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Shahrour, « le Luther de l’islam », invité de l’IMA

L’Institut du monde arabe, l’IMA, relance une initiative qui avait connu un certain succès entre 1991 et 1994 – une chaire itinérante entre Paris et le monde arabe. Cette chaire prend la forme de séminaires-débats semestriels, tenus chaque fois autour d’un penseur éminent, qui est interrogé par une trentaine de spécialistes du sujet traité. L’IMA présente ainsi l’objectif de cette chaire : « faire connaître et diffuser les cultures arabo-musulmanes dans ce qu’elles ont de plus lumineux et de plus moderne ». Mots connotés dans lesquels on reconnaît le programme de l’islam des Lumières. Celui qui a été marqué, dans un passé récent, par des personnalités aussi rayonnantes que l’Algérien Mohammed Arkoun, ou le Tunisien Mohamed Charfi. Aussi n’est-il pas étonnant que le premier invité, aujourd’hui, soit le Syrien Muhammad Shahrour.

Shahrour est, certes, moins connu du public français que les deux auteurs que je viens de citer. Mais dans le monde arabe, il est fort célèbre. Et si certains de ses livres se sont vendus à des centaines de milliers d’exemplaires, il y a des pays où il est à l’index… C’est en particulier le cas de son livre le plus lu, Al-Kitab wal Qur’an, Le Livre et le Coran, une lecture contemporaine, paru à Damas en 1990. Voici ce qu’en disait le très regretté Malek Chebel dans le Dictionnaire alphabétique qu’il avait consacré aux « réformateurs musulmans des origines à nos jours » : C’est « une synthèse brassant tous les sujets liés à la compréhension du texte coranique et à son adaptabilité dans l’espace et dans le temps. »

Muhammad Shahrour a été baptisé, par l’anthropologue Dale Eickelman, « le Martin Luther de l’islam ». Et c’est vrai, il y a du Luther chez cet ingénieur syrien, spécialiste de la mécanique des sols, qui s’est passionné pour l’exégèse coranique. Comme le réformateur de Wittenberg, Shahrour entend relire le texte fondateur de sa religion, en le débarrassant des scories d’interprétations et des utilisations qui en ont été faites. Le philosophe iranien Abdolkarim Soroush remarque que « l’islam est une suite d’interprétations de l’islam, comme le christianisme est une suite d’interprétations du christianisme. Et ces interprétations sont historiques. » Manière de dire qu’elles reflètent les conceptions dominantes de l’époque où elles sont apparues. Et que celles-ci diffèrent forcément des nôtres, aujourd’hui.

Muhammad Shahrour prétend « remonter aux sources de l’erreur », au moment « où nous avons fait fausse route ». Cette époque, il la situe, comme d’ailleurs, Abdelwahab Meddeb, aux IX° et X° siècles. C’est alors que s’est figée une réception très particulière des textes sacrés de l’islam, qui a contribué à en bloquer le développement. Pourquoi ? Parce que c’est le moment où les théologiens du monde musulman ont surimposé, à l’intelligence du Coran, la Sunna et les hadiths. Ces collections de faits et gestes de Mohammed et de ses compagnons est devenue, selon Shahrour, « une véritable industrie ». Les théologiens en ont finalement retenues comme authentiques 6 000…

Si Luther a réalisé la première traduction de la Bible en allemand, le rénovateur syrien a réalisé, de son côté, un très important dictionnaire des mots-clés du Coran. Ce qui lui permet de dissiper bien des erreurs d’interprétation. Autre point de ressemblance : avec la volonté de retourner au texte, un même désir d’épurer la pratique religieuse. De même que Luther réduit les sacrements à deux, le baptême et la Cène, alors que les catholiques en reconnaissent sept – Shahrur ne trouve dans le Coran que 14 péchés, alors que les théologiens traditionnels en comptent pas moins de 70…

Il ne faut pas pousser trop loin le parallèle. L’exégèse biblique, sur des bases rigoureuses et scientifiques, ne commence pas avec Luther, mais au siècle suivant, avec Richard Simon. C’est dans l’esprit de ce dernier que Shahrour entend aborder l’étude du Coran. Il s’agit d’utiliser les sciences profanes pour la critique des textes sacrés. « J’ai voulu interpréter le Coran à la manière d’Isaac Newton, contrairement à nos théologiens qui l’interprètent comme de la poésie », dit-il dans ses interviews. Shahrour se sert de la philologie et la linguistique arabes pour étudier le Coran. Il s’agit d’en éclairer, par ce biais, la logique interne. Or, dans le Coran, dit-il, on trouve à la fois des lois et des récits. Les théologiens musulmans ont cru pouvoir tirer de ces récits des lois. Mais, observe Shahrour, le Prophète de l’islam lui-même, a assuré qu’il transmettait un message. Il ne l’a pas interprété. De quel droit des théologiens s’attribuent-ils cette faculté dont Mohammed lui-même s’est abstenu ?

Chaque génération doit « interagir avec le texte coranique », dont le sens ne saurait être figé dans une interprétation vieille de mille ans. En mélangeant des lois civiles, proclamées par Mohammed, en tant que fondateur d’un Etat, et son message proprement religieux, les musulmans, insiste Shahrour, se retrouvent coincés entre deux époques, celle à laquelle ils participent en acteurs conscients de la modernité, et ce passé mythifié. D’où une espèce de schizophrénie.

La conférence prononcée ce matin par Muhammad Shahrour avait pour thème « les outils de la modernisation de la pensée islamique ». La conférence n’était pas publique, mais l’Institut du monde arabe s’est engagé à l’enregistrer et rendra prochainement disponible cet enregistrement. (France culture)

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