(swissinfo)- La Suisse est aussi confrontée au phénomène des mariages forcés et/ou arrangés, une coutume répandue parmi les communautés d’immigrés de type patriarcal.
Selon le politicien lucernois Lathan Suntharalingam qui lutte contre ce fléau social, il s’agit d’un problème d’intégration qui ne peut pas être minimisé au nom de la multiculturalité.
Se marier contre sa propre volonté, pour se soumettre au choix de tierces personnes, peut devenir une tragédie. De telles situations débouchent souvent sur des oppressions ou des actes de violence qui peuvent avoir des conséquences physiques et psychiques graves.
Exemple à Bellinzone où un mariage forcé s’est terminé dans le sang. Un Pakistanais de 26 ans a fracassé le crâne de sa jeune épouse de 22 ans à coups de marteau car elle voulait demander le divorce après quatre mois d’union. Mariée contre son gré à son compatriote qui était aussi son cousin, la jeune femme qui vivait au Tessin depuis l’âge de trois ans.
En novembre 2006, la Cour d’assises de Bellinzone a condamné le jeune homme à 18 ans de réclusion pour assassinat.
La Suisse touchée
En fait, le phénomène des mariages forcés et arrangés n’épargne donc pas la Suisse. Selon l’unique enquête réalisée à ce jour par la Fondation Surgir de Lausanne, en 2006, plus de 17’000 unions de ce type auraient déjà été célébrées dans le pays à ce jour.
Un tiers des jeunes filles mariées de force seraient mineures et âgées parfois de 13 ans. A noter que les contraintes pèsent aussi sur de très jeunes adolescents obligés de prendre une épouse que la famille s’est chargée de «choisir» pour lui.
Originaire du Sri Lanka, Lathan Suntharalingam, député au parlement cantonal de Lucerne et membre d’une association qui lutte contre les mariages forcés, affirme que de telles unions sont avant tout un problème parmi les communautés étrangères, et particulièrement celles qui vivent de manière traditionnelle et patriarcale.
Un problème d’intégration
«Même s’ils ne peuvent pas automatiquement être associés à des zones de provenance ou une religion définie, les mariages forcés relèvent indéniablement d’un problème d’intégration», déclare-t-il.
Ce phénomène est notamment répandu parmi les Tamouls de religion hindoue, les Araméens, les Kosovares musulmans et catholiques, les Juifs orthodoxes, les Turcs sunnites et les Kurdes.
«Les noces forcées avec une personne de la même origine, explique Lathan Suntharalingam, découlent souvent du manque de familiarité avec la culture du pays d’émigration. Par exemple, de nombreux Tamouls ont des emplois humbles et parlent mal les langues nationales helvétiques. Ils sont donc éloignés des modèles de vie occidentaux qu’ils considèrent avec crainte et scepticisme.»
«En planifiant le mariage de leurs enfants, les parents sont convaincus de les aider et d’agir pour leur bien», souligne encore le politicien lucernois.
En fait, les unions avec des personnes extérieures au clan ethnique sont vues comme un risque qui peut se solder par un divorce. Les familles veulent aussi éviter «la désapprobation des membres de la communauté qui exercent un contrôle social fort».
Trop d’indulgence
Lathan Suntharalingam dénonce la trop grande indulgence des milieux politiques qui feignent d’ignorer la gravité du problème en le qualifiant de simple «diversité culturelle».
Une telle attitude peut avoir de graves conséquences: «de nombreuses personnes qui s’occupent professionnellement de thèmes liés à l’immigration hésitent à agir contre ce phénomène préoccupant pour ne pas risquer d’être accusées de discrimination».
«Nous autres jeunes Suisses d’origine étrangère, ne voulons pas ignorer le problème. Nous voulons au contraire en parler et travailler sérieusement pour y mettre terme. C’est comme cela que nous pouvons vraiment nous sentir égaux», insiste Lathan Suntharalingam.
Appel au gouvernement
Quelles solutions préconise-t-il dès lors? «Les mariages forcés doivent être considérés comme une véritable violation et doivent être soumis à des dispositions juridiques adéquates», dit-il.
Sa requête est partagée par plusieurs politiciens. La sénatrice Trix Heberlein – dans une motion déposée à fin 2006 et qui sera débattue lors de la prochaine session de la Chambre basse du Parlement – exhorte le gouvernement à adopter sans tarder toutes les mesures législatives nécessaires. Elle demande aussi une stratégie globale ayant pour but d’empêcher les unions arrangées.
Droit et sensibilisation
A la mi-novembre 2007, le gouvernement suisse a approuvé le rapport qu’elle avait demandé sur la «Répression des mariages forcés et des mariages arrangés».
En résumé, le gouvernement reconnaît la nécessité d’agir juridiquement, mais seulement le cadre du droit civil: «l’introduction d’une norme pénale relative au mariage forcé pourrait sensibiliser davantage l’opinion publique à ce problème. Il est toutefois peu probable qu’un tel signal parvienne aux responsables et aux victimes.»
Le gouvernement estime par ailleurs que les difficultés de vérifier s’il y a effectivement eu contrainte – difficultés liées par exemple au refus des victimes de témoigner – ne seraient pas résolues. Comme première mesure immédiate, les autorités ont décidé de ne plus reconnaître les mariages contractés par des couples ayant moins de 18 ans.
Selon le gouvernement, d’autres mesures préventives peuvent être envisagées. Elles seraient de la compétence de la Confédération et des cantons. Il s’agirait en particulier de campagnes de sensibilisation destinées aux communautés d’immigrés et à ceux qui opèrent en contact étroit avec elles, d’informations ciblées aux futurs époux durant les préparatifs du mariage, d’offres d’aide aux personnes victimes ou menacées de mariages forcés.
Ces projets sont bien accueillis par Lathan Suntharalingam qui ajoute cependant: «les ressortissants étrangers bien intégrés doivent aussi participer activement à leur mise en place».
Le politicien lucernois trouve en effet paradoxal que les questions relatives à l’intégration soient souvent débattues – et parfois instrumentalisées – par des personnes ou des partis qui ont peu d’expérience pratique en la matière.
«Ce serait comme disposer d’un bureau pour l’égalité des sexes occupé uniquement par des hommes», conclut-il.