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Les Indiens du Chiapas se tournent vers La Mecque

Délégation du Chiapas au pélérinageAnastasio Gómez, un Maya appartenant à l’ethnie tzotzile, se rappelle avec émotion son pèlerinage à La Mecque. Dans la Grande Mosquée, il a accompli sept fois le tour de la Kaaba. Sur le mont Arafat, il a prié Allah. Et, avant de prendre le vol du retour, il a sacrifié un mouton avec quinze autres Amérindiens. “Dans l’islam, la race ne compte pas”, se réjouit le jeune homme. Sa joie est parfaitement compréhensible pour un Indien du Chiapas, l’Etat le plus pauvre du Mexique, où les Indiens sont perçus comme des citoyens de seconde classe et où les Blancs et les métis traitent la majorité autochtone comme si elle n’existait pas. A San Cristóbal de las Casas, les Mayas doivent même céder le passage aux Blancs lorsqu’ils se croisent sur le même trottoir.

Le jeune Gómez, 23 ans, s’est converti à l’islam il y a huit ans. Depuis lors, il se fait appeler Ibrahim. Lors de son premier pèlerinage, il y a sept ans, il constituait une exception, mais, aujourd’hui, il n’est plus rare d’apercevoir des musulmanes en foulard dans les rues de San Cristóbal. Au cours des dernières années, quelque trois cents Tzotzils se sont convertis à l’islam. L’ampleur du phénomène commence à inquiéter le gouvernement mexicain, qui soupçonne les nouveaux convertis de se livrer à des activités subversives et les a déjà placés sous la surveillance des services secrets. Le président Vicente Fox a même exprimé la crainte que le réseau Al-Qaida n’étende son influence jusqu’au Mexique. En réalité, les Indiens se désintéressent totalement de l’extrémisme politique. La plupart adhèrent à la secte musulmane des morabites, un groupe fondé par un Ecossais du nom de Ian Dallas et considéré comme une ramification d’un ordre religieux marocain. Les morabites se réclament de l’islam originel : ils interdisent l’usure et prêchent une interprétation littérale du Coran. “Ils se perçoivent comme des restaurateurs de l’islam”, observe l’anthropologue Gaspar Morquecho, auteur d’une étude sur les musulmans du Chiapas. “Leur anticapitalisme rappelle à bien des égards l’opposition de nombreux gauchistes à la mondialisation.”

Même si l’on en parle beaucoup aujourd’hui, la conversion des Tzotzils remonte à une décennie. C’est vers le milieu des années 1990 qu’un groupe de musulmans espagnols s’est embarqué pour l’Amérique latine pour faire du prosélytisme. Leur chef, Aureliano Pérez, aujourd’hui connu des Mayas sous le nom d’émir Nafia, a proposé une alliance idéologico-religieuse aux zapatistes. Le sous-commandant Marcos a longuement hésité, mais les Espagnols ont tenu bon, ayant découvert que les Tzotzils, qui forment la majorité des rebelles, étaient très réceptifs aux enseignements du prophète Mahomet.

Cette lutte pour les âmes du Chiapas ne date pas d’hier. Au XVIe siècle, c’est par la force que les conquistadors ont converti les Indiens au catholicisme. Cinq siècles plus tard, des évangélistes venus des Etats-Unis ont sillonné l’Amérique latine pour en chasser les catholiques. Dans la seule ville de San Juan Chamula, on recense aujourd’hui onze congrégations différentes qui bataillent pour sauver les âmes des Indiens.

“Les chrétiens ont ruiné leur culture. Dans l’islam, les Indiens redécouvrent leurs valeurs originelles”, affirme l’Espagnol Esteban López, secrétaire général de la communauté musulmane. Il en veut pour preuve l’alcoolisme, qui faisait des ravages chez les Tzotzils et qui est battu en brèche par la religion musulmane et son interdiction de l’alcool.

Les Mayas musulmans de San Cristóbal passent pour de grands travailleurs auprès des Blancs. Leurs enfants apprennent l’arabe dans une école coranique et prient cinq fois par jour dans la cour d’un immeuble. Les nouveaux convertis se soucient peu que les locaux des congrégations restent vides : ce qu’ils veulent, c’est voir les enseignements de Mahomet mis en pratique au sein de leur famille.

Anastasio Gómez, rebaptisé Aka Ibrahim, a converti tous les siens. Il est particulièrement fier de la conversion de son grand-père centenaire, qui était membre d’une secte chrétienne. “Pendant toute sa vie, il n’a pas arrêté de passer d’une religion à l’autre. Avec Allah, il a trouvé la paix”, se félicite-t-il.

Jens Glüsing, er Spiegel (traduction, Courrier International)

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