Refuser la naturalisation à une femme parce qu’elle porte un foulard islamique est discriminatoire. Ainsi en a jugé le Tribunal fédéral (TF), cassant deux décisions rendues dans le canton d’Argovie.
Pour les juges fédéraux, le refus du passeport suisse à une femme turque et à un homme bosniaque (à cause du foulard de son épouse) est anticonstitutionnel.
Le TF a donc accepté le recours d’une mère de famille de 40 ans d’origine turque, qui vit depuis 1981 en Suisse, où elle est bien intégrée. L’an dernier, l’assemblée communale de Buchs avait rejeté sa demande de naturalisation, par 19 voix contre 15.
Les opposants lui avaient reproché de porter le foulard islamique. Selon eux, il symbolise la soumission de la femme à l’homme et exprime une inégalité de la femme, contraire à l’ordre constitutionnel helvétique.
Pour les juges fédéraux par contre, le port du foulard n’exprime rien d’autre que l’appartenance à une religion. Il est donc protégé par la liberté de conscience et de croyance garanties par le Constitution et doit être appréciée à la lumière de l’interdiction de toute discrimination.
Le TF estime que le simple fait de porter le foulard ne traduit pas une attitude de manque de respect à l’égard de l’ordre constitutionnel et n’exprime pas en soi un avilissement des femmes.
Aussi pour le mari
Dans une procédure parallèle, les juges fédéraux ont également accepté le recours d’un homme originaire de Bosnie-Herzégovine, domicilié à Birr, toujours en Argovie. Il n’avait pu obtenir la naturalisation parce que son épouse porte le foulard.
Par contre le recours de la dite épouse, qui n’avait pas non plus obtenu la naturalisation, est écarté. Car ici, le refus n’est pas jugé discriminatoire: il était motivé par ses connaissances linguistiques insuffisantes et ses lacunes en matière d’instruction civique.
Nouvelle chance en juin
Les deux communes argoviennes devront se pencher une nouvelle fois sur ces demandes de naturalisation. A Buchs comme à Birr, les requêtes seront soumises à l’assemblée communale en juin, ont indiqué les présidents de ces communes.
A Buchs, le président Heinz Baur, a précisé que les autorités communales avaient soutenu la demande de la femme turque et averti les citoyens des conséquences éventuelles d’un rejet.
La fille de cette mère de famille a elle été naturalisée lors de la même séance de l’assemblée communale, en juin 2007. Elle aussi porte un foulard islamique.
«Absolument correct»
Saïda Keller, présidente du Forum pour un islam progressiste, juge la décision du TF «absolument correcte».
«Les femmes qui portent le foulard aujourd’hui veulent montrer qu’elles sont musulmanes, c’est vrai. Mais le Coran ne dit nulle part qu’une femme doit porter un foulard», rappelle-t-elle.
«Si elle le fait pour des raisons familiales ou de tradition, ou même – comme cela est malheureusement souvent le cas aujourd’hui – pour des raisons politiques, cela ne justifie pas qu’on lui refuse la citoyenneté», ajoute Saïda Keller.
Hisham Maizar, président de la Fédération des organisations islamiques de Suisse, salue également le verdict des juges fédéraux, qu’il considère comme «un pas dans la bonne direction».
«Cela devrait nous donner l’espoir qu’à l’avenir on ne se contente pas de regarder les choses superficiellement. Dieu merci, les gens qui sont chargés d’appliquer les lois sont encore éveillés», poursuit Hisham Maizar, qui admet toutefois qu’il a appris à rester «prudent».
«Nous ne cherchons pas l’assimilation, mais l’intégration, ajoute-t-il. Cela signifie ‘vous m’acceptez avec mon identité, tant que je ne vais pas jusqu’à demander aux autres de faire comme moi’. Cette femme peut donc parfaitement conserver son identité, dans le respect des lois suisses et de sa propre liberté».
La question dans les urnes
Ces cas ne sont pas sans rappeler les mésaventures des ressortissants des Balkans à Emmen. Dans cette commune du canton de Lucerne, les citoyens étaient appelés à voter sur les naturalisations et ils avaient systématiquement refusé les candidats originaires de cette région.
En 2003, le TF avait mis fin à cette pratique, jugeant non motivés et discriminatoires les refus décidés par le peuple. C’est à la suite de cette décision que l’UDC (droite nationaliste) avait lancé son initiative «pour des naturalisations démocratiques», en vue d’autoriser les communes à soumettre les naturalisations au vote populaire.
Celle-ci sera soumise au verdict du peuple et des cantons suisses le 1er juin prochain.