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L’inéluctable modernisation de l’islam

Il y a quelque chose d’exacerbant à voir tel ou tel savant prétendre avoir trouvé une explication simple et fondamentale à un ensemble varié de phénomènes complexes. C’est le risque auquel s’expose un démographe comme Emmanuel Todd lorsqu’il attribue assez systématiquement les comportements d’un groupe humain au type de structure familiale qui caractérisait sa société d’origine. Reconnaissons que cela permet d’heureuses trouvailles comme de montrer que c’est le modèle familial des paysans du Bassin parisien qui a inspiré la devise « Liberté, égalité » de la Révolution. Elargissant la perspective, il utilise aujourd’hui la clef démographique pour annoncer la transformation prochaine d’un islam qui ne pourra que rejoindre les autres civilisations au fur et à mesure de sa « conformisation » au modèle du contrôle des naissances.

Le point de départ de la démonstration est un constat majeur : l’effondrement de la fécondité dans le monde musulman. En trente ans, on est passé de 6,8 enfants par femme à 3,7. Des pays comme l’Iran ou la Tunisie ont désormais le même indice de fécondité que la France.

A la source de cette évolution, le même facteur déterminant qu’est l’alphabétisation des femmes. Une mutation de pareille ampleur ne peut qu’être le signe de bouleversements profonds. Le contrôle des naissances met en cause les rapports d’autorité, les structures familiales, les références idéologiques et religieuses, le système politique. En bref, le monde musulman est en train de vivre une transformation analogue à celle qu’ont connue, avant lui, les sociétés occidentales. C’est ce qui autorise les auteurs à émettre une conclusion qui en surprendra beaucoup : la montée de l’islamisme n’est que la manifestation d’une révolution démographique qui n’a rien à voir avec la religion. Faire de l’islam un facteur explicatif majeur est une vue de l’esprit alors que bien d’autres variables communes à toutes les civilisations jouent un rôle déterminant.

L’erreur serait pourtant de croire que cette convergence qui se dessine entre civilisations se fera de façon idyllique. Les auteurs soulignent, au contraire, à quel point les révolutions démographiques et culturelles sont lourdes de menaces pour les équilibres antérieurs. Avec l’alphabétisation des femmes et le contrôle des naissances surgissent de nouveaux conflits de générations et s’opère une déstabilisation des relations entre hommes et femmes. Ces ruptures d’autorité produisent une désorientation générale de la société et génèrent des troubles qui peuvent être meurtriers. Et c’est sans doute ici que la violence de l’islamisme moderne trouve son terreau. On pressent aisément comment des sociétés de type patrilinéaire se mobilisent obstinément pour faire de la pudeur de la femme une valeur essentielle. On comprend aussi comment le danger qu’elles sentent peser sur la famille traditionnelle les pousse à réaffirmer les croyances religieuses qui lui servaient de ciment. D’un mot, on peut voir dans la résurgence des fondamentalismes une réaction à une crise qui touche l’ensemble de la structure sociale. Mais y a-t-il une chance sérieuse que cette réaction conjoncturelle puisse interrompre une modernisation qui semble inéluctable, tant elle est inscrite dans la démographie ?

Jean Dubois

Les Echos, 19/10/2007

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