Française d’origine algérienne, Yasmina Adi a présenté hier à Alger son documentaire L’autre 8 Mai 1945. A ses yeux, les massacres qui ont eu lieu dans l’Est algérien dépassent de loin le contexte algéro-français de l’époque. Rencontre avec une réalisatrice qui parle de son film comme d’une aventure humaine avant tout.
L’histoire des massacres du 8 Mai 1945 dans l’Est algérien est aussi pour vous une histoire de famille à côté de votre intérêt pour l’histoire. Comment tout cela s’est agencé pour donner le documentaire ?
Ma mère est née à Constantine et mon père entre Tahir et Jijel. Donc je suis une vraie fille de l’Est. Mon père, né en 1916, a été mobilisé de 1941 à 1945 comme tirailleur durant la Seconde Guerre mondiale. En retournant à son village en juin 1945, il a appris la répression du 8 mai 1945… Il ne m’a pas rapporté en détail les récits qu’il a entendus à l’époque. Il m’a juste dit ce qui s’était passé : on a combattu pour la France puis on nous a massacrés. Etant une enfant née en France, cela m’avait beaucoup choquée. Car pour nous, enfants nés en France, le 8 mai 1945 c’est le jour de la Victoire. Mes parents nous parlaient de la guerre d’Algérie, mais ils étaient particulièrement marqués par les massacres du 8 Mai 1945. Ensuite, il y a eu un tilt dans ma tête : c’est le vote par l’Assemblée nationale française de la loi du 23 février 2005 avec son article 4 sur « le rôle positif de la colonisation ». Cela s’est télescopé avec les récits de mon père. Il fallait alors faire vite avant que ne disparaissent les témoins. Et surtout, cette année-là , c’était le 60e anniversaire des massacres du 8 mai.
Comment avez-vous travaillé sur les archives françaises ?
J’ai joué sur le temps, j’avais appelé tous les conservateurs des archives concernés. En 2005, je savais que le délai de déclassement de 60 ans était passé. J’ai trouvé la plupart des archives françaises à Aix-en-Provence, ce sont les documents du Gouvernement général d’Algérie et quelques archives militaires. Aux archives de Vincennes, il y a les archives militaires en partie consultable. Mais il était difficile d’accéder à ce fonds : on nous dit que s’il y a un militaire qui est cité, il faut attendre 100 à 150 ans après sa mort pour divulguer les archives afin de protéger les ayants droit. Pour les archives algériennes, il ne faut pas sous-estimer qu’il y a dans les wilayas beaucoup d’archives, car en partant, les administrateurs français n’ont pas eu le temps de tout emporter. C’est ainsi que Boucif Mekhalef (auteur de Chronique d’un massacre ; 8 mai 1945, Sétif, Guelma, Kherrata), Synos, 1995) a pu faire un travail remarquable en cherchant dans ces archives-là .
Après, vous avez complété avec les témoignages en Algérie…
Pendant que les témoins sont vivants, il est important d’aller les voir, les interroger, interroger leur mémoire. Pour le documentaire, je n’ai pris que quelques minutes de chaque interview, mais ces témoins m’ont raconté beaucoup de choses, des tranches de leurs vies. J’ai vu ces témoins plusieurs fois. Ce n’état pas « on fait le film puis ciao ! ». Je suis contente d’en revoir certains à Alger pour cette projection. Ce film est une véritable aventure humaine, c’est quelque chose qui me lie à toutes ces personnes. Ils étaient, pour le documentaire, plus que des témoins, je suis rentrée chez eux, j’ai rencontré leurs petits-enfants et leurs cousins, et je suis bouleversée chaque fois que l’un d’eux décède. Des spectateurs étaient très surpris et me disaient : « C’est dingue ! Ces témoins parlent de ces horreurs sans aucune haine ! » Mon père a été de cette génération… Il faut vraiment qu’on prenne soin d’eux !
Qu’est-ce qui vous a le plus marquée dans ces témoignages ?
Tous les témoignages m’ont touchée. Certains témoins ont vécu ce qui s’était passé dans la caserne de Sétif, la torture, la séance de soumission… D’autres ont vu des gens jetés dans les gorges de Kherrata… Mais ce qui m’a choquée le plus, ce sont ces jeunes manifestants, d’à peine 15 ou 16 ans, qui ont passé dix-sept ans en prison, qui n’ont été libérés qu’à l’indépendance en 1962. Ils étaient condamnés à mort avant de bénéficier d’une amnistie partielle. Leur peine capitale a été commuée en prison à vie. On leur a volé 17 ans de leur vie ! Et toutes ces horreurs se passent au moment où l’ONU voyait le jour ! C’est pour cela que je dis que ce n’est même plus l’histoire entre l’Algérie et la France : cela s’est passé dans un contexte international singulier.
D’où le recours à des archives britanniques et américaines…
Je savais que les troupes américains et britanniques étaient sur place. Les premiers avaient une base à Guelma, les seconds à Sétif. Il était tout à fait normal que leurs services de renseignement surveillent là où ils sont stationnés. Il y avait donc des rapports élaborés, un fonds d’archives. Ensuite, il y a une chose importante : ces deux parties étaient neutres dans ce qui s’était passé. Américains et Britanniques n’étaient pas impliqués. J’allais alors trouver une stratégie que je ne pouvais par trouver dans les archives françaises. Mais même ouvertes, ces archives peuvent être codées, avec des noms de code, de faux noms d’agents, etc. Ce recours à des archives américaines et britanniques a beaucoup surpris parce que tout simplement cela n’a jamais été fait. Cela a donné des idées à certains et c’est tant mieux. Car si on parle encore du 8 Mai 1945, quelle que soit la nationalité des auteurs ou des réalisateurs, c’est déjà ça de gagné. L’histoire n’est pas figée, moi j’ai juste pris un angle, mais il reste d’autres choses à dire.
Vous avez présenté le film ailleurs qu’en France ou en Algérie lors de festivals, comment les spectateurs ont réagi ?
Beaucoup de gens ne connaissent pas ce qui s’est passé. Ailleurs qu’en France ou en Algérie, les spectateurs étaient surpris de découvrir ces faits. A l’occasion du deuxième Festival international du film sur les droits humains à Rabat (du 1er au 6 Mai 2009), j’entendais des exclamations dans la salle pendant la projection. On ne savait pas au Maroc que les tabours marocains avaient participé avec les tirailleurs sénégalais aux massacres et aux pillages. C’est très important de montrer le film ailleurs qu’en Algérie ou en France.
Comment ce documentaire a été reçu en France ?
Politiquement, c’est un sujet très sensible en France. Nous avons reçu beaucoup d’emails de Français et d’Algériens qui nous ont remerciés. Il y a en France beaucoup d’anticoloniaux, notamment les étudiants et les universitaires. Par rapport aux pieds-noirs, nous avons reçu des appels disant que ce que nous avons montré n’était pas vrai que, encore une fois, l’on a donné la mauvaise version des faits, qu’ils vivaient bien avec les Arabes… Mais il y a les autres Français qui ont vécu en Algérie à cette époque et qui disent le contraire. Qui ont le courage de le dire. En tout cas, quand je parle de colons, je vise les grands propriétaires terriens, ceux qui tenaient des journaux et qui se faisaient entendre à Paris.
Que pensez-vous du discours sur la repentance qui intervient cycliquement dans les relations entre Alger et Paris ?
Il faudra s’adresser aux gens qui ont vécu les tortures et les autres horreurs pour leur demander s’ils ont besoin de la repentance. Ce n’est pas aux institutions de développer ce genre de discours. Les témoins que j’ai rencontrés en Algérie ne demandent pas d’indemnisation, ils veulent que l’histoire soit reconnue et que l’on s’excuse auprès d’eux.
BIO EXPRESS |
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|Née en France, Yasmina Adi a travaillé durant quatre ans comme attachée de presse. En 1997 elle commence à travailler comme assistante à la réalisation avant de se consacrer à l’investigation et à l’écriture de documentaires. L’autre 8 Mai 1945 est son premier documentaire.
as tu freqanter le college henri wallon sous le nom boukehil car je connais bien ta famille