(AFP- 9/04/2013) Pauvres et victimes de discrimination, les chrétiens du Pakistan n’espèrent qu’une chose des élections du 11 mai: être mieux protégés face à la montée du fondamentalisme. Et certains n’hésitent pas pour cela à oser l’improbable en étant candidats sur les listes… des partis islamistes ! Le 9 mars 2013 restera à jamais gravé dans les mémoires des chrétiens de Joseph Colony, ghetto miséreux perdu dans les entrailles de Lahore (est), capitale du Pendjab, au bout de ruelles poussiéreuses parsemées d’immenses ateliers de ferrailleurs et vivant dans un concert incessant des klaxons.
Ce jour là au petit matin, près de 3.000 musulmans en colère, deux fois plus que les chrétiens de Joseph Colony, y ont saccagé et incendié plus d’une centaine de maisons de la minorité. Les assaillants assurent qu’un chrétien avait tenu des propos jugés « blasphématoires » envers l’islam. Les victimes soupçonnent elles un motif moins louable: la foule aurait été poussées par des commerçants musulmans décidés à faire main basse sur les modestes terres chrétiennes. « C’était une journée d’horreur. Les enfants sont toujours traumatisés et sont encore réveillés la nuit par leurs cauchemars », souffle Sohail Masih, jeune père de famille en T-shirt moulant, dont la modeste demeure a été anéantie. Ce jour là , la Ligue musulmane des frères Nawaz et Shahbaz Sharif (PML-N), au pouvoir dans la province du Pendjab, comme le Parti du Peuple pakistanais (PPP) alors à la tête du gouvernement fédéral, ont laissé libre cours à la rage. Mais les deux partis ont ensuite versé une généreuse compensation financière aux victimes de Joseph Colony. Et à quelques jours du scrutin législatif, leurs affiches tapissent les murs du quartier. Géant musulman de 180 millions d’habitants, le Pakistan compte entre trois et quatre millions de chrétiens, issus des basses castes et très souvent cantonnés aux bas-fonds de la société. Sur les 342 sièges de l’Assemblée nationale, dix sont réservés aux minorités, mais à la proportionnelle. Ce sont donc au final les grands partis, musulmans, qui choisissent les nommés. Une « sélection » et non une « élection », regrettent les chrétiens, qui ne votent donc jamais directement pour des représentants de leur minorité. A Joseph Colony, Mehmood Masih, votera le 11 mai pour la PML-N au parlement provincial et pour le PPP, plus libéral et traditionnellement apprécié des chrétiens, à l’Assemblée nationale. Un vote pragmatique: « Ils ont chacun donné 5.000 dollars par famille, nous allons donc voter pour eux », explique-t-il, approuvés par ses amis. Pour protéger les chrétiens… votez islamistes? Pour éviter d’autres dérapages comme Joseph Colony ou Gojra, petite ville du Pendjab où sept chrétiens avaient été brûlés vifs par des musulmans en 2009, d’autres chrétiens ont fait un choix surprenant: voter et même se présenter sous la bannière des partis islamistes ! « L’islam est la seule religion qui protège le droit des minorités. Si la loi islamique est appliquée ce seront donc les minorités qui en bénéficieront le plus », lance Akram Waqar Gill, un chrétien du Pendjab inscrit sur la liste des islamistes de la Jamaat-Ulema-e-Islam de Fazlur Rehman (JUI-F). Dans l’orthodoxie musulmane, le versement d’une taxe spéciale, la « jizya », garantit aux chrétiens la « protection ». Mais ici, il n’est pas question d’un impôt particulier, mais de bâtir des ponts pacifiques entre communautés. Elu en 2002 sur la liste de la Jamaat-e-Islami (JI), le chrétien Pervaiz Masih, est de nouveau candidat sous la bannière islamiste cette année. « Il y a quelques années à Peshawar (nord-ouest), des chrétiens buvaient de l’alcool près d’une mosquée à l’heure de l’appel à la prière. Une foule de musulmans furieux s’est alors dirigée vers eux avec des bâtons », raconte-t-il. « Je m’étais précipité sur les lieux et avais parlé avec les gens de la JI. Nous avions convaincu la foule de rentrer chez elle ». Bien que sollicité par les partis laïcs, ce solide gaillard, éleveur de poulet, est resté fidèle à la JI qui a tout un programme d’aide à la minorité chrétienne. « Quand j’y suis entré, j’étais le seul chrétien du parti, mais aujourd’hui nous sommes des milliers », se félicite M. Masih, qui a coiffé sa résidence d’un drapeau du parti orné d’un croissant de lune et de la profession de foi musulmane en arabe. Mais si l’idée de se rapprocher des islamistes pour prévenir de nouveaux affrontements est jugée louable à Joseph Colony, voter pour eux est un Rubicon que peu se disent prêts à franchir. « Je ne les aime pas! », zézaye Samuel, un étudiant en médecine filiforme qui propose une solution encore plus radicale: quitter le Pakistan car les « minorités n’y sont pas en sécurité ».