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Egypte / Bahaïe: Le sens pratique l’emporte

Bahaie_1_1.jpgLa Cour administrative a donné son verdict, la petite communauté bahaïe d’Egypte, dont la religion n’est pas reconnue par l’Etat, peut produire des cartes d’identité et des actes de naissance et ne rien inscrire dans la case religion. Cette décision soulage en premier lieu cette communauté, au nombre de 2 000 adeptes, qui depuis l’informatisation de l’Etat civil, était contrainte d’inscrire « chrétien » ou « musulman » dans la case religion, faute de quoi les bahaïs étaient privés de tout document officiel avec le risque de vivre en marge de la société, à savoir ne pas pouvoir envoyer leurs enfants à l’école, officialiser leur mariage, ni encore trouver un travail.

C’est d’ailleurs sur ces considérations humaines que se fonde la décision de la cour qui a pris soin de souligner que ce verdict ne signifiait pas une reconnaissance de la pensée bahaïe. « Seules les trois religions monothéistes sont reconnues en Egypte, l’islam, le christianisme et le judaïsme », a souligné la cour, justifiant son refus de la demande des bahaïs qui voulaient inscrire leur religion sur leurs papiers officiels, à l’instar de leurs concitoyens musulmans ou chrétiens.

La cour a également ajouté que le bahaïsme ne constituait pas une confession ou une religion, mais « une pensée déviante et inadmissible ». Elle a expliqué que sa décision visait simplement à leur trouver une issue juridique et protéger ainsi leurs droits civils, mais aussi à les empêcher de « se faire passer pour des chrétiens ou des musulmans, alors qu’ils ne le sont pas ».

Malgré tout, ce verdict qui intervient dans le cadre d’une série de procès intentés par un nombre de bahaïs, a été accueilli avec satisfaction par les organisations de défense des droits de l’homme et des bahaïs eux-mêmes. L’Organisation Human Rights Watch y voit une victoire pour la liberté de croyance. « Le gouvernement ne doit pas utiliser l’ordre public et la charia comme un prétexte pour justifier la discrimination et le fanatisme religieux. Les bahaïs ne devraient pas être obligés de recourir à la justice pour obtenir un droit humain élémentaire, celui de la liberté de croyance », a estimé Jeo Strok, vice-président de Human Rights Watch pour la région du Proche-Orient. Hossam Bahgat, président d’une ONG œuvrant dans le domaine des droits de l’homme, se félicite également du verdict en faveur des bahaïs dans lequel il reconnaît une rectification d’une politique gouvernementale basée sur la discrimination religieuse. « J’appelle les responsables exécutifs à appliquer ce verdict et à ne pas chercher à le contourner. Le ministère de l’Intérieur tente toujours de geler ce genre de verdicts en faisant appel des verdicts », ajoute Bahgat. Il rappelle que l’article 47 de la loi 143 de l’année 1994 sur le statut civil stipule que tout citoyen a le droit de changer ses informations personnelles, y compris la religion.

Mais cette joie n’est pas partagée par tout le monde en Egypte. Loin s’en faut. « Nous ne sommes pas contre les libertés individuelles et la liberté de croyance garantie par le Coran, mais il est inadmissible de laisser la porte ouverte aux dérives de pensée et à des mythes qui portent atteinte aux religions monothéistes et à la sécurité sociale », réplique Abdel-Moeti Bayoumi, membre du Centre de recherches islamiques d’Al-Azhar. Le grand imam d’Al-Azhar, cheikh Mohamad Tantawi, ainsi que le Centre des recherches islamiques qui en dépend, ont toujours considéré le bahaïsme comme un ensemble d’enseignements qui contredisent l’islam, et les bahaïs comme des gens en perdition.

Les bahaïs, eux, sont ravis de ce verdict qui leur permettra de se débarrasser d’une lourde obligation, celle de devoir mentionner sur leurs papiers une religion à laquelle ils ne croient pas. « Ce verdict est un pas sur le bon chemin pour obtenir nos droits civils. J’espère que le ministère de l’Intérieur ne cherchera pas à nous faire obstacle », estime Kamal Raouf Halim, bahaï.

Des craintes qui ne sont pas injustifiées, notamment après la déclaration d’une source sécuritaire que le ministère de l’Intérieur envisage de porter ce verdict en appel devant la Haute Cour administrative. En avril 2006, un tribunal administratif de première instance d’Alexandrie avait répondu favorablement aux revendications des bahaïs, mais cette décision a été annulée en appel devant la Haute Cour administrative à l’initiative du ministère de l’Intérieur. Rien n’indique pour le moment si les bahaïs auront droit à une répétition de ce scénario, ou si les clauses incisives qui ont accompagné cette dernière décision ne visent plutôt qu’à absorber la colère d’une opinion publique largement hostile aux bahaïs.

May Al-Maghrabi, Al Ahram hebdo 06/02/2008

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