Le phénomène des fatwas a remarquablement pris de l’ampleur, dans l’objectif de faire face non seulement aux problèmes émergents de nature politique et économique, mais aussi à ceux qui se rapportent également à l’art et à la création. En d’autres termes, des causes n’ayant rien à voir avec la religion. Ceci laisse entendre que les fatwas religieuses sont devenues l’alternative des procédures et des programmes qui sont supposés être de la responsabilité de l’Etat, du gouvernement et du parti au pouvoir.
Lorsque le gouvernement a été incapable de résoudre le problème du nuage noir et d’introduire des méthodes pratiques et scientifiques destinées à mettre un terme aux opérations d’incinération de la paille de riz, il a demandé le secours de Dar Al-Iftaa. Cette dernière a émis une fatwa déclarant que l’incinération de la paille de riz constitue un péché majeur qui fera entrer ses auteurs en enfer. Elle s’est référée, semble-t-il, au principe disant « ne nuis pas et ne porte pas atteinte à autrui » et a prétendu que cette mesure cause la pollution et nuit à la santé des autres.
En réalité, les agriculteurs, à qui le gouvernement n’a pas pu procurer des alternatives modernes et non polluantes pour se débarrasser de la paille de riz que ce soit par le recyclage ou par sa transformation en une source d’engrais ou en une énergie alternative, sont les victimes n°1 si le problème n’est pas réglé. Il incombe alors à Dar Al-Iftaa — avant d’émettre n’importe quelle fatwa — de présenter des solutions pratiques au problème, s’il s’avère que son règlement est de son ressort.
Une autre fatwa a été émise après le drame des milliers de jeunes naufragés en quête d’emplois sur l’autre rive de la Méditerranée. Ladite fatwa dit que ces jeunes naufragés sont cupides et ne sont pas morts en martyrs. Il faut dire que ces jeunes ont été gagnés par le désespoir dans leurs propres villages et bourgs après l’incapacité de l’Etat de leur procurer des emplois et à cause des queues interminables de chômeurs. Au lieu d’inciter la jeunesse à perfectionner ses connaissances, qui est une règle de base dans les pays industrialisés et avancés, la fatwa les aveugle par le désespoir et les avertit que s’ils sont noyés près des côtes italiennes, ils ne seront point considérés comme martyrs. Ces jeunes étaient partis à la recherche du gagne-pain qu’ils n’ont pas trouvé dans leur propre pays. Une telle fatwa insinue que le problème n’est pas celui du chômage qui est leur calvaire quotidien et celui de leurs familles, mais plutôt celui de leur cupidité qui les lance dans une longue course pour amasser de l’argent. Sinon, ils n’auraient pas dépensé ces énormes sommes pour payer ces trafiquants de main-d’œuvre qui les déportent de l’autre côté de la Méditerranée.
De telles fatwas renversent la situation faisant de la victime le principal coupable et innocentant les appareils de l’Etat et la société de la défaillance de leurs politiques, que ce soit au niveau de l’incinération de la paille de riz ou du dossier de l’emploi et du marché du travail. Bref, ces fatwas servent uniquement les politiques de justifications gouvernementales et ne prennent pas en considération les circonstances économiques et politiques. Une manière de mêler la religion à la politique, exactement comme la fatwa prohibant le boycott des élections ou l’interdiction des manifestations et autres. Ainsi, il semble que l’Etat civil dont on parle beaucoup récemment n’en est pas un, d’autant plus que la religion peut être manipulée à un niveau ou à un autre. Ceux qui critiquent le programme des Frères stipulant la création d’une instance d’hommes de religion pour prendre en charge les fatwas se rapportant aux questions de l’Etat et à ses politiques, doivent nous dire quelle est la différence entre les hommes de religion au service du gouvernement et ceux dans le programme du parti des Frères.
Salam A. Salam; Al Ahram hebdo 14-20/11/2007
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