Chèr(e) s ami(e)s,
Nous espérons que des voix, dont les vôtres, s’élèveront pour se solidariser avec la romancière et avocate libyenne, Wafa Al Bouissi, en butte à des persécutions dans son pays, pour avoir usé de sa liberté d’écrivaine, à travers son roman en arabe, la Faim à d’autres visages.
Le minimum est de faire circuler autour de nous l’information sur cette affaire.
Pour vous, comme pour nous, la défense de la liberté d’expression ne doit souffrir aucune exception quel que soit le sexe, la nationalité, la religion ou la non-religion, les convictions politiques ou philosophiques, ou la couleur de peau de son auteur, et contre ses fossoyeurs que ce soit un individu, une communauté culturelle et/ou ethnique, un courant politique ou un pouvoir politique.
Cette liberté a d’abord été arrachée, de hautes luttes pendant plusieurs siècles, par les Européen(ne)s, contre le despotisme politique et la mainmise du christianisme sur la vie des gens. Il en sera de même des régimes musulmans et de l’islam (ainsi que du judaïsme, de l’indouisme, etc.), et de toute idéologie ou loi liberticide, en dépit des « nobles » motifs, dont elle se pare.
Vous trouverez ci-dessous, le compte rendu de cette affaire telle que rapportée par l’un de nos confères.
Cordialement,
La rédaction
Photo de Wafa Al Bouissi photo
Libye : Les Don Quichotte de Bengazi http://heritiersibnrochd.123.fr/spip.php?article60
Depuis quelques semaines un mouvement de protestation et de colère est perceptible dans les mosquées, les milieux universitaires et les cercles culturels et intellectuels de Bengazi en Libye. Les imams dans leurs prêches de vendredi et les intellectuels dans une lettre ouverte au Procureur général Mohamed Mesrati, ont demandé l’interdiction et le retrait de la vente, d’un roman portant le titre « la faim a d’autres visages » de Wafa Al Bouissi.
Le roman relate l’historie d’une adolescente libyenne qui a été retenue chez son oncle égyptien à Alexandrie à la suite de la rupture des relations entre l’Egypte et la Libye et la fermeture des frontières entre les deux pays en 1978. En subissant un mauvais traitement par l’épouse de son oncle, l’adolescente s’est trouvée dans la rue vivant sous l’emprise de la faim et l’insécurité. Sa vie se transforme en un ensemble de réflexes de survie et de recherche d’une liberté porteuse de beaucoup d’inconnus. Parce qu’elle avait faim, elle a trouvé refuge dans une église puisque la mosquée est fermée en dehors des heures de la prière. Elle constate qu’à l’église, personne ne lui demande rien. Mieux encore, elle observe une certaine égalité de traitement et de comportement entre l’homme et la femme et entre les paroissiens et les étrangers. L’adolescente s’est défaite peu&! nbsp;! à peu des contraintes de sa famille, de ses traditions et de sa société pour plonger dans une vie de liberté y compris la liberté sexuelle en se laissant vivre au grè des rencontres. Elle plonge aussi dans les nuits de joie et des plaisirs de Alexandrie des années 1980. Le roman est le récit d’une adolescente perdue et libérée de tous ses tabous et contraintes. Elle regarde le monde à travers une vie de vagabondage et un vide créé en elle par la faim et l’insécurité. Les deux tiers du roman, sont consacrés à une comparaison parfois tacite et souvent explicite, entre deux mode de vie : celle de la société traditionnelle libyenne et celle d’Alexandrie plus libre et très diversifiée. La comparaison fait appel aux traditions, à la religion, au comportement social des hommes et des femmes et à plusieurs aspects de la vie de deux mode très différentes, sinon contradictoires, de la société de Bengazi et d’Alexandrie.
L’écrivain, Wafa Al Bouissi est une jeune femme libyenne de 34 ans et d’une famille de Bengazi.. Elle est musulmane pratiquante et voilée (voir sa photo). Elle est depuis 1998, avocate spécialisée en droit pénal et inscrite au barreau de Bengazi.
L’éditeur est la revue Al Mouatamar éditée elle-même par le Centre du Livre Vert de Bengazi.
Il ne s’agit donc pas d’un roman d’une femme libertine ou provocatrice. Il ne s’agit pas non plus d’un roman d’une femme non musulmane ou athée qui a voulu « abaisser » l’Islam. Il ne s’agit pas d’un roman d’opposition puisqu’il a été publié par le socle de l’idéologie dominante du pouvoir politique en place : le Centre du Livre Vert. Il ne s’agit pas non plus d’un roman glorifiant le régime politique en place et son livre vert, puisqu’il dresse une série de critiques visant le model social libyen. D’ailleurs, les autres essais de l’écrivain publiés en Libye, n’épargne pas les gouvernants libyens d’une critique parfois assez pertinente.
Alors pourquoi ces meutes composées d’un mélange étrange d’opposants islamistes, royalistes et autres tendances au pouvoir politique en place en Libye, de membres des comités révolutionnaires au pouvoir en Libye, de responsables politiques locaux et de plusieurs activistes accusant l’écrivain de blasphème et crimes contre la société et les traditions libyennes ?
Deux explications peuvent apporter une réponse à cette question :
La première explication trouve ses origines dans les années 1973-1977 à Bengazi lorsque le Colonel Kadhafi qui préparait à cette époque le lancement de son Livre Verte et sa conception du pouvoir des masses « Jamahirya », a ordonné à ses sympathisants de brûler dans les places publiques tous les livres, instruments de musiques et autres supports culturels qui ne sont pas conformes à l’idéologie dominante, celle du Colonel Kadhafi. Trente ans plus tard, toute une génération née de ce néant intellectuel – ou « ce savoir incendié et brûlé », se réveille sans repères. C’est cette génération perdue comme l’adolescente du roman de Wafa Al Bouissi, qui constitue cette meute qui veut interdire le roman. C’est une génération qui veut fuir sa peur et son acte de naissance écrit par les cendres du savoir.
La deuxième explication est la plus grave. La ville de Bengazi – puisque les protestations se sont fait entendre surtout à Bengazi – a abandonné son caractère de ville d’ouverture, de liberté et de croisement de cultures.
Ces meutes réclamant l’interdiction d’un roman qui n’est en fin de compte qu’un cri de liberté, ne sont-il pas des liberticides au moment où leur ville, leur pays et eux-mêmes, ont un besoin vital de liberté …
Posté par shosni
27 décembre 2007