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Le recensement, source d’espoir et de craintes pour les minorités du Pakistan

Rabwah (Pakistan), 21 mai 2017 (AFP) Souvent privées de voix au chapitre face à la majorité musulmane, les minorités religieuses du Pakistan espèrent que le vaste recensement en cours dans le pays leur donnera plus de poids, tout en redoutant de trop s’exposer.

Le dernier comptage de population au Pakistan remonte à près de 20 ans et le plus grand flou règne actuellement au sujet du nombre de chrétiens, hindous, ahmadis, sikhs et membres d’autres religions, dont beaucoup vivent en faisant profil bas.

Economiquement marginalisés, ils vivent souvent dans la crainte d’attaques par des insurgés islamistes, ou d’accusations de blasphème, un sujet très sensible au Pakistan.

Des chiffres contestés font état d’une fourchette de 2 à 10 millions pour les chrétiens, de 2,5 à 4,5 millions pour les hindous et d’environ 500.000 pour les ahmadis sur un total de quelque 200 millions de Pakistanais. L’ensemble des minorités estiment représenter environ 5% du total.

L’actuelle campagne de recensement, lancée en mars, doit permettre d’ajuster la carte électorale, la répartition des budgets nationaux et les quotas d’élus et emplois gouvernementaux.

En outre, elle « permettra de mieux comprendre les besoins (…) de sous-groupes spécifiques », permettant de lancer des programmes adaptés, par exemple en faveur de la scolarisation », souligne Nancy Stiegler, consultante du Fonds des Nations unies pour la population.

L’exercice, titanesque et éminemment politique, pour lequel 300.000 civils et militaires ont été mobilisés, apporte autant d’espoir que de craintes pour les populations les plus marginalisées.

Sajid Christopher, un militant chrétien, fait partie des optimistes.

« Le recensement nous bénéficiera de deux manières. D’abord, nous saurons ainsi combien nous sommes exactement », déclare-t-il à l’AFP dans le quartier bondé de Youhanabad à Lahore, la plus grande localité chrétienne du Pakistan.

« Deuxièmement, notre représentation au Parlement évoluera en fonction de notre population », a-t-il ajouté.

Les minorités ont actuellement 10 sièges réservés sur 342 à l’Assemblée nationale, un chiffre inchangé depuis 20 ans alors que le nombre de députés a entretemps augmenté d’un tiers.

Pour les évêques du Pakistan, l’exercice est vital « pour (les) droits » des chrétiens.

Mais pour d’autres, le recensement peut aussi être une source de tensions, voire de danger.

C’est notamment le cas des ahmadis, minorité musulmane officiellement considérée comme hérétique en raison de sa croyance en un prophète postérieur à Mahomet, et à ce titre souvent persécutée.

Pour ces fidèles, qui ont interdiction de pratiquer des rites associés à l’islam, le recensement donne lieu à un véritable dilemme.

S’ils s’identifient comme ahmadis ils risquent d’être pris pour cible par des musulmans.

C’est ce qui s’est produit lors du passage en avril d’équipes de recensement dans la ville de Quetta (sud-ouest), a témoigné à l’AFP un militant de cette minorité, M. Saleemuddin.

Un habitant s’étant déclaré de confession ahmadie a été expulsé d’une mosquée où avait lieu le recensement. Devenu par la suite la cible d’une campagne haineuse, il a fini par s’enfuir avec sa famille. Depuis, « il vit caché », a indiqué M. Saleemuddin à l’AFP.

Mais ne pas se déclarer ouvertement présente un autre risque: selon la loi pakistanaise, un ahmadi se présentant comme musulman est passible de trois ans de prison.

Les hindous sont quant à eux inquiets d’être décomptés sous deux catégories distinctes: « hindous » ou « basses castes », un terme désignant des groupes familiaux hindous démunis.

Kapil Dev, militant des droits des hindous, accuse le gouvernement de diviser sa communauté pour l’affaiblir.

Outre ces deux catégories, le formulaire de recensement propose les options musulman, chrétien, ahmadi ou « autres » — au grand dam de nombreuses minorités comme les sikhs.

Le militant sikh Radesh Singh Tony a ainsi saisi un tribunal de Peshawar (nord-ouest) pour exiger que ses coreligionnaires soient recensés à part. La Cour a tranché en sa faveur — mais le décompte avait déjà commencé, et M. Radesh est pessimiste.

« Le gouvernement a par le passé régulièrement ignoré les décisions de justice », explique-t-il à l’AFP.

Parmi les chrétiens, nombre de fidèles estiment que même s’ils étaient comptés honnêtement, leur situation a peu de chance de s’améliorer tant que la mentalité n’évolue pas face aux non-musulmans.

« Les musulmans ne peuvent pas envisager qu’un chrétien s’en sorte, qu’il arrive à avoir une bonne éducation et un bon travail », soupire Pervaiz Jazbi, commerçant de 37 ans à Islamabad.

« Il reste toujours cette discrimination », renchérit une étudiante chrétienne, Sania Nishtar.

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