ESSAOUIRA (Maroc) (AFP) –Carrefour des civilisations, Essaouira -l’ancienne Mogador- fournit une belle illustration de métissage culturel et intellectuel avec son festival des Andalousies atlantiques, qui -jusqu’à samedi- rend hommage à la musique judéo-marocaine et au flamenco.
La programmation de cette 6ème édition, commencée jeudi soir, fait la part belle au « matrouz », une « fusion » judéo-marocaine née il y a plusieurs siècles au Maroc.
Des « matinées-forums » sur le thème « identité et transmission » figurent également au programme du festival, auquel s’est associé le Conseil régional de l’Andalousie (Junta de Andalucia).
Le port de pêche d’Essaouira, niché derrière ses remparts à la Vauban et édifié sur une presqu’île balayée par les alizés plusieurs mois par an, cultive depuis sa création une forte tradition de tolérance et a longtemps abrité une importante communauté juive.
Le concert d’ouverture du festival, réunissant sur une même scène le rabbin-chanteur Haïm Louk et l’orchestre marocain Zyriab de Oujda (nord-est), a été l’exemple même d’un métissage musical altéré ni par le temps ni par l’actualité.
Spectacle rare, étonnant, improbable même, que celui fourni par ce rabbin octogénaire à la voix chaleureuse, né à Casablanca mais installé depuis une vingtaine d’années à Los Angeles, alternant chants en arabe, en hébreu et accompagné de musiciens marocains.
Applaudi à tout rompre par un public mélangeant Marocains de tous âges et de toutes conditions, femmes habillées à l’occidentale ou coiffées d’un foulard, touristes de passage, Haïm Louk a résumé à lui seul la symbolique de ce rendez-vous d’Essaouira.
« Je rêvais de ce festival, a expliqué à l’AFP André Azoulay, un natif de la ville, qui est le père-fondateur et le président de cette manifestation. J’en rêvais non pas comme un retour à un âge d’or perdu ou animé par un quelconque sentiment de nostalgie mais parce qu’il exprime une réalité dans la tête de dizaines de millions de Marocains musulmans et juifs ».
« Essaouira, sa mémoire, son histoire et sa façon d’être, de se présenter aux autres, a toujours été un espace de synthèse, a ajouté M. Azoulay, également conseiller du roi Mohammed VI. Ce festival restitue une réalité qui n’a pas disparu, qui est authentique ».
Selon André Azoulay, l’art judéo-marocain est « une composante majeure de la richesse identitaire et culturelle du Maroc. Il n’est pas réduit à un folklore. Il est une réponse aux politiques par sa puissance de création et donne le meilleur exemple pour faire évoluer les mentalités en allant à la rencontre de l’autre ».
« La musique est à bien des égards le premier signal de la liberté et de la modernité quand toutes les autres lumières se sont mises à vaciller », souligne-t-il également dans la plaquette de présentation du festival.
Plusieurs « figures » de la tradition musicale judéo-arabe, dont le pianiste franco-algérien Maurice El Médioni et la chanteuse Raymonde El Bedaouia, une Marocaine de confession juive, sont à l’affiche du rendez-vous.
Un hommage posthume sera aussi rendu à cette occasion à la Marocaine Zohra Fassia, une chanteuse populaire des années 50 qui a milité pour la cohabitation judéo-musulmane au Maroc.
Le flamenco n’est pas oublié, avec la compagnie de Manuel Gutiérrez et la danseuse Ana la China, qui clôturera le festival, accompagnée -petite escapade hors des limites géographiques des Andalousies atlantiques- de Ravi Shankar Mishra et de ses musiciens indiens.
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