunes opposants dans les rues de Luanda.
La rumeur s’est répandue comme une traînée de poudre. « Tout a visiblement commencé avec un journaliste angolais qui a fait une erreur en citant la ministre de la Culture, lorsqu’elle a annoncé qu’elle voulait interdire les sectes dans le pays », tente de comprendre le site participatifÂ
Chatham House. Et comme l’islam représente moins de 100 000 fidèles dans les pays d’Afrique australe, il n’est pas enregistré en tant que religion reconnue…La nouvelle s’est aussitôt retrouvée sur le site d’
International Business Times à New York, sous le titre très nuancé : « L’Angola interdit l’islam et ordonne la destruction des mosquées ».Comme le rappelle le site sud-africainÂ
Daily Maverick : « Il y a effectivement eu des bâtiments détruits – parmi eux, il y avait une mosquée –, parce qu’ils n’avaient pas de permis de construire. » Mais la Toile n’a pas de temps de faire dans la nuance. On pouvait par exemple lire sur Twitter : « L’Angola a détruit toutes les mosquées du pays dans l’indifférence du monde. »
La presse indienne s’est emparée du sujet, repris par le tabloïd anglaisDaily Mail, pour le plus grand plaisir des lecteurs extrémistes et islamophobes. Buzz assuré ! Le 26 novembre, le journal saoudien Saudi Gazette partageait son émoi en titrant en une : « L’Angola interdit l’islam et rase des mosquées ». Et, parce qu’un micro-trottoir est toujours une formule utile pour ce genre d’annonce, un journaliste rapporte, en citant des habitants de la seconde ville du pays, Djeddah : « Les musulmans en Arabie Saoudite et à travers le monde sont sous le choc. »
Le 27 novembre, le journal panarabe Al-Quds Al-Arabi publiaitégalement son éditorial sur ce sujet, le mettant en parallèle avec un autre événement : « Alors que le pape appelle à accorder la liberté religieuse aux chrétiens dans le monde musulman, l’Angola suscite la colère en interdisant l’islam et en détruisant des mosquées. » Et d’ajouter, sans en chercher les raisons : « Le pape François a exprimé son inquiétude devant la montée des violences des islamistes radicaux, mais il ne faut pas généraliser à tous les musulmans ».
« Relax ! » appelait le site panafricain Africa is a Country sur son compte Twitter : « L’Angola n’interdit pas l’islam, il interdit juste les partis d’opposition ! »
Calm down, Angola didn’t ban Islam, they just ban political opposition:…http://t.co/4cgErPKDrf
— Africa is a Country (@AfricasaCountry) November 25, 2013
Mais sans information fiable, pas d’article (fiable). C’est seulement le 27 novembre donc, deux jours après que la rumeur s’était propagée, queDaily Maverick a pu livrer une explication claire de cette affaire. La journaliste avoue s’être heurtée à l’incompréhension et au silence : « Même mes contacts dans les agences de défense pour les droits de l’homme en Angola étaient confus, m’affirmant que cela pouvait être vrai puisque le gouvernement avait récemment durci le ton face à l’opposition et aux groupes religieux en général. »
Puis est enfin arrivé le démenti. Il n’est pas venu directement de Luanda, mais de l’ambassadeur angolais en poste à Washington. « Notre pays défend la liberté de culte et les musulmans ne sont pas menacés. » Comme le rappelle le Daily Maverick
, la minorité musulmane doit souvent faire face à l’intolérance et à la persécution de la part des Angolais, en grande majorité chrétiens. Certes, la loi n’est pas claire, et des mosquées sont régulièrement fermées pour d’obscures raisons administratives. Mais aucune loi n’a jamais été votée pour interdire l’islam.D’où vient alors cette confusion ? Pour Alex Vines, qui prend la parole surChatham House, cette affaire prouve une fois de plus « le manque de communication et la politique de l’autruche du gouvernement angolais ». Dans un pays où les médias ne sont pas libres et où les sources ne sont pas fiables, il est impossible de recouper les informations.Et le gouvernement n’était que trop ravi que la rumeur occulte les vraies nouvelles : le 23 novembre, une manifestation organisée par les partis d’opposition a fait un mort, et 292 militants ont été arrêtés. Quant au président Dos Santos, il a disparu des radars depuis plusieurs jours. « Il y a beaucoup de spéculation sur son état de santé, alors qu’il est hospitalisé en Espagne », note Alex Vines. Le chef de l’Etat pourrait être mort. Mais une fois encore, sur ce sujet, c’est le silence radio, alors que la rumeur se propage à travers tout le pays.