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L’opposition turque évoque un « Etat parallèle »

ErdoganISTANBUL (Reuters) – L’opposition en Turquie a accusé jeudi Tayyip Recep Erdogan de chercher à gouverner le pays par l’intermédiaire d’un « Etat parallèle » au lendemain d’un vaste remaniement du gouvernement qui lui a permis de placer au poste-clé de ministre de l’Intérieur un de ses hommes de confiance.

Efkan Ala, ancien gouverneur de la province, peuplée majoritairement de Kurdes, de Diyarbakir, fait partie des dix nouveaux membres de l’exécutif proches du Premier ministre islamiste.

Ce dernier est fragilisé ces derniers temps par un scandale de corruption touchant plusieurs de ses ministres, qui ont depuis démissionné, sur fond de contestation dans la rue et d’un conflit sourd avec le prédicateur Fethullah Gülen.

Le religieux, qui vit en exil aux Etats-Unis, dispose d’un réseau (Hizmet) influent très bien implanté au sein des appareils policier et judiciaire.

Efkan Ala remplace à l’Intérieur Muammer Guler, l’un des trois ministres démissionnaires après l’arrestation de leurs fils impliqués dans une affaire de pots-de-vin qui a éclaté le 17 décembre. Guler, qui a affirmé comme le chef du gouvernement que l’affaire était un complot monté de toutes pièces, a limogé ou muté des dizaines de responsables de la police impliqués dans ce scandale, dont le patron de la police stambouliote.

« Erdogan cherche à former un gouvernement qui ne lui témoigne aucune contestation. Dans ce contexte, Efkan Ala occupe un rôle-clé », a déclaré sur plusieurs médias turcs Kemal Kilicdaruglu, président du premier parti de l’opposition, le CHP (gauche nationaliste).

« Erdogan dispose d’un Etat profond, l’AKP aussi et Efkan Ala est l’une de ses pièces maîtresses », a-t-il ajouté en faisant à allusion à un concept spécifiquement turc recouvrant des structures d’Etat occultes fonctionnant hors de tout contrôle et garde-fous démocratiques traditionnels.

Depuis dix ans qu’il gouverne le pays avec son parti islamo-conservateur AKP, le Premier ministre a transformé la Turquie en mettant notamment au pas une armée jadis toute-puissante, qui se présentait comme la gardienne sourcilleuse de la laïcité de l’Etat héritée d’Atatürk.

RÉPRESSION SÉVÈRE

Il a modernisé le pays et a apporté à la fois la stabilité politique et la prospérité économique. Mais ses détracteurs, et notamment les manifestants du « printemps-été de Taksim » 2013, lui reprochent de chercher à islamiser de manière rampante les institutions de l’Etat et la société et de faire preuve d’autoritarisme.

« Le limogeage de la moitié des membres du gouvernement est déjà en soi assez inquiétant. L’enquête sur des soupçons de corruption prend chaque jour de l’ampleur, provoquant une défiance croissante de la part des marchés envers la Turquie, souligne Nicholas Spiro, du cabinet Spiro Soverign Strategy.

Lors de la cérémonie de passation des pouvoirs au ministère de l’Intérieur, le nouveau titulaire a déclaré que la Turquie était vraisemblablement la cible de voisins jaloux de ses succès. « (…) il fallait s’attendre à des attaques venant d’horizons divers visant la stabilité politique du pays », a-t-il déclaré sans s’étendre davantage.

Pour Erdogan, le scandale de corruption pourrait se révéler dévastateur et présente un aspect personnel, mettant notamment à nu sa rivalité avec Fethullah Gülen, qui reste très influent au sein de l’AKP à l’approche des élections municipales de mars.

L’un des trois ministres démissionnaires, Erdogan Bayraktar, chargé de l’Environnement, est même allé jusqu’à réclamer ouvertement le départ du chef du gouvernement. Ce dernier est resté de marbre, se contentant mercredi de jurer qu’il ne tolèrerait pas la corruption et de voir dans l’enquête la main d’intérêts étrangers.

« Ce ne serait pas faux de dire qu’avec la nomination d’Efkan Ala à l’Intérieur, Erdogan a pris personnellement les rênes des affaires internes », a déclaré sur la chaîne de télévision CNN Türk Sedat Ergin, éditorialiste au quotidien à grand tirage Hurriyet.

Contrairement à ses 19 autres collègues, le nouveau patron du ministère de l’Intérieur n’est pas membre du Parlement et n’a donc pas à rendre des comptes à des électeurs.

Lorsqu’il était précédemment sous-secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre, relève-t-on de sources politiques, l’intéressé avait ordonné une répression sévère des manifestations de rue du printemps-été contre la dérive autoritaire d’Erdogan.

Signe des tensions qui se font jour depuis que le scandale a déclaré: un procureur chargé de l’enquête a fait savoir jeudi qu’il était dessaisi du dossier.

Selon Muammar Akkas, l’appareil judiciaire a fait l’objet de « pressions directes » pour faire entrave à l’enquête et de hauts responsables de la police ont permis à des suspects d’échapper à la justice.

Avec Orhal Coskun, Gulsen Solaker et Seda Sezer et Ekse Toksabay; Jean-Loup Fiévet pour le service français, édité par Pascal Liétout

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