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La place de l’islam dans la laïcité française

Liberation_1.jpg«Par-delà les tensions réelles entre l’islam et l’idée de laïcité, dans le contexte français, on assiste à un début d’accommodement.» Directeur de recherches au CNRS, spécialiste de l’islam, Franck Frégosi est optimiste, mais pas béat. Dans un ouvrage fouillé et érudit, il scrute tous les aspects de la relation entre l’islam, les musulmans, la laïcité et les non-musulmans. Objectif : «prendre toute la mesure des mutations qui traversent actuellement les communautés musulmanes de France et œuvrent à la redéfinition des contours de l’islamité dans un environnement sécularisé et pluraliste».

Différenciation. Au commencement était donc le Coran, système de pensée comportant incontestablement «un certain nombre de considérations à la fois juridiques et politiques», reconnaît Franck Frégosi, mais «peu nombreuses et d’un caractère assez général». En bref, tout musulman doit obéissance, dans l’ordre, à Dieu, à son prophète, et à ceux qui détiennent l’autorité. En revanche, «le texte ne se prononce pas de façon détaillée sur l’organisation interne de la cité, laissant cela à l’appréciation des croyants, comme le recommande d’ailleurs un célèbre hadith : « Vous êtes mieux instruits de vos affaires temporelles »Â». Rien donc, selon Franck Frégosi, qui justifie le slogan des fondamentalistes : «Le Coran est notre Constitution.»

Après le Coran, vint le prophète Mahomet. Prêcheur, guerrier et politique. Pour Franck Frégosi, «C’est le seul moment dans l’histoire islamique où l’on est effectivement fondé à parler d’une indivision du spirituel et du temporel, voire d’une confusion puisque ces deux dimensions convergent en une même personne.» A la mort de Mahomet, c’en est fini : «Tous les pouvoirs qui se succéderont dans le monde musulman n’auront de cesse de se revendiquer formellement du Coran et de l’expérience exemplaire de Médine, à des fins de pure légitimation, tout en fonctionnant selon des logiques séculières.»

Pour autant, cette différenciation n’a rien à voir avec une laïcité à la française. «Dans l’islam, la littérature classique n’appréhende le plus souvent la laïcité qu’en terme d’éradication de la religion», confirme Franck Frégosi. Pour les fondamentalistes, «l’idée de se référer à un Etat émancipé de tout principe divin et de toute subordination à une norme métaphysique est formellement récusée, comme un produit de facture occidentale dont la validité resterait limitée à l’espace dit chrétien». Tariq Ramadan, cité par Franck Frégosi, enfonce ce clou. «Ce processus [ qui a conduit au vote de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, ndlr] est propre à une histoire donnée, dans un champ de références donné . L’on aurait tort de mesurer toutes les religions à l’aune de l’histoire d’une seule.» Production occidentale érigée en modèle universel, la laïcité ne serait pas recevable par le monde musulman.

Dans le camp d’en face, chez les laïcs, la vision est tout aussi manichéenne: «Les raccourcis simplistes font de la religion musulmane une religion figée dans l’histoire qui se résumerait à une litanie d’interdits mettant à mal l’idéal de liberté auquel tout esprit moderne est attaché», affirme Franck Frégosi.

Dans un ouvrage didactique à l’intention des entreprises, la chercheuse Dounia Bouzar dresse le portrait imaginaire, en situation, de deux jeunes musulmans. Mona, cadre supérieur dans l’industrie cosmétique est voilée mais ouverte, Hamid, intérimaire dans un aéroport, pratique au contraire un islam rigoriste et intolérant. Face à eux, les collègues, notamment syndicalistes, les supérieurs hiérarchiques. «L’islam apparaît tellement différent qu’éducateurs, professeurs, policiers, politiques, managers et DRH hésitent. Comment faire la part des choses entre ce qui relève de la liberté de culte et de conscience et ce qui révèle d’un dysfonctionnement ou du radicalisme ?» interroge Dounia Bouzar. La démonstration est un peu fabriquée mais plaisante.

«Confrontation». Pour Franck Frégosi, l’islam de France est «sans doute» à un «tournant de son histoire». Il doit faire son aggiornamento. «Il est grand temps qu’ait lieu une confrontation intellectuelle entre ceux qui font une lecture scripturaliste et atemporelle des textes fondateurs de l’islam, dans une perspective souvent politique, et ceux qui se livrent à une exégèse critique de ces mêmes sources», souligne le chercheur.

Mais la laïcité, elle aussi, est interpellée par les demandes culturelles nouvelles émanant notamment des musulmans. L’Etat a «un rôle majeur à jouer comme garant de la liberté religieuse et d’une équité en matière d’exercice public des cultes», souligne Franck Frégosi. Mais il doit également «veiller au respect des règles sans non plus se priver d’en adapter la lettre à l’évolution d’une société religieusement plurielle». Comment ? En modifiant la loi de 1905 ? Ça, Franck Frégosi ne le dit pas. Et la lecture de son ouvrage se termine sur cette petite frustration.

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