(Réalité -Tun-) – La Tunisie vient de fêter le centenaire de la naissance du grand cheikh de la Zitouna Mohamed El Fadhel Ben Achour (1909-1970).
Mohamed El Fadhel Ben Achour fut l’une des figures les plus marquantes de la prestigieuse Zitouna. Son rayonnement dépassa le cadre de la petite Tunisie pour être l’un des Uléma (savants religieux) engagés dans le processus de réforme de la pensée religieuse dans le Monde arabe. Mais au delà de la personnalité du grand disparu (voir notre dossier en page 52) peut-on parler d’un Islam tunisien ? Et si oui quels seraient ses contours et ses limites ?
Disons tout d’abord que ceux qui refusent de qualifier l’Islam par des références géographiques culturelles ou ethniques en disant que l’Islam, est un et qu’on ne saurait y introduire de la pluralité, ceux là ne parlent pas de la réalité historique de l’Islam mais d’une unité supposée qui transcende le temps et l’espace.
L’Islam, comme toutes les grandes religions à vocation universelle, a pris les couleurs locales de chaque peuple et de chaque culture et parfois aussi de chaque faction sociopolitique.
Ainsi, s’il est légitime de parler d’un Islam tunisien, cela ne signifie pas nécessairement qu’il soit radicalement différent de l’Islam des pays qui nous sont proches de par la géographie et l’histoire.
Qu’entend-on par Islam tunisien ?
La Zitouna, comme institution religieuse représentative de l’Islam savant et citadin dans notre pays depuis quelques siècles déjà , a résumé l’identité islamique de la Tunisie par ce tryptique célèbre au XIXème siècle : l’Islam tunisien est malékite, sur le double plan juridique et rituel, ashaarite au niveau du dogme théologique, et suit la voie mystique d’Al Junayd. En clair, à l’époque prémoderne, une jonction s’est faite entre l’Islam Savant, d’où la référence au fondateur de la théologie sunnite Al Ashaari, et le maraboutisme populaire, devenu dominant dans quasiment tout le Monde arabo-islamique dès le XVIème siècle.
L’Islam tunisien a été très vite sensible aux sirènes de la réforme et cela dès la moitié du XIXème siècle. Il a aussi refusé catégoriquement le Wahhabisme, non pas parce qu’il est beaucoup plus éclairé que lui, mais parce que le fanatisme wahhabite venu du désert arabique était foncièrement anti-maraboutique et ainsi contrevenait à la sainte alliance entre l’Islam sunnite savant et l’Islam populaire soufi.
L’Islam institutionnel ne pouvait être radical et fanatique, cela faisait-il de lui le haut lieu de la tolérance et de la tempérance?
La réponse n’est pas évidente. La classe des Uléma n’a pas réagi de la même manière face au choc de la modernité et du grand mouvement de réformes qui s’ensuivit. Certains la combattirent. D’autres la soutinrent et devinrent ses héraults.
Des Cheikhs Salem Bouhajeb à Mohamed El Fadhel Ben Achour en passant par Kabadou, El Khedhr Hussein et Mohamed Al Tahar Ben Achour, l’institution religieuse n’a pas été avare de savants au service du renouveau de la pensée. Seulement ce mouvement-là n’est pas à isoler des foyers et des vivier de l’Islam institutionnel du Monde arabe et d’ailleurs. La langue arabe a permis une mondialisation avant la lettre. Les érudits et les lettres du Maghreb et du Moyen-Orient lisaient les mêmes ouvrages, les mêmes auteurs et les mêmes journaux. Cela finit par créer un univers intellectuel et littéraire assez semblable dans les grandes métropoles du Monde arabe.
Il faut se rappeler l’accueil plus que chaleureux réservé par les Zitouna et ses étudiants au grand réformateur égyptien Mohamed Abdoh qui a visité notre pays à deux reprises au début du siècle dernier. Il faut rappeler aussi que l’une des figures emblématiques de la Zitouna, Mohamed El Khedhr Husseïn, né à Nafta dans le Sud tunisien en 1876, est devenu le président de l’Université égyptienne d’Al Azhar .
Quand on parle d’Islam tunisien ou d’Islam modéré, c’est à cet Islam-là qu’on fait référence. L’Islam des grandes institutions savantes, conservateur mais assez perméable aux idées réformatrices. Cet Islam-là est en perte de vitesse, pas seulement en Tunisie, mais aussi partout dans le Monde arabo-musulman. L’Etat national indépendant lui a laissé peu de place et peu d’espace. Il est de plus supplanté non plus par l’Islam populaire maraboutique, mais par les formes militantes et extrêmes du salafisme. Il n’a pas pu, non plus, accomplir et faire aboutir la réforme religieuse qui pourtant a pris ses racines en lui au début du XIXème siècle, quand le Monde arabo-musulman s’est réveillé au tumulte de bruits de bottes de l’Occident conquérant.
La question demeure : y a-t-il un Islam tunisien ? Et si oui quels sont ses contours ? Nous serions tenté de répondre oui et non. Mais le plus important est peut-être ailleurs. Il est indispensable que la pensée religieuse fasse sa mue et entre sereinement dans la modernité. Cela ne se fera pas dans un seul pays et ne se fera pas, non plus, par un recours au passé, aussi prestigieux soit-il. L’héritage des grands réformateurs, tunisiens en particulier, est important. Le valoriser est une œuvre de salut public. Mais le travail est loin d’être fini.
Par Zyed Krichen     28/12/2009
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