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Burqa:Il faut se poser la question des causes

Par Sonia Dayan-Herzbrun, sociologue, professeure émérite à l’université Paris-VII-Diderot (*).

Comment qualifiez-vous le port de la burqa : particu- larisme religieux ou discrimination sexiste ?

Sonia Dayan-Herzbrun. Ni l’un ni l’autre. Il s’agit d’un code vestimentaire qui recouvre des significations différentes selon les lieux ou les époques. Si l’on considère, par exemple, les contes des Mille et Une nuits, le vêtement qui enveloppe la totalité du corps y revêt une connotation érotique : il permet aux femmes de se déplacer ni vu ni connu, il leur attribue l’initiative sexuelle. Il se trouve donc associé à une grande liberté et à un foisonnement créatif. Dans la réalité d’aujourd’hui, la burqa est souvent un cache-misère, le seul vêtement dont dispose la femme dans les régions rurales et pauvres. Là où son port est rendu obligatoire et contraignant sous peine de sanctions graves, dans certaines théocraties du golfe Persique, ou en Afghanistan, sous les talibans, c’est au nom d’une certaine lecture très étriquée de l’islam, salafiste, qui est en réalité une réinterprétation, une reconstruction parmi d’autres du dogme présentée comme étant la charia.

Quelle signification spécifique lui donner en France ?

Sonia Dayan-Herzbrun. On manque d’enquêtes sociologiques significatives. Ce qui est sûr, c’est que très peu de femmes sont concernées et parmi elles des Françaises converties qui ne sont pas nées de parents musulmans et ne descendent pas d’immigrés récents. Il s’agit d’une démarche bizarre, mais consentie. Je ne parlerai donc pas systématiquement de situation d’oppression, mais plutôt d’un marquage très fort de la différence des sexes qui conduit ces femmes à se séparer de l’espace public. Paradoxalement, elles en sont d’autant plus séparées qu’elles y sont visibles. Cela nous choque, car nous vivons dans un monde qui a valorisé la mixité des espaces masculin et féminin. Je ne parlerai donc pas de réclusion comme c’est le cas, par exemple, de certaines religieuses catholiques, mais plutôt de stratégie de couple affichant des convictions religieuses radicales se prétendant plus pures et plus fidèles que toutes les autres.

Mais les femmes y sont infériorisées ?

Sonia Dayan-Herzbrun. Ce n’est pas ce qui me choque d’abord. L’infériorisation est un concept qui a beaucoup fonctionné dans l’idéologie coloniale qui considérait la femme comme étant inférieure et susceptible d’être libérée par le colonisateur. Méfions-nous des clichés ! Nous imaginons, aujourd’hui, l’égalité comme synonyme d’indifférencié, c’est pourquoi nous percevons la différence comme une contrainte et une inégalité. Ce qui me choque plutôt, c’est que ces femmes manifestent un refus total de communiquer, elles se posent comme étrangères à notre monde. Car à la différence du foulard islamique, la burqa interdit toute communication, elle veut dire : « Ne m’adressez pas la parole, je ne veux pas vous parler. » Néanmoins cela ne présume en rien de ce qui se passe dans le domaine privé, avec les enfants, la famille, etc.

La République n’a rien à dire ni à faire pour aider ces femmes ?

Sonia Dayan-Herzbrun. Le port de la burqa relève d’une lecture de l’islam qui ne favorise en rien l’émancipation des individus, et cela doit préoccuper avant tout la communauté musulmane. Mais la burqa n’offense en rien la laïcité ni les libertés publiques, à moins de considérer que les prêtres en soutane du 5e arrondissement de Paris l’offensent ! La loi prévoit que chacun a droit à une identité et doit la décliner dans certains cas. C’est légitime. Du moment que cette obligation est respectée, je ne vois pas ce qu’il faudrait exiger de plus, en tout cas certainement pas demander à ces femmes de renoncer à leur affichage. Si l’on veut interdire un vêtement, interdisons d’abord une foule de publicités carrément pornographiques ! En revanche, on doit se poser la question des causes. Ce n’est pas par hasard que ce problème se pose dans les quartiers dits défavorisés. Un malaise social s’exprime, c’est cela qui devrait mobiliser la République.

(*) Présidente d’Islam et laïcité. Dernier ouvrage publié : Femmes et politique au Moyen-Orient, Éditions L’Harmattan, 2005.

Entretien réalisé par Lucien Degoy (L’Humanité: 27/06/09)

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