JAKARTA (AFP) – La liberté religieuse dans le pays musulman le plus peuplé du monde est désormais clairement menacée, ont affirmé mardi des intellectuels indonésiens en accusant le gouvernement de se plier aux exigences des intégristes islamiques.
Les défenseurs des droits ont très mal reçu lundi la décision d’imposer des mesures restrictives à l’Ahmadiyah, un mouvement religieux minoritaire et pacifiste dérivé de l’islam.
Ils sont convaincus que ce précédent ouvre la voie à de nouvelles atteintes à la tolérance confessionnelle, les autres cultes minoritaires de l’archipel (catholiques, protestants, bouddhistes, hindouistes, etc) étant visés.
« Le gouvernement s’est affaibli lui-même en prenant cette décision. Affaibli car les musulmans fondamentalistes extrémistes ou violents ont bien retenu la leçon. Ils savent désormais qu’ils peuvent mettre la pression sur le gouvernement », a déclaré Adnan Buyung Nasution, un éminent juriste.
« Je dirais que c’est le début d’un conflit entre les Indonésiens qui veulent conserver un Etat séculaire, une société ouverte et démocratique, et ceux qui veulent forcer le pays à devenir un pays islamiste », a-t-il ajouté.
En plus de soixante ans d’histoire, l’Indonésie n’a jamais été un Etat islamiste. Environ 88% de ses 234 millions d’habitants se revendiquent de l’islam.
« Cette interdiction va à l’encontre de la constitution indonésienne qui garantit la liberté de religion », a dénoncé Lutfi Assyaukani, directeur d’un centre d’études sur l’islam libéral.
Le président Susilo Bambang Yudhoyono « aurait dû être ferme envers les groupes musulmans radicaux, mais au contraire il a plié sous leur pression. C’est une décision honteuse », a-t-il poursuivi.
Sans prononcer la dissolution de l’Ahmadiyah, qui compte 200.000 membres en Indonésie selon un institut indépendant, le gouvernement indonésien a pris lundi des mesures sévères à son encontre.
La secte se voit interdire de « diffuser des interprétations et de se livrer à des activités qui dévient des principaux enseignements de l’islam ».
En pratique, les fidèles du mouvement spirituel doivent désormais pratiquer leur foi uniquement au sein de leur communauté, en se gardant de toute action publique, qui pourrait être considérée comme du prosélytisme.
Les télévisions ont montré des fidèles du mouvement religieux priant chez eux et non dans leur mosquée habituelle, par peur d’être attaqués.
Des milliers d’intégristes musulmans avaient manifesté lundi à Jakarta pour exiger la dissolution de l’Ahmadiyah. D’autres avaient violemment agressé à coups de bâtons, le 1er juin, des personnes manifestant pour la tolérance religieuse.
Des responsables de l’Ahmadiyah ont rejeté mardi le décret et promis de le récuser en justice.
« Le décret ne mentionne pas les activités qui nous sont interdites, nous continuerons donc à pratiquer nos rituels », a déclaré dans une conférence de presse Zafrullah Pontoh, un haut responsable de la secte.
L’organisation de défense des droits de l’Homme Human Rights Watch (HRW) a appelé le président Yudhoyono à annuler le décret pris lundi par le ministère de l’Intérieur et le ministère des Affaires religieuses.
« Le gouvernement devrait protéger une minorité religieuse et non promettre la prison pour une croyance », a ajouté HRW.
Avec cette décision s’inscrivant dans une longue série de persécutions, les violences contre les Ahmadis vont redoubler, a assuré Fadjroel Rachman, de l’Alliance pour la liberté de religion et de croyance.
Ces derniers mois des écoles ou des mosquées appartenant à l’Ahmadiyah ont été incendiées et de nombreux Ahmadis ont dû fuir leur domicile.