Jérusalem (Le Monde)- Lorsqu’elle a appris, à la mi-octobre, que la Mairie de Paris avait dressé, dans un square du 12e arrondissement, un portrait géant de Gilad Shalit, le soldat franco-israélien retenu prisonnier dans la bande de Gaza par le Hamas, ainsi que ceux des deux soldats israéliens capturés durant l’été 2006 par le Hezbollah, Denise Hamouri n’a pu réprimer un soupire de dépit. Cette native de Bourg-en-Bresse, mariée depuis plus de vingt ans à un Palestinien de Jérusalem et habitante d’un quartier arabe de la Ville sainte, est la mère de Salah Hamouri, un jeune homme de 22 ans, accusé d’avoir trempé dans un complot destiné à assassiner le rabbin Ovadia Yossef, guide spirituel du Shass, le parti séfarade.Bien qu’il soit autant français que Gilad Shalit, dont le père, Noam, a rencontré Nicolas Sarkozy le 9 juillet, Salah Hamouri, emprisonné depuis deux ans et demi en Israël, doit se contenter, pour tout soutien, de la visite des agents du consulat français de Jérusalem. En réponse à un courrier électronique de sa mère qui déplorait un « deux poids, deux mesures », le Quai d’Orsay a récusé toute analogie entre les deux binationaux. « Le soldat (Shalit) a été pris en otage (…) et nous essayons d’obtenir sa libération (…). Votre fils est emprisonné par les autorités israéliennes dans le cadre d’une procédure judiciaire dans laquelle nous ne pouvons pas interférer. »
L’affaire remonte au 13 mars 2005, date de l’arrestation du jeune Franco-Palestinien. A l’époque, la presse locale, « sources sécuritaires » à l’appui, évoque les « repérages » auxquels Salah et deux autres jeunes Palestiniens se seraient livrés autour du domicile du rabbin Yossef, célèbre pour ses invectives anti-Arabes. Membres de la branche étudiante du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), un petit parti de gauche, les trois complices supposés auraient entrepris de se procurer des « armes » et établi des « contacts » avec Ahmed Saadate, le chef du FPLP alors incarcéré à Jéricho, pour son rôle dans l’assassinat de Rehavam Ze’evi, l’ex-ministre du tourisme israélien, en octobre 2001.
« JUSTICE À DEUX VITESSES »
Deux ans et des dizaines d’interrogatoires plus tard, le dossier en cours d’examen par le tribunal militaire d’Ofer, en Cisjordanie, paraît mince. Salah Hamouri a certes reconnu être passé en voiture devant la maison d’Ovadia Yossef, dans le quartier Har Nof de Jérusalem, à l’initiative d’un de ses camarades, Moussa Darwish , qui avait livré des légumes dans le passé chez le rabbin et voulait réfléchir à un plan pour l’assassiner. Mais, d’après son avocate, Léa Tsemel, ledit complot n’est pas allé plus loin : « Ils ont roulé au ralenti, vu une caméra, fait demi-tour et n’en ont plus parlé après. Les enquêteurs n’ont trouvé aucune arme et aucun élément susceptible de prouver qu’ils étaient décidés à passer à l’acte. Il s’agit d’un acte stupide, une bravade, rien de plus. »
Tout amateur et embryonnaire fût-il, ce projet risque de coûter très cher au jeune Franco-Palestinien. La charge de « complot » est passible de sept années de prison devant un tribunal militaire israélien. Moussa Darwish – parce qu’il est un habitant de Jérusalem et donc a été jugé plus rapidement – a déjà été condamné à douze ans d’incarcération. « C’est évidemment une justice à deux vitesses, dit Léa Tsemel. Les colons juifs qui avaient posé en 2003, à l’entrée d’une école palestinienne de Jérusalem, une bombe qui avait été désamorcée à la dernière minute, ont eux aussi écopé de douze ans de prison. La différence de gravité (…) est pourtant flagrante. »
Sans illusions sur la justice israélienne, déçue par la frilosité du Quai d’Orsay, Denise Hamouri a eu l’idée, en juin dernier, d’écrire à Noam Shalit. Peut-être parce qu’il traverse une épreuve similaire et parce qu’il connaît « le problème des prisonniers palestiniens », ce dernier a paradoxalement su trouver les mots que les diplomates français se refusent à prononcer. Dans un courrier sobre et sensible, il déplore l’arrestation de Salah, partage la douleur de la famille Hamouri et prie en conclusion pour « les libérations imminentes de (leurs) fils ». A Paris, le 11 novembre, des militants propalestiniens ont remplacé les portraits des trois soldats israéliens par une banderole en hommage aux « 11 000 » prisonniers palestiniens.
Le Monde 25/12/2007
Voir aussi l’entretien avec l’avocate de Salah Hamouri (l’Humanité)
Avocate israélienne, proche des mouvements israéliens pour la paix, Léa Tsemel défend Salah Hamouri.
Salah est traduit devant une cour de justice militaire. Qu’est-ce que cela signifie ?
Léa Tsemel. Il est détenu sous l’accusation d’avoir voulu tuer une personnalité israélienne. C’est la principale charge. Nous attendons maintenant les témoignages. Mais nous savons que, pour l’instant, il n’y a aucune chance qu’il soit relâché. Le seul espoir de sa famille est qu’il puisse partir et étudier en France.
Qu’est-ce que signifie une « cour de justice militaire » ?
Léa Tsemel. Avant tout, cela veut dire qu’elle dépend des militaires, de l’armée, qui sont dans les territoires occupés. Les cours de justice militaire ont été mises en place dans les territoires dès l’occupation sous des prétextes sécuritaires. On a hésité sur l’attitude à adopter face à cette cour, car la question peut se poser : quelqu’un peut-il vraiment être certain de résister à cette déferlante ? Franchement, on n’est pas trop optimiste ! Mais on ne peut jamais être optimiste lorsque quelqu’un passe devant la justice militaire. Cette cour n’a aucune réalité au sens des organisations internationales.
Qu’est-ce que cela signifie pour un prisonnier comme Salah Hamouri ?
Léa Tsemel. Il est clair qu’il ne sera pas relâché avant que le procès soit terminé. Surtout, nous ne savons pas quelles seront les conclusions du procès.
Quelle est l’attitude de la justice israélienne face à un citoyen comme Salah, français ?
Léa Tsemel. Les charges qui sont retenues contre lui amènent, en théorie, sept ans d’emprisonnement. Le fait qu’il soit français ne signifie rien pour cette cour. Salah est de Jérusalem mais il étudiait à Bethléem. Il est un citoyen de la Cisjordanie mais les forces d’occupation n’en tiennent pas compte.
Entretien réalisé par P. B. (l’Humanité 10/10/2007)
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